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— N’est-ce pas trop, Tante Amélie ? reprocha-t-il gentiment. Vous n’allez pas dormir !

— Un peu plus, un peu moins, cela n’a pas d’importance. Et je lis très bien avec des bésicles ! Continuez, Adalbert !

— Oh, j’ai presque fini. Reste le nom de la victime de Saint-Augustin que les hommes de Langlois ont pu découvrir. Il s’agissait de la comtesse de Granlieu qui a habité des années avenue Vélasquez et qui…

— Quel nom as-tu dit ?

— Granlieu. Tu connais  ?

— Oui… mais c’est récent. À moins qu’il n’en existe plusieurs…

— Deux, selon notre marquise : une demi-folle snob comme une chaufferette qui occupe l’hôtel familial de l’avenue Vélasquez après en avoir expulsé plus ou moins sa belle-mère, la vieille comtesse, réfugiée à la suite de la mort de son fils dans son château où sont enterrés les siens et où elle se portait infiniment mieux qu’à Paris, parce que c’est son pays natal et qu’elle avait sa petite-fille avec elle…

— Il est où, ce château ?

— Quelque part dans le Doubs… Du côté de Pontarlier.

— Nom de D…

— Aldo ! intervint Mme de Sommières. Tu sais que j’ai horreur que l’on invoque de cette façon le nom du Seigneur ! Même Plan-Crépin qui…

Elle s’arrêta net, consciente d’avoir laissé le nom si familier franchir encore ses lèvres. Aldo se hâta d’enchaîner :

— Savez-vous d’où je viens ?

— De Suisse ! On sait où ! fit Adalbert. Mais c’est vaste, la Suisse. Sois bon de préciser !

— Celle qui côtoie le Jura : de Grandson plus exactement, où m’appelait un vieux gentilhomme, anciennement autrichien naturalisé suisse… par remords ! Je pourrais presque dire par dégoût d’une infamie commise par son grand-père !

— Faire pénitence pour autrui, fût-ce un aïeul, ce n’est pas courant ! remarqua Lisa, un rien acide, et il avait fait quoi, cet aïeul méprisable… et autrichien ?

— Oublie un peu la Suisse et l’Autriche pour te souvenir de ce que tu es devenue ! Une Morosini… comme cette belle dame en amazone noire dont le portrait orne si admirablement – avec celui de ma mère ! – le salon des Laques de ton palais !

— Tante Felicia ? Le grand-père autrichien était…

— Celui qui a fait massacrer son époux dans des conditions que Felicia elle-même a dû ignorer parce qu’on l’a obligée à fuir avant de tomber dans les griffes de cet Hagenthal… qui la désirait !

— Et c’est de ça que ton gentilhomme voulait s’excuser ? demanda Adalbert.

— Il souhaitait aussi me remettre le – modeste ! – trésor qui lui venait de sa femme. Maintenant si vous aviez l’obligeance de ne plus m’interrompre ?

— Comme c’est moi le plus bavard, je jure pour tout le monde ! dit Adalbert qui, faussement solennel, tendit la main en crachant par terre.

Ce qui lui valut un coup d’œil courroucé de son ami, mais l’instant suivant il était pendu à ses lèvres. Et n’articula plus un son jusqu’à ce qu’Aldo sorte le rubis de sa poche !

— Peste, quel cadeau !

Lisa prit feu :

— Mais les « Trois Frères » sont à mon père ?

— C’est ce que nous avons vérifié ensemble. Ils sont chez Moritz… et pourtant celui-ci est aussi authentique. On essaiera d’éclaircir ce mystère à tête reposée. Ce qui est important, pour l’heure, est que les deux belles-sœurs de Hagenthal en possèdent un semblable… que l’une d’elles est la comtesse de Granlieu et que cette dernière vient de mourir dans un confessionnal de Saint- Augustin, autant dire sous les yeux de Marie-Angéline. Le deuxième rubis a dû changer de mains à ce moment-là !

Un profond silence salua sa conclusion. Ce fut Lisa qui le rompit :

— Je pense, dit-elle, que la première chose à faire est de raconter cela au Commissaire Langlois… et vite ! Lui seul a les moyens…

— Naturellement, on va le lui dire ! coupa Aldo juste un peu plus sèchement qu’il n’aurait fallu.

Elle fronça les sourcils et allait faire entendre son point de vue, quand Mme de Sommières posa sa main sur la sienne avec un sourire un rien moqueur :

— Ma chère Lisa, chuchota-t-elle, il va vous falloir apprendre à maîtriser vos élans et même vos conseils quand ces deux-là sont sur le sentier de la guerre…

— Et… ils y sont ?

— Plutôt deux fois qu’une ! Même si Marie-Angéline n’occupait pas la première place dans leurs préoccupations, il aurait été impossible de les empêcher de se mêler d’une histoire tournant autour d’un joyau dont la valeur doit être inestimable si l’on peut le reconstituer.

— Mais mon père le possède ! gémit-elle.

— Pas au complet, puisque Aldo vient de lui remettre la monture et que nul ne sait où diable a pu passer le mythique « Diamant de Bourgogne » ! N’importe comment, on n’est pas là pour rassembler le trésor enfui du Téméraire mais pour essayer de récupérer Plan-Crépin en bonne forme si c’est possible !

— Sait-on où en est l’enquête officielle ? s’enquit Aldo. Et d’abord, qui la dirige ? Langlois en personne ? Cela m’étonnerait un peu ?

— C’est le jeune Sauvageol, son préféré, répondit Adalbert. La preuve formelle qu’elle est prioritaire devant les diverses affaires qu’il doit avoir en charge. On va quand même lui téléphoner pour lui annoncer ton arrivée et les nouvelles que tu as récoltées.

Il se dirigeait vers le téléphone pour joindre le geste à la parole et appeler la Police Judiciaire quand il s’arrêta :

— Au fait, puisqu’il s’agit des « Trois Frères » vrais ou faux, sait-on qui possède le troisième… Hé, réponds ! Qu’est-ce que tu as à me regarder ainsi ? Mon rimmel coule ?

— Du tout ! Tu es parfait comme d’habitude ! Je me demandais seulement comment tu allais prendre la nouvelle.

— Occupé ! Occupé ! grogna Adalbert qui s’énervait sur l’appareil. Dis toujours !

— Ma foi, non ! Ça peut attendre ! Sois un peu à ce que tu fais ! Tu n’es pas en train de passer une commande chez l’épicier…

— Ce que tu peux être agaçant quand tu t’y mets ! Allô !… Allô ?. Je voudrais parler au Commissaire Principal Langlois, s’il vous plaît ? Ah ! Il est sorti ! Voulez-vous, s’il vous plaît, lui dire…

Il s’interrompit : Aldo appuyait sur le combiné en lui montrant, de sa main libre, la haute silhouette du policier qui venait de s’encadrer dans l’embrasure de la porte et s’inclinait sur la main de Mme de Sommières, puis sur celle de Lisa, avant de se tourner vers eux :

— On dirait que j’ai bien fait de venir ? fit-il avec un demi-sourire – rare d’ailleurs ! – qui donnait tant de charme à son visage trop régulier pour n’être pas sévère. Vous êtes dans nos murs depuis longtemps, Morosini ?

— J’arrive, et Adalbert était en train de vous appeler pour vous annoncer ma présence.

Mme de Sommières se leva, imitée aussitôt par Lisa :

— Nous allons vous laisser parler entre vous, Messieurs ! Dites-moi seulement, Commissaire, si vous avez du nouveau touchant… Marie-Angéline ?

— Du nouveau, pas encore ! Mais nous avons une piste…

— Et ça m’étonnerait que vous ne tiriez pas des conclusions de ce que Morosini rapporte. Il nous arrive tout droit de Suisse…

— Tiens donc ! Et d’où ?

— De Grandson, ensuite d’une escale à Zürich, chez mon beau-père…