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— Merci pour le conseil, répondit Langdon avec un petit rire. J’y penserai à l’avenir.

Par bonheur, un homme en costume sombre sortit à ce moment-là d’une luxueuse Lincoln noire et lui fit signe.

— Monsieur Langdon ? Beltway Limousine. Charles, à votre service, fit-il en ouvrant une portière. Bonsoir et bienvenue à Washington, monsieur.

Langdon laissa un pourboire à Pam pour son accueil chaleureux, avant de s’installer dans l’habitacle somptueux de la voiture. Le chauffeur lui indiqua les commandes de la climatisation et lui proposa de l’eau minérale et un panier de muffins chauds. Quelques secondes plus tard, la Lincoln quittait l’aéroport par une voie privée.

C’est donc ça le quotidien des riches ?

Tout en accélérant sur Windsock Drive, le chauffeur consulta sa feuille de route et passa un coup de fil.

— Ici Beltway Limousine, déclara-t-il avec une concision toute professionnelle. Comme vous l’avez demandé, j’appelle pour confirmer la prise en charge de mon passager. Oui, monsieur, ajouta-t-il après un silence, votre invité, le professeur Langdon, est bien arrivé. Je le déposerai au Capitole pour 19 heures.

Il raccrocha.

Langdon ne put s’empêcher de sourire.

Toujours aussi méticuleux...

Le souci du détail était l’une des grandes qualités de Peter Solomon ; c’était ainsi qu’il gérait son immense pouvoir avec une aisance déconcertante.

Avoir quelques milliards de dollars sur un compte en banque facilitait également bien des choses...

Langdon s’enfonça avec délice dans la banquette moelleuse et ferma les yeux tandis que les bruits de l’aéroport s’estompaient derrière lui. Le Capitole était à une demi-heure de route, ce qui lui laissait quelques instants de répit pour mettre de l’ordre dans ses pensées. Les événements de la journée s’étaient succédé à une telle vitesse qu’il n’avait pas eu le loisir de réfléchir sérieusement à l’incroyable soirée qui s’annonçait.

*

À une quinzaine de kilomètres du Capitole, un personnage solitaire attendait avec impatience l’arrivée de Robert Langdon.

2.

L’homme, qui s’était baptisé Mal’akh, appuya la pointe de l’aiguille contre son crâne rasé ; les piqûres répétées de l’outil acéré dans sa chair lui procuraient des frissons de plaisir. Le ronronnement du dermographe avait un effet narcotique, tout comme la morsure de l’aiguille qui s’enfonçait profondément jusqu’au derme pour y déposer les pigments.

Je suis un chef-d’œuvre !

L’art du tatouage ne visait jamais la beauté. Son but, c’était le changement. Des prêtres nubiens scarifiés du deuxième millénaire avant Jésus-Christ aux Maoris d’aujourd’hui et leur art du moko, en passant par les adeptes du culte de Cybèle dans la Rome antique, les hommes usaient du tatouage comme d’une forme de sacrifice corporel, supportant le supplice de l’aiguille, pour en sortir transformés.

Malgré la condamnation sévère figurant dans le Lévitique 19-28, qui proscrivait le marquage du corps, l’art du tatouage était devenu un rite de passage que des milliers de gens observaient en ces temps modernes – adolescents bien sages, drogués impénitents, mères de famille modèles.

Se tatouer était devenu une affirmation de son pouvoir de transformation, une déclaration à la face du monde : j’ai le contrôle absolu de mon corps. Chaque altération physique procurait une sensation de maîtrise tellement enivrante que des millions de gens y étaient devenus accro : chirurgie esthétique, piercing, culturisme, stéroïdes... et même la boulimie ou le transsexualisme.

L’esprit humain ne désire rien de plus que le contrôle de son enveloppe charnelle.

La grande horloge sonna chez Mal’akh. 18 h 30. Il posa ses outils, enveloppa son corps nu d’un mètre quatre-vingt-dix dans une robe de chambre en soie de Kyriu et traversa le couloir à grands pas. L’odeur des pigments et des bougies à la cire d’abeille, qu’il utilisait pour stériliser son matériel, embaumait toute la maison. En passant, il contempla ses antiquités italiennes d’une valeur inestimable – une gravure de Piranesi, un fauteuil Savonarole, une lampe à huile Bugarini en argent.

Sans s’arrêter, il jeta un coup d’œil par l’une des hautes fenêtres du salon et admira la ville qui scintillait dans la nuit. Au loin, le dôme éclairé du Capitole se dressait sur le fond noir du ciel hivernal.

C’est là qu’il est caché... il est enterré quelque part...

Rares étaient ceux qui connaissaient l’existence de ce secret... et plus rares encore ceux qui connaissaient son incroyable pouvoir et l’ingéniosité avec laquelle il avait été dissimulé. C’était à ce jour le plus grand trésor du pays. Les quelques personnes qui savaient la vérité la masquaient derrière un voile de symboles, de légendes et d’allégories.

Et maintenant, ils m’ont ouvert leurs portes...

Trois semaines auparavant, au cours d’un rituel obscur auquel avaient assisté certaines des personnalités les plus influentes des États-Unis, Mal’akh avait accédé au trente-troisième degré, l’échelon suprême de la plus vieille fraternité du monde. En dépit de ce nouveau rang, ses frères ne lui avaient rien révélé. Et ils ne le feraient pas de sitôt. Les règles du jeu étaient complexes : il y avait des cercles internes à chaque cercle, des confréries au sein de la confrérie. Mal’akh pourrait patienter pendant des années sans jamais être sûr de gagner leur confiance.

Heureusement, il n’en avait pas besoin pour obtenir leur secret le plus précieux.

Mon initiation a fait son office.

Dynamisé par le travail qui l’attendait, il se dirigea vers sa chambre. Un réseau d’enceintes diffusait à travers toute la maison le Requiem de Verdi – un enregistrement rarissime du Lux œterna chanté par un castrat. Cette mélopée lugubre lui rappelait sa vie d’antan... Appuyant sur la télécommande, Mal’akh lança le Dies irae. Porté par l’éclat des timbales et les quintes parallèles, il bondit dans l’escalier en marbre, sa robe de chambre flottant autour de ses mollets nerveux.

Entre deux enjambées, son estomac émit un grondement de protestation. Mal’akh jeûnait depuis deux jours, n’avalant que de l’eau afin de préparer son corps selon l’antique tradition.

L’aube calmera ta faim, ainsi que ta douleur.

Arrivé enfin au sanctuaire que constituait sa chambre, il entra solennellement et ferma la porte à clé derrière lui. Se dirigeant vers le dressing, il se sentit attiré par l’énorme miroir doré. Incapable de résister, il se tourna face à son reflet. Lentement, comme s’il déballait un cadeau hors de prix, il écarta les pans de sa robe. La vue de son corps nu le ravit.

Je suis un chef-d’œuvre.

Son corps musclé était parfaitement imberbe. Son regard tomba en premier sur ses pieds, tatoués de serres d’aigle. Les motifs sur ses jambes évoquaient les colonnes du temple de Jérusalem – une spirale autour de la jambe gauche, des striures verticales sur la droite. Boaz et Jakin. L’aine et l’abdomen formaient une arche décorée au-dessus de laquelle son torse puissant arborait un phœnix à deux têtes – chacune de profil, leurs yeux coïncidant avec les mamelons de Mal’akh. Les épaules, le cou et le visage, ainsi que le crâne rasé s’ornaient d’un entrelacs complexe de symboles et de sceaux antiques.

Je suis un artefact... une icône en évolution constante.

Dix-huit heures auparavant, un mortel avait vu Mal’akh nu.

— Mon Dieu, vous êtes un démon ! avait-il crié avec effroi.

— Si c’est ce que vous pensez, qu’il en soit ainsi..., avait répondu Mal’akh.

A l’instar des Anciens, il savait que les anges et les démons étaient des archétypes interchangeables se résumant à une question de polarité : l’ange gardien qui annihilait votre ennemi au combat était perçu par celui-ci comme un démon destructeur.