Выбрать главу

Elle, c’était la voix de la raison. Elle regardait l’existence avec des lunettes bien à sa vue.

— Pourquoi dis-tu cela, ma chérie ?

— Justement, parce qu’il a d’étranges manières. Quand il nous regarde, on dirait qu’il va nous dévorer… Tu sais, maman, on ferait bien de prévenir le maire… C’était un ami de papa, et il nous dit encore bonjour, lui…

À quoi bon, a soupiré Mme Broussac ; nous serions obligées de lui apprendre les dernières incartades de votre malheureux frère… Le pays saura bien assez tôt, va !

J’ai trouvé opportun de faire mon entrée. Les mains aux poches, un foulard de Maurice autour du cou, et ses pantoufles fourrées aux pieds. Je jouais les mylords, j’étais doué pour…

— Bravo ! ai-je crié, manière de les faire sursauter un bon coup.

L’effet était réussi. Elles ont poussé toutes les trois le même cri.

— C’est madame votre mère qui a raison, ai-je déclaré. Vous avez tout intérêt à ce qu’on reste gentiment en famille… Maintenant, pour ce qui est de ma qualité de flic, si vous avez des doutes, je vous montrerai ma carte… Tout à votre service…

J’aurais pu jouer les gros bras, comme ça, pendant cent six ans. Elles étaient bon public, les dames Broussac. On leur aurait montré un numéro de haute voltige, elles n’auraient pas ouvert plus grands les yeux.

Je les ai plantées au beau milieu de leur stupeur pour aller me verser une tasse de café à la cuisine. Cette fois-ci, j’ai bien fait attention de ne rien casser. Mes manières d’éléphant en bordée m’inquiétaient. C’est beau d’être un dur, mais à condition de pouvoir jouer les gentlemen quand besoin est…

L’horloge à balancier de la salle à manger a sonné dix heures… Une belle journée s’étalait devant moi, avec du soleil et des odeurs d’herbe qui arrivaient par bouffées, selon le vent.

J’ai pensé que Maurice avait peut-être planqué le magot dans l’atelier. Au milieu de ce capharnaüm, c’était un vrai régal de jouer à cache-cache-mon-petit-agneau.

* * *

Le vieux fabriquait des masques sur une emboutisseuse actionnée par une pédale. Il mettait un carré de carton sous la presse, il appuyait sur la pédale, et quand le dessus de l’emboutisseuse se relevait, il y avait un masque non peint à la place du morceau de carton. Il le sortait, le tendait à la bigleuse qui affranchissait les bords avec des ciseaux courbes.

En me voyant entrer, il a eu une grimace qui disait toute la sympathie que je lui inspirais.

Ce brave homme m’aimait autant qu’une épidémie de grippe.

— Comment, vous êtes encore là ! s’est-il écrié.

Il a tiré sa saloperie de langue blanchâtre, râpeuse, prolongée par un affreux mégot. La petite arpette qui l’aidait me contemplait avec des yeux gros comme des poings. Ses lunettes de myope la faisaient ressembler à un horrible poisson crevé.

— Ben voyons, ai-je réparti. Je suis un grand ami de Maurice… Je viens passer quelques jours de vacances chez sa mère. Toujours Paris, on finit par avoir les nerfs comme une corde de guitare…

Je me suis emparé d’un masque en cours de fabrication.

Je ne voyais pas du tout qui il voulait représenter.

— Je ne connais pas ce monsieur, ai-je dit en me le plaquant sur le visage. Présentez-moi !

— Paul Reynaud, a bougonné le bonhomme.

J’ai regardé le masque. Oui, en effet, si ça n’était pas un singe, c’était bien Paul Reynaud.

— Mince, il fait encore marrer le populo, celui-là !

La bigleuse a poussé un rire stupide qui ressemblait à une poignée de noix roulant sur un parquet ciré.

— Au travail, Jeanne ! a mugi le vieux en continuant son boulot.

J’ai examiné le local. Il allait me falloir un bout de temps pour l’explorer sérieusement… Il comportait des rayonnages en veux-tu en voilà ! Sans parler des pyramides de caisses et de vieux cartons qui se dressaient dans le fond…

— Vous cherchez quelque chose ? m’a demandé le vieil ouvrier en rallumant son ignoble mégot.

J’ai pris une échelle et l’ai appliquée contre le rayonnage le plus inaccessible.

— Si c’était de la poussière que je cherche, je serais servi. On ne fait donc jamais le ménage dans votre bordel !

Il a haussé les épaules. La môme myope a de nouveau rigolé de façon idiote.

Comme j’atteignais le faîte de l’échelle, une sonnerie a retenti.

Ça ressemblait au timbre d’appel d’un poste téléphonique, et pourtant il n’y avait aucun appareil dans l’atelier.

— C’est le téléphone ? ai-je demandé à la petite bigleuse.

— Oui.

— Où est-il ?

— Dans la maison. C’est un autre signal pour quand Mme Broussac est là avec ses demoiselles.

La sonnerie venait de s’arrêter. Je me suis laissé couler au bas de l’échelle et j’ai fait fissa jusqu’à la maison.

La voix de Mme Broussac était en train de dire :

— À qui voulez-vous parler ? À monsieur comment ? Lino ?

Je suis intervenu :

— Envoyez, c’est pour moi.

Sylvie se tenait dans l’encadrement. Elle s’est écartée vivement pour me laisser passer. Sa frangine arrivait de la cuisine, intriguée.

J’ai arraché l’écouteur des mains de la vieille.

J’ai reconnu la voix calme de Max.

— Ici Lino.

— C’est pas dommage. Qui est-ce qui m’a répondu ?

— Mme Broussac.

— Elle roule sur la jante ou quoi ?

— C’est la province, mon vieux.

J’ai regardé en direction de la porte. Elles étaient toutes les trois immobiles, à me regarder. Un drôle de groupe… cette vieille dame malheureuse avec ses deux filles.

J’ai mis la main sur l’émetteur.

— Allons, allons, mesdames, ai-je crié, et la discrétion !

Ça valait le jus ! Moi qui venais me moucher dans leurs rideaux, leur donner une leçon de savoir-vivre ! Ç’a été un sauve-qui-peut…

En riant, je suis revenu à mon interlocuteur.

— Excuse, je faisais évacuer le pont ! Alors ?…

— C’est moi qui te dis « alors », Lino. Tu as du neuf ?

— Zéro.

— Tu ne crois pas que Maurice t’a bourré le mou en te disant que les bijoux se trouvaient chez sa vieille ?

— Non ! quand il m’a dit ça, il ne pensait pas à mentir…

Tu parles ! Il t’a déjà eu jusqu’au trognon !

— Justement, l’idée ne lui serait pas venue de me pigeonner une seconde fois…

— Alors, si les cailloux sont dans la maison, trouve-les !

— Je les cherche !

— Remue-toi !

— Merci du conseil… Si tu crois que je m’amuse…

Il a eu son affreux rire blanc qui me donnait mal au cœur.

— Si tu as besoin de nous, Lino, tu n’as qu’un geste à faire : nous ne sommes pas loin.

Ça voulait tout dire. J’ai raccroché sans un mot. Les choses se gâtaient…

Elles m’attendaient dans le couloir. Sur leurs figures crispées, j’ai lu que de leur côté non plus ça ne tournait pas rond. À cause de Maurice, je m’étais laissé embarquer dans une sale affaire. Faudrait bien qu’il me paye ça un jour. Et le plus tôt serait le mieux.

— Ah ! voilà mes petites indiscrètes !

J’ai eu tort de charger. Mme Broussac s’est mise en pétard.

— Monsieur, je ne crois pas que vous soyez bien placé pour parler de discrétion dans cette maison.

Et allez donc ! J’ai plus su que répondre. Évidemment, si on partait dans les grands mots, je jouais perdant, avec mon vocabulaire de triquard.