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C'est d'ailleurs vraisemblablement ce qu'était en train de se dire Flick…

A quelque tours de roues plus loin, la première dame se mit à pleurer. Prévoyant l'exposé de malheurs intéressants, Maurice fit signe à Barbara de prêter l'oreille.

Comme prévu, la seconde dame s'informa de la raison de ce chagrin. Mais, à sa voix, on devinait qu'elle était au courant de bien des choses.

La pleureuse renifla ses larmes et révéla qu'elle avait bien des tourments avec sa famille : son mari buvait, sa fille s'était mise en ménage avec un sidi, et son fils s'était inscrit au parti communiste.

La dame voisine poussa les interjections qui s'imposaient pour bien faire sentir sa supériorité de femme heureuse. Après quoi, elle aida son amie à trouver une bonne conclusion à ses catastrophes.

En définitive, l'espoir général à retenir fut celui-ci : le mari alcoolique était en train de prendre un début de cirrhose lui interdisant l'usage de tous liquides — hormis l'eau ; le sidi de la fille avait la gorge tranchée d'un coup de rasoir dans une rixe — dont ces gens-là sont friands ; quant au garçon, on l'obligeait à lire J'ai choisi la liberté à la faveur d'une angine ou d'une grippe. Il faisait amende honorable. La dame, qui avait des relations (côté soutane), obtenait sa réintégration au sein de l'Église. On lui faisait faire ses Pâques et le tour était joué. Ces questions réglées, on revint à la jambe articulée…

— On s'en va ? proposa Maurice. Il y a pas de seconde partie, le film recommence déjà.

Barbara prit une brassée de Flick et suivit son compagnon dans le couloir. Cinq minutes plus tard, ils arrivaient à destination.

* * *

— On a sonné, dit bonne-maman.

Zizi alla ouvrir, espérant que ce serait le shérif de l'opuscule qu'il lisait, venu pour lui demander s'il avait aperçu Petite-tête-de-Condor, le redoutable chef de la tribu des Eggs-and-Bacon, lequel dévastait la région depuis Poissy jusqu'à Elizabethville.

A sa profonde surprise, il se trouva, en pleine pampa, nez à nez avec Barbara, un jeune homme à moustaches et un animal imprécis.

— Bonjour, Zizi, fit gaiement Barbara. Ton papa est là ?

De la fenêtre de sa chambre, Jango aperçut les arrivants. La présence de Maurice l'inquiéta et lui fut pénible. Il abandonna le colonel et descendit quatre à quatre plus une les marches au nombre de vingt-neuf. La salle à manger était déserte ; bonne-maman, peureuse comme une belette, s'était cachée dans sa cuisine en voyant arriver du beau monde.

— Entrez ! dit Jango.

Il goba un baiser machinal sur la bouche de Barbara et serra la main fluide de Maurice.

— Bonjour, c'est gentil d'être venus. Il ajouta malicieusement en se tournant vers le jeune homme : Vous avez encore de la famille qui vous encombre ?

— Sans blague ! Dis donc, Barbara, il en a de l'esprit, ton copain. Tu m'avais caché ça.

— Oh, ça suffit, s'écria la jeune femme, on n'est pas venu ici pour se tirer la bourre…

Ils choisirent chacun un siège. Jango s'enferma dans une réserve méprisante tandis que Maurice commençait à promener sur le mobilier un regard appuyé et narquois.

— Dites, les bonshommes, attaqua Barbara, si vous continuez à faire cette tête, j'attrape mon chien et je m'en vais.

— Ton chien, rétorqua Maurice, de la façon dont il gémit, je devine qu'il meurt d'envie d'arroser le jardin de Monsieur. Tu ferais bien de lui enlever sa laisse et de lui ouvrir la porte…

Barbara fit ce que Maurice lui conseillait. Le chien bondit au-dehors en aboyant.

— Il est content, dit Jango. C'est un chien rigolo, comme tes poissons…

— Tu es gentil, remercia Barbara.

Sur un signe du jeune homme, elle mit Jango au courant des péripéties du matin. Elle lui raconta tout, y compris les intentions malsaines de Maurice pour le cas où les policiers verseraient le cadavre de la morgue à son débit.

— On est venu te trouver, conclut-elle, en espérant que tu trouverais un moyen d'arranger les choses.

— Ça demande réflexion, fit remarquer Jango, pris au dépourvu.

— Eh bien, réfléchis !

Elle se leva :

— Veux-tu m'indiquer les toilettes ? Dans ton sacré train, on prend plein de charbon sur la figure…

Jango s'apprêtait à faire un plan de son logis lorsqu'un clignement d'yeux de Barbara lui fit comprendre que l'histoire des toilettes n'était qu'un prétexte pour lui parler en particulier.

— Je vais te montrer.

Il l'entraîna dans son laboratoire.

— Tu as quelque chose à me dire ?

— Ne fais pas l'enfant. Tu dois bien penser que si je l'ai fait venir ici, c'est que j'avais une idée derrière la tête…

— Quelle idée ? demanda Jango.

— Je ne sais pas si tu te rends compte de la situation, mais elle est grave. Voilà un garçon qui va être arrêté d'un moment à l'autre. Salaud comme je le connais, il n'aura rien de plus pressé que de nous donner… Du reste, tu vois, il ne se gêne pas pour nous le dire…

— Et que veux-tu que j'y fasse ? questionna-t-il.

— Il y a une chose très simple à faire…

Jango allait questionner davantage, lorsqu'il lut la pensée de Barbara dans ses yeux.

Il eut un sursaut.

— Non ! s'écria-t-il.

Elle fut effrayée par son cri et lui mit la main sur la bouche. Jango dégagea ses lèvres doucement en tournant la tête à droite et à gauche.

— Tu es folle, gémit-il.

— Nous n'avons pas le choix. Tu l'envoies rejoindre son oncle et tout rentre dans l'ordre. Les flics supposeront qu'il s'est enfui.

— Mais c'est qu'elle me prend pour un assassin ! s'exclama Jango.

Un début de colère le faisait trembler. Il réussit pourtant à se calmer, mais son excitation courait encore sous sa peau. Il paraissait très fatigué, sa tension artistique de la matinée pesait sur ses épaules et Barbara constata qu'il avait sous les yeux autant de poches qu'un pantalon américain.

— Tu n'es pas malade ? s'inquiéta-t-elle.

— Oh, Barbara ! Barbara… Comment as-tu pu avoir une idée pareille ? Que je… C'était pour plaisanter, n'est-ce pas ?

La jeune femme comprit qu'elle ne parviendrait jamais à fléchir Jango.

— C'est dommage, soupira-t-elle. Ç'aurait été la solution idéale.

Elle sortit son poudrier et entreprit les réparations annoncées devant Maurice.

— Va le rejoindre, dit-elle à Jango.

* * *

Maurice n'avait pas bougé de sa chaise.

— Ça y est, demanda-t-il, vous avez mis un coup d'arnaque au point, tous les deux ?

Jango secoua la tête.

— Ne dites pas de bêtises…

— Avez-vous trouvé la fameuse solution que Barbara me promet depuis Paris ?

Jango ignora la question.

— Vous raisonnez comme un jeune cul-cul, mon garçon. Le mieux que vous ayez à faire, si la police vous interroge à nouveau, c'est de dire la vérité au sujet de votre voyage à Versailles.

— Pardine ! Et cinq minutes plus tard, je serai obligé de lever les deux mains pour me gratter le nez parce que j'aurai une gentille paire de menottes à mes poignets. Je vous vois venir… Vous vous dites qu'une fois sérieusement inculpé mes accusations tomberont à plat.

Barbara entra, la bouche neuve. Elle retourna s'asseoir à la place qu'elle occupait avant de sortir et ne dit rien. Elle avait pris son parti de la situation et s'appliquait à sécréter de l'indifférence.

— Sais-tu quel est le conseil que me donne ton copain le tueur ? fit Maurice à Barbara.

Non, Barbara ne savait pas. Elle ne désirait pas le savoir, du moins son geste l'indiquait.