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– Vous croyez, Montalais?

– Louise, Louise, vos yeux bleus sont profonds comme la mer que j'ai vue à Boulogne l'an passé. Non, je me trompe, la mer est perfide, vos yeux sont profonds comme l'azur que voici là-haut, tenez, sur nos têtes.

– Eh bien! puisque vous lisez si bien dans mes yeux, dites-moi ce que je pense, Montalais.

– D'abord, vous ne pensez pas Monsieur Raoul; vous pensez Mon cher Raoul.

– Oh! – Ne rougissez pas pour si peu. Mon cher Raoul, disons-nous, vous me suppliez de vous écrire à Paris, où vous retient le service de M. le prince. Comme il faut que vous vous ennuyiez là-bas pour chercher des distractions dans le souvenir d'une provinciale…

Louise se leva tout à coup.

– Non, Montalais, dit-elle en souriant, non, je ne pense pas un mot de cela. Tenez, voici ce que je pense.

Et elle prit hardiment la plume et traça d'une main ferme les mots suivants:

«J'eusse été bien malheureuse si vos instances pour obtenir de moi un souvenir eussent été moins vives. Tout ici me parle de nos premières années, si vite écoulées, si doucement enfuies, que jamais d’autres n'en remplaceront le charme dans le cœur.»

Montalais, qui regardait courir la plume, et qui lisait au rebours à mesure que son amie écrivait, l'interrompit par un battement de mains.

– À la bonne heure! dit-elle, voilà de la franchise, voilà du cœur, voilà du style! Montrez à ces Parisiens, ma chère, que Blois est la ville du beau langage.

– Il sait que pour moi, répondit la jeune fille, Blois a été le paradis.

– C'est ce que je voulais dire, et vous parlez comme un ange.

– Je termine, Montalais.

Et la jeune fille continua en effet:

«Vous pensez à moi, dites-vous, monsieur Raoul; je vous en remercie; mais cela ne peut me surprendre, moi qui sais combien de fois nos cœurs ont battu l'un près de l'autre.»

– Oh! oh! dit Montalais, prenez garde, mon agneau, voilà que vous semez votre laine, et il y a des loups là-bas.

Louise allait répondre, quand le galop d'un cheval retentit sous le porche du château.

– Qu'est-ce que cela? dit Montalais en s'approchant de la fenêtre. Un beau cavalier, ma foi!

– Oh! Raoul! s'écria Louise, qui avait fait le même mouvement que son amie, et qui, devenant toute pâle, tomba palpitante auprès de sa lettre inachevée.

– Voilà un adroit amant, sur ma parole, s'écria Montalais, et qui arrive bien à propos!

– Retirez-vous, retirez-vous, je vous en supplie! murmura Louise.

– Bah! il ne me connaît pas; laissez-moi donc voir ce qu'il vient faire ici.

Chapitre II – Le messager

Mlle de Montalais avait raison, le jeune cavalier était bon à voir.

C'était un jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, grand, élancé, portant avec grâce sur ses épaules le charmant costume militaire de l'époque. Ses grandes bottes à entonnoir enfermaient un pied que Mlle de Montalais n'eût pas désavoué si elle se fût travestie en homme. D'une de ses mains fines et nerveuses il arrêta son cheval au milieu de la cour, et de l'autre souleva le chapeau à longues plumes qui ombrageait sa physionomie grave et naïve à la fois.

Les gardes, au bruit du cheval, se réveillèrent et furent promptement debout.

Le jeune homme laissa l'un d'eux s'approcher de ses arçons, et s'inclinant vers lui, d'une voix claire et précise, qui fut parfaitement entendue de la fenêtre où se cachaient les deux jeunes filles:

– Un messager pour Son Altesse Royale, dit-il.

– Ah! ah! s'écria le garde; officier, un messager!

Mais ce brave soldat savait bien qu'il ne paraîtrait aucun officier, attendu que le seul qui eût pu paraître demeurait au fond du château, dans un petit appartement sur les jardins.

Aussi se hâta-t-il d'ajouter:

– Mon gentilhomme, l'officier est en ronde, mais en son absence on va prévenir M. de Saint-Remy, le maître d'hôtel.

– M. de Saint-Remy! répéta le cavalier en rougissant.

– Vous le connaissez?

– Mais oui… Avertissez-le, je vous prie, pour que ma visite soit annoncée le plus tôt possible à Son Altesse.

– Il paraît que c'est pressé, dit le garde, comme s'il se parlait à lui-même, mais dans l'espérance d'obtenir une réponse.

Le messager fit un signe de tête affirmatif.

– En ce cas, reprit le garde, je vais moi-même trouver le maître d'hôtel.

Le jeune homme cependant mit pied à terre, et tandis que les autres soldats observaient avec curiosité chaque mouvement du beau cheval qui avait amené ce jeune homme, le soldat revint sur ses pas en disant:

– Pardon, mon gentilhomme, mais votre nom, s'il vous plaît?

– Le vicomte de Bragelonne, de la part de Son Altesse M. le prince de Condé.

Le soldat fit un profond salut, et, comme si ce nom du vainqueur de Rocroi et de Lens lui eût donné des ailes, il gravit légèrement le perron pour gagner les antichambres.

M. de Bragelonne n'avait pas eu le temps d'attacher son cheval aux barreaux de fer de ce perron, que M. de Saint-Remy accourut hors d'haleine, soutenant son gros ventre avec l'une de ses mains, pendant que de l'autre il fendait l'air comme un pêcheur fend les flots avec une rame.

– Ah! monsieur le vicomte, vous à Blois! s'écria-t-il; mais c'est une merveille! Bonjour, monsieur Raoul, bonjour!

– Mille respects, monsieur de Saint-Remy.

– Que Mme de La Vall… je veux dire que Mme de Saint-Remy va être heureuse de vous voir! Mais venez. Son Altesse Royale déjeune, faut-il l'interrompre? la chose est-elle grave?

– Oui et non, monsieur de Saint-Remy. Toutefois, un moment de retard pourrait causer quelques désagréments à Son Altesse Royale.

– S'il en est ainsi, forçons la consigne, monsieur le vicomte. Venez. D'ailleurs, Monsieur est d'une humeur charmante aujourd'hui. Et puis, vous nous apportez des nouvelles, n'est-ce pas?

– De grandes, monsieur de Saint-Remy.

– Et de bonnes, je présume?

– D'excellentes.

– Venez vite, bien vite, alors! s'écria le bonhomme, qui se rajusta tout en cheminant.

Raoul le suivit son chapeau à la main, et un peu effrayé du bruit solennel que faisaient ses éperons sur les parquets de ces immenses salles.

Aussitôt qu'il eut disparu dans l'intérieur du palais, la fenêtre de la cour se repeupla, et un chuchotement animé trahit l'émotion des deux jeunes filles; bientôt elles eurent pris une résolution, car l'une des deux figures disparut de la fenêtre: c'était la tête brune; l'autre demeura derrière le balcon, cachée sous les fleurs, regardant attentivement, par les échancrures des branches, le perron sur lequel M. de Bragelonne avait fait son entrée au palais.

Cependant l'objet de tant de curiosité continuait sa route en suivant les traces du maître d'hôtel. Un bruit de pas empressés, un fumet de vin et de viandes, un cliquetis de cristaux et de vaisselle l'avertirent qu'il touchait au terme de sa course.

Les pages, les valets et les officiers, réunis dans l'office qui précédait le réfectoire, accueillirent le nouveau venu avec une politesse proverbiale en ce pays; quelques-uns connaissaient Raoul, presque tous savaient qu'il venait de Paris, On pourrait dire que son arrivée suspendit un moment le service. Le fait est qu'un page qui versait à boire à Son Altesse, entendant les éperons dans la chambre voisine, se retourna comme un enfant, sans s'apercevoir qu'il continuait de verser, non plus dans le verre du prince, mais sur la nappe.