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Au surplus, Ned et lui étaient, quinze ans auparavant, devenus frères en épousant le même jour, dans le septuaire de Vivesaigues, les ceux filles de lord Hoster Tully.

« Jon…, dit-il. Rien prouve-t-il cette nouvelle ?

— Le sceau royal. Et la lettre, de la main même de Robert. Il écrit, tu verras, que tout s’est passé très vite. Mestre Pycelle en personne n’a pu le sauver. Juste lui faire absorber du lait de pavot pour le préserver de souffrances interminables.

— Piètre consolation », marmonna-t-il. Le chagrin marquait tous ses traits. Néanmoins, sa première pensée fut pour Catelyn : « Ta sœur, reprit-il, et leur fils, la lettre les mentionne ?

— Seulement pour dire qu’ils vont bien et qu’ils ont regagné les Eyrié. J’aurais mieux aimé Vivesaigues. Cette forteresse perchée en plein désert était idéale pour lui, pas pour elle qui, dans chaque pierre, l’y retrouvera. Telle que je la connais, ma sœur a besoin d’être entourée de parents et d’amis.

— Mais ton oncle ? Il sert bien dans le Val, si je ne me trompe ? On m’a dit que Jon l’avait nommé chevalier de la Porte…

— Oui, dit-elle en hochant la tête, Brynden fera de son mieux pour les aider, elle et son fils. C’est un réconfort. Toutefois…

— Va la rejoindre, conseilla Ned. Emmène les enfants, remplissez sa demeure de cris et de rires. Il faut des compagnons à son fils, et à elle quelqu’un qui partage son deuil.

— Que ne le puis-je ! répondit-elle. La lettre annonce autre chose. Le roi est en route pour Winterfell. »

Après un moment de stupeur qui lui dérobait jusqu’au sens des mots, le regard de Ned s’éclaira : « Tu veux dire que Robert vient… ici ? », et quand elle eut acquiescé d’un signe, un large sourire détendit ses traits.

Catelyn eût été trop heureuse de partager sa joie. Mais, en lui révélant la découverte du loup-garou mort dans la neige et de l’andouiller brisé planté dans sa gorge, la rumeur des cours avait mis dans son cœur le serpent de la peur. Elle se força néanmoins à sourire à l’homme qu’elle aimait, tout sceptique qu’il se montrât à l’endroit des signes.

« J’étais sûre de te faire plaisir, dit-elle. Ne devrions-nous pas envoyer un mot au Mur, pour avertir ton frère ?

— Si, naturellement. Ben voudra être de la fête. Je prierai mestre Luwin de choisir son meilleur oiseau. » Il se mit debout et, tout en aidant sa femme à se relever, s’exclama : « Que je sois damné si je sais depuis combien d’années… ! Et il n’a rien précisé ? même pas l’importance de sa suite ?

— Je gagerais une bonne centaine de chevaliers, escortés de toute leur maisonnée, et moitié moins de francs-coureurs… Sans oublier Cersei et les enfants, qui sont du voyage.

— Alors, Robert leur épargnera les marches forcées. Tant mieux. Nous aurons tout loisir de préparer leur réception.

— Les beaux-frères viennent également », souffla-t-elle.

Une vilaine grimace accueillit ce détail, prudemment réservé pour la fin, eu égard à l’aversion que se vouaient Ned et la famille de la reine. Les Lannister de Castral Roc ne s’étaient ralliés à la cause de Robert qu’une fois la victoire en vue, et il ne le leur avait jamais pardonné. « Tant pis, grogna-t-il, si la rançon de sa compagnie est une épidémie de Lannister, payons. Mais c’est à croire qu’il trimballe la moitié de sa cour !

— Ou le roi va, énonça-t-elle, suit la souveraineté…

— Enfin je me réjouis de voir ses enfants. La dernière fois que j’ai aperçu le dernier, il était encore pendu aux mamelles de la Lannister. Il doit bien avoir… dans les cinq ans, maintenant ?

— Sept. Le prince Tommen a l’âge de Bran. Mais, par pitié, Ned, tiens ta langue. La Lannister, comme tu dis, est notre reine, et l’on prétend que son orgueil s’étoffe d’année en année.

— Il va de soi, dit-il en lui pressant la main, que nous devrons donner un festin. Il faudra des chanteurs. Et puis Robert voudra chasser. Je vaisexpédier Jory à leur rencontre, sur la route royale, avec une garde d’honneur pour qu’il les escorte jusqu’ici. Mais, bons dieux ! comment faire pour nourrir tout ce monde-là ? Et tu dis qu’il est déjà en route ? ah, maudit soit-il, et maudite sa royale peau ! »

DAENERYS

Les bras levés, son frère tenait la robe en suspens pour la lui faire contempler : « Superbe, n’est-ce pas ? Hé bien, touche ! palpe-moi ce tissu… »

En y risquant ses doigts, Daenerys éprouva la sensation fluide que procure l’eau. Si loin qu’elle remontât dans ses souvenirs, jamais elle n’aurait rien porté de si fin. Effrayée, elle retira vivement sa main. « Et c’est à moi, vraiment ?

— Un cadeau de maître Illyrio », sourit Viserys. Il était décidément de belle humeur, ce soir. « Son coloris rehaussera le violet de tes yeux. Tu auras aussi de l’or, et toutes sortes de joyaux. Il l’a promis. Ce soir, tu dois avoir l’air d’une princesse. »

L’air d’une princesse… Elle avait oublié à quoi cela ressemblait. Si elle l’avait jamais su. « Pourquoi se montre-t-il si généreux ? demanda-t-elle, qu’attend-il au juste de nous ? » Depuis près de six mois, ils avaient chez lui le vivre et le couvert, ses serviteurs les mignotaient. Pour n’avoir que treize ans, elle ne s’y trompait pas : les prodigalités désintéressées n’avaient guère cours, en la cité libre de Pentos…

« Pas si fou », répondit le jeune homme, auquel ses mains nerveuses, son regard fiévreux, ses prunelles de lilas pâle donnaient un aspect peu aimable. « Il sait pertinemment que, le jour où je recouvrerai mon trône, je n’oublierai pas mes amis. »

Elle demeura muette. Marchand d’épices, de gemmes, d’os de dragon et de denrées moins ragoûtantes, maître Illyrio possédait, paraît-il, des amis dans chacune des neuf cités libres et même au-delà, du côté de Vaes Dothrak et des contrées fabuleuses qui bordent la mer de Jade. On ajoutait qu’il n’avait jamais eu d’ami qu’il n’eût de tout son cœur désiré trahir au plus juste prix. Les rues bruissaient de commérages là-dessus, et Daenerys avait l’ouïe fine. Mais mieux valait, irascible comme il l’était, ne pas tracasser son frère ou, comme il disait lui-même, « réveiller le dragon », lorsqu’il tissait sa trame de chimères.

Tout en raccrochant la robe auprès de la porte, Viserys reprit :

« Quand les esclaves d’Illyrio viendront te baigner, veille à ce qu’ils t’ôtent cette puanteur d’écurie. Khal Drogo a beau posséder mille chevaux, c’est d’une tout autre monture qu’il rêve, aujourd’hui. » Puis, la détaillant d’un regard critique : « Toujours aussi gauche ! – redresse-toi », il lui repoussa les épaules. « Montre-leur donc que tu es une femme, désormais », insista-t-il en balayant d’un geste désinvolte la gorge naissante avant d’en pincer un bouton, « et gare à toi, si tu me manques, ce soir. Tu ne souhaites pas réveiller le dragon, je pense ? » A travers le tissu grossier de la tunique, l’étau resserré de ses doigts opéra une torsion blessante. « Si ?

— Non, dit-elle humblement.

— Bon ! sourit-il, presque affectueux, en lui caressant les cheveux. Vois-tu, sœurette, lorsqu’on écrira l’histoire de mon règne, on datera de ce soir mon avènement. »

Après qu’il se fut retiré, elle s’approcha, songeuse, de sa fenêtre et tristement se mit à regarder la baie. Le jour déclinait. Contre le crépuscule, les tours en briques du rempart carraient de noires silhouettes. Des rues montaient, mêlés aux litanies des prêtres rouges en train d’allumer leurs feux nocturnes, les piaillements de mioches miséreux jouant à des jeux invisibles. Que ne pouvait-elle se joindre a eux, pieds nus, vêtue de haillons, hors d’haleine et sans passé, sans avenir, sans obligation de paraître à la fête de Khal Drogo…