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-Vous etes trop bonne, madame Francois, j'irai terminer mon etude, un de ces jours... Lundi, je n'ai pas pu... Est-ce que votre grand prunier a encore toutes ses feuilles?

-Certainement.

-C'est que, voyez-vous, je le mettrai dans un coin du tableau. Il fera bien, a gauche du poulailler. J'ai reflechi a ca toute la semaine... Hein! les beaux legumes, ce matin je suis descendu de bonne heure, me doutant qu'il y aurait un lever de soleil superbe sur ces gredins de choux.

Il montrait du geste toute la longueur du carreau. La maraichere reprit:

-Eh bien, je m'en vais. Adieu... A bientot, monsieur Claude!

Et comme elle partait, presentant Florent au jeune peintre:

-Tenez, voila monsieur qui revient de loin, parait-il. Il ne se reconnait plus dans votre gueux de Paris. Vous pourriez peut-etre lui donner un bon renseignement.

Elle s'en alla enfin, heureuse de laisser les deux hommes ensemble. Claude regardait Florent avec interet; cette longue figure, mince et flottante, lui semblait originale. La presentation de madame Francois suffisait; et, avec la familiarite d'un flaneur habitue a toutes les rencontres de hasard, il lui dit tranquillement:

-Je vous accompagne. Ou allez-vous?

Florent resta gene. Il se livrait moins vite; mais, depuis son arrivee, il avait une question sur les levres. Il se risqua, il demanda, avec la peur d'une reponse facheuse:

-Est-ce que la rue Pirouette existe toujours?

-Mais oui, dit le peintre. Un coin bien curieux du vieux Paris, cette rue-la! Elle tourne comme une danseuse, et les maisons y ont des ventres de femme grosse... J'en ai fait une eau-forte pas trop mauvaise. Quand vous viendrez chez moi, je vous la montrerai... C'est la que vous allez?

Florent, soulage, ragaillardi par la nouvelle que la rue Pirouette existait, jura que non, assura qu'il n'avait nulle part a aller. Toute sa mefiance se reveillait devant l'insistance de Claude.

-Ca ne fait rien, dit celui-ci, allons tout de meme rue Pirouette. La nuit, elle est d'une couleur!... Venez donc, c'est a deux pas.

Il dut le suivre. Ils marchaient cote a cote, comme deux camarades, enjambant les paniers et les legumes. Sur le carreau de la rue Rambuteau, il y avait des tas gigantesques de choux-fleurs, ranges en piles comme des boulets, avec une regularite surprenante. Les chairs blanches et tendres des choux s'epanouissaient, pareilles a d'enormes roses, au milieu des grosses feuilles vertes, et les tas ressemblaient a des bouquets de mariee, alignes dans des jardinieres colossales. Claude s'etait arrete, en poussant de petits cris d'admiration.

Puis, en face, rue Pirouette, il montra, expliqua chaque maison. Un seul bec de gaz brulait dans un coin. Les maisons, tassees, renflees, avancaient leurs auvents comme " des ventres de femme grosse, " selon l'expression du peintre, penchaient leurs pignons en arriere, s'appuyaient aux epaules les unes des autres. Trois ou quatre, au contraire, au fond de trous d'ombre, semblaient pres de tomber sur le nez. Le bec de gaz en eclairait une, tres-blanche, badigeonnee a neuf, avec sa taille de vieille femme cassee et avachie, toute poudree a blanc, peinturluree comme une jeunesse. Puis la file bossuee des autres s'en allait, s'enfoncant en plein noir, lezardee, verdie par les ecoulements des pluies, dans une debandade de couleurs et d'attitudes telle, que Claude en riait d'aise. Florent s'etait arrete au coin de la rue de Mondetour, en face de l'avant-derniere maison, a gauche. Les trois etages dormaient, avec leurs deux fenetres sans persiennes, leurs petits rideaux blancs bien tires derriere les vitres; en haut, sur les rideaux de l'etroite fenetre du pignon, une lumiere allait et venait. Mais la boutique, sous l'auvent, paraissait lui causer une emotion extraordinaire. Elle s'ouvrait. C'etait un marchand d'herbes cuites; au fond, des bassines luisaient; sur la table d'etalage, des pates d'epinards et de chicoree, dans des terrines, s'arrondissaient, se terminaient en pointe, coupes, derriere, par de petites pelles, dont on ne voyait que le manche de metal blanc. Cette vue clouait Florent de surprise; il devait ne pas reconnaitre la boutique; il lut le nom du marchand, Godeboeuf, sur une enseigne rouge, et resta consterne. Les bras ballants, il examinait les pates d'epinards, de l'air desespere d'un homme auquel il arrive quelque malheur supreme.

Cependant, la fenetre du pignon s'etait ouverte, une petite vieille se penchait, regardait le ciel, puis les Halles, au loin.

-Tiens! mademoiselle Saget est matinale, dit Claude qui avait leve la tete.

Et il ajouta, en se tournant vers son compagnon:

-J'ai eu une tante, dans cette maison-la. C'est une boite a cancans... Ah! voila les Mehudin qui se remuent; il y a de la lumiere au second.

Florent allait le questionner, mais il le trouva inquietant, dans son grand paletot deteint; il le suivit, sans mot dire, tandis que l'autre lui parlait des Mehudin. C'etaient des poissonnieres; l'ainee etait superbe; la petite, qui vendait du poisson d'eau douce, ressemblait a une vierge de Murillo, toute blonde au milieu de ses carpes et de ses anguilles. Et il en vint a dire, en se fachant, que Murillo peignait comme un polisson. Puis, brusquement, s'arretant au milieu de la vue:

-Voyons, ou allez-vous, a la fin!

-Je ne vais nulle part, a present, dit Florent accable. Allons ou vous voudrez.

Comme il sortait de la rue Pirouette, une voix appela Claude, du fond de la boutique d'un marchand de vin, qui faisait le coin. Claude entra, trainant Florent a sa suite. Il n'y avait qu'un cote des volets enleve. Le gaz brulait dans l'air encore endormi de la salle; un torchon oublie, les cartes de la veille, trainaient sur les tables, et le courant d'air de la porte grande ouverte mettait sa pointe fraiche au milieu de l'odeur chaude et renfermee du vin. Le patron, monsieur Lebigre servait les clients, en gilet a manches, son collier de barbe tout chiffonne, sa grosse figure reguliere toute blanche de sommeil. Des hommes, debout, par groupes, buvaient devant le comptoir, toussant, crachant, les yeux battus, achevant de s'eveiller dans le vin blanc et dans l'eau-de-vie. Florent reconnut Lacaille, dont le sac, a cette heure, debordait de legumes. Il en etait a la troisieme tournee, avec un camarade, qui racontait longuement l'achat d'un panier de pommes de terre. Quand il eut vide son verre, il alla causer avec monsieur Lebigre, dans un petit cabinet vitre, au fond, ou le gaz n'etait pas allume.

-Que voulez-vous prendre? demanda Claude a Florent.

En entrant, il avait serre la main de l'homme qui l'invitait. C'etait un fort, un beau garcon de vingt-deux ans au plus, rase, ne portant que de petites moustaches, l'air gaillard, avec son vaste chapeau enduit de craie et son colletin de tapisserie, dont les bretelles serraient son bourgeron bleu. Claude l'appelait Alexandre, lui tapait sur les bras, lui demandait quand ils iraient a Charentonneau. Et ils parlaient d'une grande partie qu'ils avaient faite ensemble, en canot, sur la Marne. Le soir, ils avaient mange un lapin.

-Voyons, que prenez-vous? repeta Claude.

Florent regardait le comptoir, tres-embarrasse. Au bout, des theieres de punch et de vin chaud, cerclees de cuivre, chauffaient sur les courtes flammes bleues et roses d'un appareil a gaz. Il confessa enfin qu'il prendrait volontiers quelque chose de chaud. Monsieur Lebigre servit trois verres de punch. Il y avait, pres des theieres, dans une corbeille, des petits pains au beurre qu'on venait d'apporter et qui fumaient. Mais les autres n'en prirent pas, et Florent but son verre de punch; il le sentit qui tombait dans son estomac vide, comme un filet de plomb fondu. Ce fut Alexandre qui paya.

-Un bon garcon, cet Alexandre, dit Claude, quand ils se retrouverent tous les deux sur le trottoir de la rue Rambuteau. Il est tres-amusant a la campagne; il fait des tours de force; puis, il est superbe, le gredin; je l'ai vu nu, et s'il voulait me poser des academies, en plein air... Maintenant, si cela vous plait, nous allons faire un tour dans les Halles.

Florent le suivait, s'abandonnait. Une lueur claire, au fond de la rue Rambuteau, annoncait le jour. La grande voix des Halles grondait plus haut; par instants, des volees de cloche, dans un pavillon eloigne, coupaient cette clameur roulante et montante. Ils entrerent sous une des rues couvertes, entre le pavillon de la maree et le pavillon de la volaille. Florent levait les yeux, regardait la haute voute, dont les boiseries interieures luisaient, entre les dentelles noires des charpentes de fonte. Quand il deboucha dans la grande rue du milieu, il songea a quelque ville etrange, avec ses quartiers distincts, ses faubourgs, ses villages, ses promenades et ses routes, ses places et ses carrefours, mise tout entiere sous un hangar, un jour de pluie, par quelque caprice gigantesque. L'ombre, sommeillant dans les creux des toitures, multipliait la foret des piliers, elargissait a l'infini les nervures delicates, les galeries decoupees, les persiennes transparentes; et c'etait, au-dessus de la ville, jusqu'au fond des tenebres, toute une vegetation, toute une floraison, monstrueux epanouissement de metal, dont les tiges qui montaient en fusee, les branches qui se tordaient et se nouaient, couvraient un monde avec les legeretes de feuillage d'une futaie seculaire. Des quartiers dormaient encore, clos de leurs grilles. Les pavillons du beurre et de la volaille alignaient leurs petites boutiques treillagees, allongeaient leurs ruelles desertes sous les files des becs de gaz. Le pavillon de la maree venait d'etre ouvert; des femmes traversaient les rangees de pierres blanches, tachees de l'ombre des paniers et des linges oublies. Aux gros legumes, aux fleurs et aux fruits, le vacarme allait grandissant. De proche en proche, le reveil gagnait la ville, du quartier populeux ou les choux s'entassent des quatre heures du matin, au quartier paresseux et riche qui n'accroche des poulardes et des faisans a ses maisons que vers les huit heures.