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Mme Broussac était décomposée. On allait encore avoir la séance avec son cœur, ses palpitations et tout…

Dans l’atelier, j’avais fait une tache de peinture à ma veste, sous la manche. C’était en prenant l’échelle.

En guise de réponse, j’ai posé ma veste et l’ai tendue à Jacqueline.

— Dites, mignonne, vous n’auriez pas un détachant pour ça ? Je me suis un peu salopé dans votre fabrique de cauchemars.

— Je ne suis pas votre domestique !

Maintenant, la grande bringue s’y mettait !

Mes doigts se sont crispés sur le vêtement que je brandissais.

— Pas de manières ! Vous allez me détacher ça tout de suite, compris ? Mettez-vous dans le crâne une fois pour toutes que vous êtes la mère et les sœurs d’un gibier de potence. C’est pas de votre faute, je sais ; n’empêche que ça crée des obligations… Allez, oust ! Exécution…

Je lui ai balancé la veste sur la figure. Elle n’a pas bronché, n’a pas tendu le petit doigt pour la retenir. Mon veston est tombé sur le carreau du vestibule. Il y a eu un moment assez terrible, je crois. Mme Broussac s’est baissée et a ramassé le vêtement. Puis elle a fait demi-tour pour aller frotter la tache.

Jacqueline a paru sortir de sa torpeur.

— Non, donne ! a-t-elle murmuré en prenant ma veste des mains de sa vieille.

Sylvie est remontée au premier, son violon sous le bras. En gravissant les marches, elle me regardait. Ses yeux de petite fille renfermaient quelque chose que je ne connaissais pas : de la peur, un peu, oui je pense, et puis aussi autre chose…

Mme Broussac est rentrée dans son bureau.

— Goujat ! m’a-t-elle lancé au passage…

Je commençais à en avoir soupé de ces femelles.

L’envie me prenait de tout casser dans la baraque.

Je suis allé à la cuisine, prendre des nouvelles de mon veston. Vous pensez peut-être que Jacqueline s’escrimait sur la fameuse tache ? Pas du tout ! La garce était trop occupée à explorer mon porte-cartes.

Elle le potassait comme un général potasse sa carte d’état-major avant de lancer l’ordre d’attaque.

Mon entrée a porté un coup à son moral. Il faut dire que j’arrive toujours sans bruit. Je suis costaud, mais on ne m’entend pas venir. Les tigres aussi sont trapus et pourtant ils marchent sur du velours.

— Alors, ma grande fille, on prend le chemin du frangin ?

Elle a posé le portefeuille sur la table. J’ai compris, à la manière dont elle le regardait, que ça n’était pas mon arrivée inopinée, mais mes papiers qui l’effrayaient. J’ai récupéré la pochette de cuir. À l’intérieur se trouvaient certaines pièces d’identité qui ne trompent personne, pas même une petite provinciale chaste et pure.

— Vous n’êtes pas de la police ! a-t-elle balbutié.

— Et alors, ça te choque ?

Elle a secoué la tête, éperdue.

Je ne comprends pas.

— Voyons, fais un effort : t’es instruite ! Ça me soulageait de ne plus avoir besoin de tricher. Maintenant, on allait s’expliquer dans le calme et la dignité.

— Vous êtes un ami de Maurice ?

— Une vermine comme lui n’a pas d’ami, c’est impossible !

Elle a secoué la tête, voulant, semble-t-il, chasser de son esprit une pensée qui l’effrayait.

— La bande qui le recherche…

J’ai souri.

— Tu brûles !

Vous ne pouvez pas savoir ce que la peur lui allait bien, à cette fille !

Ça lui donnait des couleurs, et de l’éclat. Elle avait le feu aux joues, le regard brillant, la poitrine qui se soulevait.

J’ai avancé la main sur cette poitrine menue mais bien dessinée.

Elle n’a pas eu un geste de parade. Elle ne s’apercevait même pas de ce qui se passait. J’ai caressé son corsage. Ses seins étaient fermes. Je me suis filé contre elle, étroitement, comme du papier adhésif ! Ses formes m’émoustillaient. Dans le fond, elle m’excitait plus que sa sœur. Ça n’était pas la même qualité de sensation, quoi, vous comprenez ? La petite m’intéressait surtout sur le plan moral. Tandis que Jacqueline…

Heureusement, je ne perds jamais complètement le nord. « Enfin quoi, Lino, me suis-je dit, tu ne vas pas te faire cette demoiselle dans la cuisine, avec sa brave maman dans la pièce à côté et sa petite sœur en haut qui fait des gammes ! »

Pourtant j’ai laissé glisser ma main le long de son corps. Avec tout ce tintouin, ça faisait près de huit jours que je n’avais pas vu Rita, et franchement, je m’en ressentais. Brusquement, Jacqueline est revenue à elle. Comme quelqu’un qui dormait et qu’on a réveillé avec un seau d’eau froide !

Elle a passé sa main par-dessus mon bras. J’ai pris ses ongles de tigresse en pleine figure. Une herse brûlante m’a traversé la joue. En même temps, elle s’était arc-boutée contre le mur pour me repousser. J’ai lâché prise. Elle avait une façon d’accueillir les hommages, cette petite femelle, qui décourageait les gros tempéraments.

Tout s’est mis à chavirer devant ma vue. J’ai perdu les pédales dix secondes, abruti par la colère. J’ai oublié que c’était une fille et j’ai cogné. Un crochet sec, au flanc. Ça lui a coupé net la respiration. Elle a ouvert la bouche, mais aucun son n’en est sorti. Enfin elle a pu exhaler un étrange soupir pareil à un râle. Elle s’est effondrée. Un voile rouge s’est alors déchiré devant mes yeux. Je me suis rendu compte que je venais de biller dans une femme. C’est pas que j’aie eu honte ; non, moi la honte, vous savez… Mais je l’ai prise un peu en pitié. Ou je ne sais pas… Bref, je l’ai chopée contre moi. À l’oreille, tandis qu’elle haletait pour retrouver sa respiration, je lui chuchotais des choses.

— Excuse… J’ai eu un mauvais réflexe… Je voulais pas te faire mal…

Elle m’a glissé des bras et s’est assise sur un tabouret. Elle tenait sa main à l’endroit de la meurtrissure. On voyait qu’elle devait salement souffrir.

— Tu te sens mal, mon petit ?

Elle est parvenue à parler. Et vous savez ce qu’elle m’a dit ? « Faut-il que mon frère soit tombé bas pour fréquenter des hommes tels que vous ».

Illico ma rogne est revenue. Moi qui avais déjà pitié d’elle ! Comme quoi il ne faut pas dorloter une femme si on veut en venir à bout ! Je lui ai pris le visage dans ma main. J’ai des pattes terribles. On lui voyait juste un œil entre mes doigts écartés, et puis ses cheveux par-dessus mes ongles carrés.

— Assez de mômeries, Jacqueline. Il vaut mieux maintenant que tu saches la vérité. J’en avais marre de chiquer au poulet ; c’est pas dans mes emplois.

« Voilà l’histoire, telle que : ton frère faisait partie de notre bande. C’est moi qui l’avais présenté à ces messieurs. On a fait une bijouterie, à Nice, pendant le carnaval justement… Tu vois, on est sous le signe des masques décidément. Cette lope de Maurice conduisait la voiture… Tu me suis ?

Elle a battu des paupières. Je l’intéressais…

On entendait la petite Sylvie qui raclait son violon au premier en jouant des trucs qui donnaient envie de pleurer…

— Il s’est taillé avec le butin, tu comprends ?

— Oui.

— Alors, faut que je retrouve les bijoux, c’est une question de vie ou de mort pour moi. Et puis faut aussi que je récupère ton frangin !

J’ai fermé les yeux pour mieux évoquer la jolie gueule de Maurice, son beau visage de bourgeois de faculté, avec ses cheveux blonds et sa bouche gourmande qui faisait battre le cœur des filles.

— Lui, ai-je soupiré, c’est devenu mon vice en quelque sorte…

— Qu’allez-vous faire ? a-t-elle questionné à voix basse.