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– Est-ce dit?

– C'est dit.

– Passez-moi la plume, l'encre et le papier.

– Voici.

– Ah!

Manicamp se souleva avec un soupir, et s'accoudant sur son bras gauche, de sa plus belle écriture il traça les lignes suivantes: «Bon pour une charge de fille d'honneur de Madame que M. le comte de Guiche se chargera d'obtenir à première vue. De Manicamp.» Ce travail pénible accompli, Manicamp se recoucha tout de son long.

– Eh bien? demanda Malicorne, qu'est-ce que cela veut dire?

– Cela veut dire que si vous êtes pressé d'avoir la lettre du comte de Guiche pour Monsieur, j'ai gagné mon pari.

– Comment cela?

– C'est limpide, ce me semble; vous prenez ce papier.

– Oui.

– Vous partez à ma place.

– Ah!

– Vous lancez vos chevaux à fond de train.

– Bon!

– Dans six heures, vous êtes à Étampes; dans sept heures, vous avez la lettre du comte, et j'ai gagné mon pari sans avoir bougé de mon lit, ce qui m'accommode tout à la fois et vous aussi, j'en suis bien sûr.

– Décidément, Manicamp, vous êtes un grand homme.

– Je le sais bien.

– Je pars donc pour Étampes.

– Vous partez.

– Je vais trouver le comte de Guiche avec ce bon.

– Il vous en donne un pareil pour Monsieur.

– Je pars pour Paris.

– Vous allez trouver Monsieur avec le bon du comte de Guiche.

– Monsieur approuve.

– À l'instant même.

– Et j'ai mon brevet.

– Vous l'avez.

– Ah!

– J'espère que je suis gentil, hein?

– Adorable!

– Merci.

– Vous faites donc du comte de Guiche tout ce que vous voulez, mon cher Manicamp?

– Tout, excepté de l'argent.

– Diable! l'exception est fâcheuse; mais enfin, si au lieu de lui demander de l'argent, vous lui demandiez…

– Quoi?

– Quelque chose d'important.

– Qu'appelez-vous important?

– Enfin, si un de vos amis vous demandait un service?

– Je ne le lui rendrais pas.

– Égoïste!

– Ou du moins je lui demanderais quel service il me rendra en échange.

– À la bonne heure! Eh bien! cet ami vous parle.

– C'est vous, Malicorne?

– C'est moi.

– Ah çà! vous êtes donc bien riche?

– J'ai encore cinquante pistoles.

– Juste la somme dont j'ai besoin. Où sont ces cinquante pistoles?

– Là, dit Malicorne en frappant sur son gousset.

– Alors, parlez, mon cher; que vous faut-il?

Malicorne reprit l'encre, la plume et le papier, et présenta le tout à Manicamp.

– Écrivez, lui dit-il.

– Dictez.

– «Bon pour une charge dans la maison de Monsieur.»

– Oh! fit Manicamp en levant la plume, une charge dans la maison de Monsieur pour cinquante pistoles?

– Vous avez mal entendu, mon cher.

– Comment avez-vous dit?

– J'ai dit cinq cents.

– Et les cinq cents?

– Les voilà.

Manicamp dévora des yeux le rouleau; mais, cette fois, Malicorne le tenait à distance.

– Ah! qu'en dites-vous? Cinq cents pistoles…

– Je dis que c'est pour rien, mon cher, dit Manicamp en reprenant la plume, et que vous userez mon crédit; dictez.

Malicorne continua:

– «Que mon ami le comte de Guiche obtiendra de Monsieur pour mon ami Malicorne.»

– Voilà, dit Manicamp.

– Pardon, vous avez oublié de signer.

– Ah! c'est vrai. Les cinq cents pistoles?

– En voilà deux cent cinquante.

– Et les deux cent cinquante autres?

– Quand je tiendrai ma charge.

Manicamp fit la grimace.

– En ce cas, rendez-moi la recommandation, dit-il.

– Pourquoi faire?

– Pour que j'y ajoute un mot.

– Un mot?

– Oui, un seul.

– Lequel?

– «Pressé.»

Malicorne rendit la recommandation: Manicamp ajouta le mot.

– Bon! fit Malicorne en reprenant le papier.

Manicamp se mit à compter les pistoles.

– Il en manque vingt, dit-il.

– Comment cela?

– Les vingt que j'ai gagnées.

– Où?

– En pariant que vous auriez la lettre du duc de Guiche dans huit heures.

– C'est juste.

Et il lui donna les vingt pistoles.

Manicamp se mit à prendre son or à pleines mains et le fit pleuvoir en cascades sur son lit.

– Voilà une seconde charge, murmurait Malicorne en faisant sécher son papier, qui, au premier abord, paraît me coûter plus que la première; mais…

Il s'arrêta, prit à son tour la plume, et écrivit à Montalais:

«Mademoiselle, annoncez à votre amie que sa commission ne peut tarder à lui arriver; je pars pour la faire signer: c'est quatre-vingt-six lieues que j'aurai faites pour l'amour de vous…»

Puis avec son sourire de démon, reprenant la phrase interrompue:

– Voilà, dit-il, une charge qui, au premier abord, paraît me coûter plus cher que la première; mais… le bénéfice sera, je l'espère, dans la proportion de la dépense, et Mlle de La Vallière me rapportera plus que Mlle de Montalais, ou bien, ou bien, je ne m'appelle plus Malicorne. Adieu, Manicamp.

Et il sortit.

Chapitre LXXXI – La cour de l'hôtel Grammont

Lorsque Malicorne arriva à Étampes, il apprit que le comte de Guiche venait de partir pour Paris. Malicorne prit deux heures de repos et s'apprêta à continuer son chemin.

Il arriva dans la nuit à Paris, descendit à un petit hôtel dont il avait l'habitude lors de ses voyages dans la capitale, et le lendemain, à huit heures, il se présenta à l'hôtel Grammont.

Il était temps que Malicorne arrivât.

Le comte de Guiche se préparait à faire ses adieux à Monsieur avant de partir pour Le Havre, où l'élite de la noblesse française allait chercher Madame à son arrivée d'Angleterre.

Malicorne prononça le nom de Manicamp, et fut introduit à l'instant même. Le comte de Guiche était dans la cour de l'hôtel Grammont, visitant ses équipages, que des piqueurs et des écuyers faisaient passer en revue devant lui.

Le comte louait ou blâmait devant ses fournisseurs et ses gens les habits, les chevaux et les harnais qu'on venait de lui apporter, lorsque au milieu de cette importante occupation On lui jeta le nom de Manicamp.

– Manicamp? s'écria-t-il. Qu'il entre, parbleu! qu'il entre!