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— Eh bien, allons-y, décida Troumane. J'ai tout mon temps, je t'accompagne…

Ils descendirent l'avenue.

Un car de Hollandais la remontait pour aller photographier la dalle sacrée.

Jango commençait à trouver gênante la présence de Troumane.

Il chercha à le lui faire comprendre sans le heurter.

— C'est un rendez-vous galant.

— Elle est belle ? questionna simplement Troumane.

— Elle a des formes…

Ils dépassèrent l'avenue Montaigne et s'engagèrent sous les arbres.

— Où allons-nous ? demanda le sadique.

— Vers la Madeleine.

— Ça nous fait une bonne promenade digestive.

Jango fut irrité de cette insistance. Il pénétra dans le premier urinoir qu'ils rencontrèrent et se décora de la rosette. Il ressortit et passa devant Troumane qui, bien entendu, ne le reconnut pas. Il s'éloigna tranquillement. Cinq minutes plus tard, le sadique le dépassa en courant, la main en visière au-dessus des yeux.

* * *

La boulangère attendait Jango à la terrasse du Weber, devant une glace à la vanille. Elle s'était déguisée en boulangère-de-sortie-à-Paris. Pour ce faire, elle avait mis un corsage bien fourni en dentelle, une jupe imprimée jaune et un chapeau de paille large comme le toit d'une hutte.

Jango s'avança vers sa table et s'inclina.

— Madame Édith ? demanda-t-il.

— Mais… oui.

— Je viens de la part de mon ami Jango…

— Ah ! fit la boulangère d'un ton neutre.

— Il a eu un empêchement de dernière heure et il m'a téléphoné de venir l'excuser.

— Je vous remercie, murmura la brune ardente, déçue du haut en bas.

Avec autorité, Jango tira une chaise à lui.

— Vous permettez ?

— Je vous en prie.

— Vous accepterez bien quelque chose ?

— Je prends déjà une glace, minauda Édith.

— Justement, fit observer Jango, ça donne soif.

Conquise par cette exquise politesse, la dame se consola de la carence du Jango-première-manière.

— Je serais curieuse de savoir comment vous avez pu me trouver du premier coup, dit-elle.

— Oh ! C'était très facile, assura Jango. Mon ami Jango, qui est un connaisseur, m'a dit : « Tu ne peux pas te tromper, c'est la femme la mieux faite qui sera assise à la terrasse. »

— Flatteur !

Jango attrapa la main de sa voisine et la porta à ses lèvres.

— Je crois, dit-il, que vous disposez de votre après-midi ; je serais heureux si vous me permettiez de vous emmener au cinéma.

La dame ne fut pas longue à se décider.

Jango était intéressé par son expérience et ne doutait plus de sa réussite.

Ils prirent un taxi. Le taxi est un instrument de séduction capital et, au fond, peu onéreux. Ils se firent conduire à un cinéma du boulevard des Italiens où l'on donnait Fabiola.

Dans le noir, leurs mains se joignirent. Ils s'embrassèrent bien avant Mme Morgan et M. Vidal. Sans trop tâtonner, Jango trouva la jarretelle de sa compagne.

— Polisson, chuchota la boulangère.

Au bout d'un moment, ils ne surent plus bien quel était leur fauteuil respectif… Des demoiselles à bon Dieu, venues assister au martyrologe des premiers chrétiens, commencèrent à tousser. La plus âgée finit par dire à mi-voix que la France ne se remettrait jamais de la guerre tant que des couples sans moralité ni retenue porteraient le scandale aux yeux de l'innocence et de la pureté.

— Si on partait ? proposa Jango.

La boulangère ne demandait pas mieux… Les pommettes en feu, ils quittèrent le cinéma d'une démarche de funambules.

Ils tournèrent la rue Taitbout et gagnèrent la rue de Provence aux petits hôtels accueillants.

Moyennant quelque trois cents francs, Jango acheta une heure d'isolement dans une chambre de passe.

— Vous n'êtes pas sérieux, assura la boulangère qui connaissait les usages.

En guise de réponse, Jango lui entoura la taille et lui dit que plus rien ne comptait.

Aussitôt, il éprouva un remords en songeant qu'il se cocufiait soi-même.

— C'est mal, gémit-il, je trahis mon meilleur ami.

La brune ardente, qui désirait davantage un mâle qu'un objecteur de conscience, assura que Jango n'était qu'un triste rapin, timoré et verbeux, et qu'elle voulait l'oublier.

Elle comptait ainsi que, grâce à l'émulation, elle obtiendrait de l'ami dévoué de sérieux témoignages de virilité.

Après quelques gâteries, la boulangère passa derrière le paravent afin de se dévêtir. Jango enleva sa veste. La glace du lavabo lui renvoya son véritable visage.

Il fronça les sourcils, reprit promptement sa veste et chercha à la hâte un prétexte lui permettant de faire l'amour tout habillé.

Un moment, il eut l'idée d'invoquer une mauvaise grippe, mais il régnait une telle chaleur dans la chambre exiguë qu'il y renonça. Il ne pouvait pas sous peine de crouler sous le ridicule alléguer une timidité fortement démentie par ses manœuvres préparatoires.

Le fétichisme n'était pas un argument non plus. Il allait se décider à redevenir Jango lorsqu'il se produisit une rumeur dans le couloir.

Des coups furent frappés à la porte.

Jango alla ouvrir.

Il se trouva en présence du boulanger que le personnel de l'hôtel essayait de calmer.

— Jules ! cria Édith.

— Cette fois, gredine, j'ai la preuve…

— On ne faisait pas de mal, murmura Jango.

Ce dernier se félicitait d'avoir endossé sa veste, ce qui le rendait méconnaissable. Derrière son aspect de décoré, il se sentait à l'abri.

Le boulanger eut l'air de sortir d'un songe. D'un très mauvais songe qui vous brise les nerfs. Il se mit à pleurer.

Voyant que tout danger était conjuré, les garçons d'étage retournèrent à leurs bidets…

— Je suis un malheureux, larmoya le boulanger. Je me doutais depuis longtemps que je l'étais… Alors, je t'ai suivie…

— C'est du propre ! dit Édith.

Elle prit Jango à témoin :

— Enfin, monsieur, je vous fais juge… Est-ce un procédé ? Suivre sa femme, comme un flic suit un malfaiteur… Qui m'aurait dit ça à l'époque où cet individu me faisait la cour…

Navré de voir que cette nouvelle expérience avait échoué, Jango n'avait plus que le désir de s'éclipser.

Après des paroles de modération, il laissa les époux à leurs griefs.

Ceux-ci ne durèrent pas très longtemps. Troublé par la tenue de sa femme et par l'atmosphère du lieu, lourde de sueur et de soupirs, le boulanger fit amende honorable et, la chambre étant payée, il l'utilisa au mieux pour apaiser les ardeurs de sa femme et réussir la réconciliation.

CHAPITRE IX

Le juge Pompard se haussa sur la pointe des pieds pour permettre à ses fesses tristes d'atteindre la banquette. Il les déposa précautionneusement sur la moleskine et sortit de ses poches tous les quotidiens de Paris. Au moment où Jango le rejoignit, la table de la brasserie ressemblait à l'éventaire d'un dépositaire Hachette.

— Bigre, dit Jango, vous vous intéressez à l'actualité, à ce que je vois…

L'homme-à-tête-de-tirelire leva doucement sur l'arrivant des yeux lourds de tristesse.

— Vous avez lu ? demanda-t-il.

— Quoi donc ?

— Ça !

— Le tremblement de terre ?

— Non, ça…

Il écrasa son index dodu sur un titre

« Étrange disparition de la femme d'un juge d'instruction et d'une de ses amies », lut Jango.