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Ils se séparèrent après de vives congratulations. Ils étaient enchantés l'un de l'autre…

Comme le train s'ébranlait, Pinaud se rua à la portière en gesticulant ; il venait seulement de se rappeler le motif de sa visite à Jango. Tout à la joie de la création, il avait complètement oublié son enquête.

Jango entendit vaguement les mots : témoignage… deux femmes… juge d'instruction… Mais déjà le convoi plongeait dans la fumée rougeoyante de la locomotive…

Lorsqu'il revint à la maison, il trouva bonne-maman et Zizi très excités.

— C'est incompréhensible ! disait bonne-maman. Le lapin vient de guérir tout de go. Ce matin, il allait tellement mal que j'avais presque envie de le faire tuer par le voisin ; il grelottait de fièvre et restait couché sur le côté. Maintenant, regarde-le : il trotte comme… comme un… lapin !

En effet, le lapin blanc ne semblait plus se ressentir de sa cruelle blessure. Il arpentait la table avec entrain en flairant le vide qui l'entourait. Son nez rose avait recouvré sa mobilité et son œil rouge sa lubricité. Zizi alla lui déterrer une carotte. Il la mangea sans se faire prier, en faisant claquer son bref menton.

— Tu y comprends quelque chose ? demanda bonne-maman.

Jango sourit.

— C'est le colonel, M'man.

— Le colonel ?

— Mais oui… Il est heureux du grand cordon, il m'a pardonné le coup de la rosette ; alors nos ennuis finissent…

La vieille femme médita un instant.

— C'était un brave homme, dit-elle, et même mort, il a su rester bon. Tu vois, pour une gentillesse que tu lui fais, le voilà qui se met en quatre…

Avant d'aller au lit, ils montèrent dire un petit bonsoir au vieil officier. Bonne-maman exigea de Zizi qu'il le citât dans sa prière.

— Tu devrais essayer de le remercier pour le lapin, conseilla-t-elle à son fils. Tu sais, les vieux, et surtout les morts, un rien leur fait plaisir.

— Je ne peux pourtant pas lui acheter des dattes, dit Jango.

— Bien sûr, il faut réfléchir…

— Si tu lui faisais jouer le phono ? proposa Zizi qui raffolait de ce genre de distraction et espérait, dans le cas où son père accepterait, avoir sa part de l'aubaine.

— Le petit n'est pas bête, plaida bonne-maman. Un air militaire… fatalement, ça doit être agréable à un colonel. La preuve, c'est qu'on joue toujours de la musique à leur enterrement. Lui n'en a pas eu, penses-y !

Sans mot dire, Jango descendit le phonographe à pavillon du grenier. Il fit jouer successivement Sambre et Meuse, La Madelon, Le Père La Victoire et, sur les instances de Zizi, un sketch de Bach et Lavergne.

CHAPITRE XII

— Je vous écoute, dit le juge Pompard.

Sainte-Thérèse avança de quelques centimètres ses maigres fesses sur le bord de sa chaise. Le juge regarda cette reptation avec intérêt ; il se demanda quelle attitude adopter pour le cas où la vieille servante viendrait à choir.

— Je vous écoute, répéta-t-il sans marquer d'impatience.

— Eh bien, voilà, commença Sainte-Thérèse, c'est pour le pauvre défunt de la morgue… Je crois bien, mon juge, que je me suis trompée et qu'il ne s'agit pas de lui…

Pompard, qui connaissait les dessous de l'histoire, maîtrisa un mouvement d'allégresse.

— Inscrivez ! ordonna-t-il à son greffier à tête de masturbé encéphalique.

— Bien sûr, il ressemble à mon pauvre maître, il lui ressemble comme un jumeau, mais ça n'est pas lui.

— Voyons, fit le juge par esprit de conscience ; vous ne revenez pas sur votre premier témoignage pour innocenter le neveu de monsieur le colonel Borrel ?

— Oh, pas du tout ! fit vivement Sainte-Thérèse. Il peut bien moisir en prison, le gredin, doux Jésus !

— Alors, quelle est la cause de vos nouvelles déclarations ?

La servante avança encore sur son siège : maintenant, elle n'avait plus de contact avec lui que par l'épine dorsale de son corset.

— Un détail, balbutia-t-elle, un petit détail m'a prouvé que ça ne pouvait être lui. Mon maître était officier de la Légion d'honneur ; il attachait un grand prix à sa rosette et la portait sur tous ses vêtements, y compris sur sa robe de chambre, son imperméable et son pyjama. Il ne serait jamais sorti sans elle…

— Alors ?

— Alors, je me suis souvenue que le mort de la morgue n'était pas décoré. Je suis retourné vérifier. Je ne me trompais pas…

Le juge trouvait l'argument bien fragile.

— Peut-être cette rosette a-t-elle disparu pendant le transfert du corps ? objecta Pompard.

— Non, dit Sainte-Thérèse, car lorsqu'on enlève la décoration, elle laisse au revers du vêtement une petite tache ronde comme de la moisissure. Et puis, je vous avouerais, ajouta la vieille fille, que j'ai regardé le corps (elle se signa) de plus près. Ça n'est vraiment pas Monsieur…

Pompard était enchanté par la tournure que prenaient les événements. Il avait passé une nuit blanche, non que le remords le torturât, mais parce qu'il redoutait que Maurice fît des révélations au sujet de Jango, ce qui, invariablement, aurait provoqué une catastrophe. Déjà, il avait été dans l'obligation de mettre la police au courant de l'histoire du pavillon à louer. L'inspecteur Pinaud enquêtait de ce côté-là et il redoutait que l'intelligent policier découvrît le pot aux roses chez Jango. Mais l'espoir renaissait dans son cœur.

— Ma foi, fit-il, si vous êtes aussi affirmative… Il y a longtemps que vous êtes en service chez le colonel ?

— Vingt ans !

— Vous faisiez la cuisine ?

— Oui…

— Vous réussissez bien le bœuf braisé ? demanda-t-il d'un ton gourmand.

— Mais… oui ! dit Sainte-Thérèse.

La surprise manifestée par la vieille bonne ramena Pompard à la réalité.

— N'inscrivez pas ceci, dit-il au greffier.

Le masturbé encéphalique fit à son chef un signe rassurant.

A ce moment, il se produisit un choc mou.

Les deux hommes se précipitèrent pour relever Sainte-Thérèse qui venait de glisser de son siège.

* * *

Maurice respira voluptueusement l'air capiteux de la liberté. Il huma le vent de Paris, puissant et doré comme un athlète, et, à pas lents, se dirigea vers Montparnasse.

Les paroles d'adieu du juge tournaient dans son crâne.

— Monsieur, lui avait dit le magistrat après qu'il eut ordonné à son greffier de sortir, nous avons la preuve qu'en effet le décédé de la morgue n'est pas votre oncle. En conséquence, nous vous relâchons. Il n'empêche, et je vous le dis en tête à tête, que je suis persuadé de la mort de M. le colonel Borrel. J'ai aussi la conviction que vous avez joué un très vilain rôle dans cette disparition. Je vais donc vous faire une confidence et vous donner un paternel conseil…

« Nous avons, pour les besoins de l'enquête, fait ouvrir le testament de votre parent ; je puis vous apprendre qu'il vous a déshérité au profit d'une de ses maîtresses, une certaine Albertine Catin, dite Barbara ; vous n'avez donc aucun bien matériel à attendre de ce côté-là.

« Partant de cette certitude, je m'autorise à vous dire, jeune homme : Halte-là ! Fuyez cette ville de perdition, que vous ayez ou non l'âme en paix. »

Le juge s'était interrompu… pour respirer, croyait Maurice ; en réalité, il cherchait des arguments destinés à convaincre le garçon de la nécessité de partir. Pompard estimait que la présence à Paris de ce débauché était dangereuse pour Jango et… de ce fait, pour lui.