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« Je sens, avec force, que c'est sur son injonction pressante que je suis revenu en Syrie. Il m'attendait, Jérémie ! Il m'attendait, le bougre ! Ta présence à mon côté contrecarrait ses plans, car toi tu conservais la tête froide. Les démarches que nous avons entreprises : la visite à l'ambassade de France, puis à Bouchafeu, ensuite à Mafig, le gênaient. Mais cet être diabolique a su retourner la situation. Il a décidé de nous impliquer dans une tuerie générale. Ces gens auxquels nous avions confié notre problème constituaient un danger. Alors il les a fait supprimer : Gloria, Bouchafeu, ton Anglaise, Mafig ! Et c'est sa volonté démoniaque qui m'a obligé à retourner chez Tuboûf Mafig après le meurtre de la petite Finnoise. Oui, oui, je vois, je sens, je comprends, Jérémie. Tous ces ordres psychiques dont il a pilonné mon esprit me reviennent plus ou moins clairement. J'ai voulu me rendre sur les lieux du carnage, souviens-toi comme j'étais déterminé. »

— Ça, mon vieux, tu peux le dire !

— Et ensuite, quand nous étions terrés dans la cahute du vieil enculeur de chèvres, c'est lui qui a soufflé à la petite nomade d'aller nous dénoncer car, tu l'avais dit toi-même, ces gens ne sont pas pour l'ordre actuel. C'est la puissance de sa pensée qui a incité les flics à suivre ce parcours. Je te le dis, monsieur Blanc, en vérité je te le dis, tout était préétabli : notre évasion, la mosquée…

— Non. Tu auras été le grain de sable de la mécanique Ditawu Monkhu. A ce propos, comme je n'étais pas conscient lors de ses aveux, qu'a-t-il révélé au général ?

— Il a reconnu t-avoir conditionné, mon vieux. Il était chargé de le faire assassiner.

— Par qui ?

— L'Iran. Là-bas, on trouve Sasser Akdal un peu trop pro-occidental. Tu avais vu juste. Ils ont voulu mettre les pendules à l'heure en le faisant buter par une personnalité française.

— S'il était mort dans l'avion, on n'aurait pas su les circonstances de l'attentat !

Et alors, bouge pas, j'ai la réponse à ce problo quelques instants plus tard. Nous arrivons à la demeure du « mage ». Fouille en règle ! Dans un secrétaire, nous trouvons une confession de moi ! T'entends bien, Julien ? De moi !

Par laquelle je reconnais avoir décidé la mort du général, même au prix de ma vie (kamikaze d'élite) et décidé de faire éclater l'avion chargé de le conduire à Athènes. Cette confession est rédigée sous forme d'une bafouille adressée à Marie-Marie. Fortiche, le Mage, non ?

Le général et son tête de camp passent tout au peigne fin, comme on dit puis chez Carita. Depuis l'arrestation du maître, les lieux se sont vidés.

Ne reste plus un larbin, pas la moindre des jolies filles en tunique blanche dont j'ai eu à connaître.

Moi, l'angoisse m'empare.

Marie-Marie ! Qu'est-il advenu de la chère créature, cause initiale de mes tribulations ? Dis ! Il ne l'a pas fait supprimer, l'ordure ! Se serait-elle enfuie ? Sasser Akdal, lui, c'est pas son fromage. Il ne s'intéresse qu'à sa personne, c'est normal ! Une personne comme la sienne, ça vaut son pesant de livres syriennes ! Faut du temps pour constituer un général, l'instruire de la guerre, le médailler, le crualiser, tout ça… Il pique tout ce qui est valeurs : bijoux, monnaies. Engourdit itou des documents. Tu croirais deux monte-en-l'air, ces messieurs officiers, la manière qu'ils s'activent en loucedé, fébriles.

Moi, me voilà tassé dans un angle de pièce, sur un monceau de coussins, à faire du debilium très mince ! Je veux retrouver la Musaraigne. II me la faut ! Pourquoi l'ai-je laissée épouser son imbandant, bordel ! Je pouvais pas me la marier vite fait ! C'est pas si chérot que ça une alliance !

Jérémie se tient debout devant moi, les mains aux poches. Ses yeux de grenouille proéminent plus que jamais.

— Écoute, murmure-t-il. Monkhu n'était pas l'homme à se débarrasser de la môme avant la fin de ta mission.

— Qu'en sais-tu ?

— Ce gars était beaucoup trop organisé pour se priver prématurément d'un élément dont il risquait d'avoir besoin pour te tenir en main.

— Alors, où est Marie-Marie ?

— Tu dis que tu ne l'avais plus retrouvée, lorsque tu résidais ici ?

— Non.

— C'est donc qu'il la cachait. Logique, n'était-elle pas sa prisonnière, son otage ? Attends-moi ici !

Et il quitte la pièce.

La nuit est épaisse comme du foutre de vieillard, ainsi que l'écrivait la comtesse de Ségur (à propos du général Dourakine)[3]. La maison n'est éclairée que par la clarté de la lune (en croissant, dans ce pays). Inexorables, Fouad Kanar et Sasser Akdal continuent de briser les meubles et d'éventrer les coussins. Vachement termites dans leur genre. Ils veulent rassembler un max sur Ditawu Monkhu, sans faire appel à la police, voire à une autre main-d'œuvre quelconque, même leurs soldats ils n'ont pas confiance !

Et voilà qu'après plus d'une heure d'absence, M. Blanc, l'ineffable, réapparaît. Il est en sueur et brille à la pâle lumière de l'astre nocturne.

Il pose sa main sur sa tête et déclare :

— Tu vois cette boîte crânienne, grand con ? Elle contient l'un des cerveaux les plus performants de cette seconde partie du vingtième siècle.

Je bondis.

— Voudrais-tu dire ?…

— Oui.

— Que tu l'as trouvée ?

— Oui.

— Elle ?…

— Oui.

— Vit ?

— Oui.

— Jérémie, éclaté-je en sanglots, je n'ai jamais eu de frère et il est improbable que maman m'en fignole un à présent, mais je te considère comme mon jumeau !

— O.K., mec, alors commence par te passer la gueule au broux de noix !

— Non, dis-je, ce ne serait pas suffisant : au goudron ! Pour que ce soit plus ressemblant.

Je le suis avec des ailes aux pieds, tel Mercure.

— Tu comprends, grand con, je cherchais une cache de ce genre. C'est-à-dire un volume en trompe-l’œil qui puisse s'inscrire dans l'architecture moderne de la baraque. J'ai mesuré chaque pièce avec ma ceinture et c'est à l'accotement du garage que j'ai trouvé la solution. Ce qui m'a paru illogique, c'est ce bout de couloir existant entre le garage et la maison, étant donné qu'ils ne sont pas séparés l'un de l'autre. Pour justifier ledit couloir, on a élevé un mur de retour dans le garage, créant de la sorte un renfoncement peu propice à la manœuvre des bagnoles. Il m'a suffi de mesurer la longueur du couloir et la largeur du renfoncement pour constater qu'il existait une différence d'une ceinture et demie. J'ai frappé contre le briquetage : il sonnait le creux. Restait à dénicher la porte livrant accès au réduit que je subodorais. Un placard encastré m'a fourni l'explication. J'ai mis une demi-heure pour en dénicher le système : il constitue dans son entier une porte puisqu'il pivote. L'espace est réduit : deux mètres cinquante sur un mètre cinquante. Mais une personne y tient et ta môme gît sur un grabat, faiblarde car elle n'a pas dû bouffer ni boire depuis longtemps.

O chère, tendre, exquise, Marie-Marie. L'abbesse Fana dans sa geôle !

Hâve, maigre, le regard enfoncé et presque inexpressif ! A la limite de l'inanition, de la déshydratation !

— Tu me reconnais, mon amour ? C'est ton Antoine ! Ton grand con d'Antoine, ma poule !

Ses lèvres blanches bougent à peine. Je mets mon oreille tout contre et je perçois :

— Tu crois qu'un jour tu cesseras de m'appeler « ma poule » ?

Dieu soit loué ! Non seulement elle vit, mais de plus, elle rouspète ! Nous la portons jusqu'au salon !

— Qui est-ce ? s'inquiète le général.

Quatre mots d'explication pendant que Jérémie va chercher de l'eau et du yaourt aux cuisines afin de commencer la réintégration physique de la Musaraigne dans le grand concert de la vie. Les deux officiers s'absentent un court instant et reviennent en coltinant le cadavre de Ditawu Monkhu qu'ils avaient dû loger à notre insu dans le coffre de la Range Rover.

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3

En russe, Dourakine signifie Dur-à-cuire. Berlitz