Et il fit quatre pas vers la porte. Malicorne se glissa par cette porte demi-ouverte, et regardant le comte de Guiche surpris de voir un visage inconnu en place de celui qu'il attendait:
– Pardon, monsieur le comte, dit-il, mais je crois qu'on a fait erreur: on vous a annoncé Manicamp lui-même, et ce n'est que son envoyé.
– Ah! ah! fit de Guiche un peu refroidi, et vous m'apportez?
– Une lettre, monsieur le comte.
Malicorne présenta le premier bon et observa le visage du comte.
Celui-ci lut et se mit à rire.
– Encore! dit-il, encore une fille d'honneur? Ah ça! mais ce drôle de Manicamp protège donc toutes les filles d'honneur de France?
Malicorne salua.
– Et pourquoi ne vient-il pas lui-même? demanda-t-il.
– Il est au lit.
– Ah! diable! Il n'a donc pas d'argent?
De Guiche haussa les épaules.
– Mais qu'en fait-il donc, de son argent?
Malicorne fit un mouvement qui voulait dire que, sur cet article-là, il était aussi ignorant que le comte.
– Alors qu'il use de son crédit, continua de Guiche.
– Ah! mais c'est que je crois une chose.
– Laquelle?
– C'est que Manicamp n'a de crédit qu'auprès de vous, monsieur le comte.
– Mais alors il ne se trouvera donc pas au Havre?
Autre mouvement de Malicorne.
– C'est impossible, et tout le monde y sera!
– J'espère, monsieur le comte, qu'il ne négligera point une si belle occasion.
– Il devrait déjà être à Paris.
– Il prendra la traverse pour regagner le temps perdu.
– Et où est-il?
– À Orléans.
– Monsieur, dit de Guiche en saluant, vous me paraissez homme de bon goût.
Malicorne avait l'habit de Manicamp.
Il salua à son tour.
– Vous me faites grand honneur, monsieur, dit-il.
– À qui ai-je le plaisir de parler?
– Je me nomme Malicorne, monsieur.
– Monsieur de Malicorne, comment trouvez-vous les fontes de ces pistolets?
Malicorne était homme d'esprit; il comprit la situation.
D'ailleurs, le de mis avant son nom venait de l'élever à la hauteur de celui qui lui parlait.
Il regarda les fontes en connaisseur, et, sans hésiter:
– Un peu lourdes, monsieur, dit-il.
– Vous voyez, fit de Guiche au sellier, Monsieur, qui est homme de goût, trouve vos fontes lourdes: que vous avais-je dit tout à l'heure?
Le sellier s'excusa.
– Et ce cheval, qu'en dites-vous? demanda de Guiche. C'est encore une emplette que je viens de faire.
– À la vue, il me paraît parfait, monsieur le comte; mais il faudrait que je le montasse pour vous en dire mon avis.
– Eh bien! montez-le, monsieur de Malicorne, et faites-lui faire deux ou trois fois le tour du manège.
La cour de l'hôtel était en effet disposée de manière à servir de manège en cas de besoin.
Malicorne, sans embarras, assembla la bride et le bridon, prit la crinière de la main gauche, plaça son pied à l'étrier, s'enleva et se mit en selle. La première fois il fit faire au cheval le tour de la cour au pas.
La seconde fois, au trot.
Et la troisième fois, au galop.
Puis il s'arrêta près du comte, mit pied à terre et jeta la bride aux mains d'un palefrenier.
– Eh bien! dit le comte, qu'en pensez-vous, monsieur de Malicorne?
– Monsieur le comte, fit Malicorne, ce cheval est de race mecklembourgeoise. En regardant si le mors reposait bien sur les branches, j'ai vu qu'il prenait sept ans. C'est l'âge auquel il faut préparer le cheval de guerre. L'avant-main est léger. Cheval à tête plate, dit-on, ne fatigue jamais la main du cavalier. Le garrot est un peu bas. L'avalement de la croupe me ferait douter de la pureté de la race allemande. Il doit avoir du sang anglais. L'animal est droit sur ses aplombs, mais il chasse au trot; il doit se couper. Attention à la ferrure. Il est, au reste, maniable. Dans les voltes et les changements de pied je lui ai trouvé les aides fines.
– Bien jugé, monsieur de Malicorne, fit le comte. Vous êtes connaisseur.
Puis, se retournant vers le nouvel arrivé:
– Vous avez là un habit charmant, dit de Guiche à Malicorne. Il ne vient pas de province, je présume; on ne taille pas dans ce goût-là à Tours ou à Orléans.
– Non, monsieur le comte, cet habit vient en effet de Paris.
– Oui, cela se voit… Mais retournons à notre affaire… Manicamp veut donc faire une seconde fille d'honneur?
– Vous voyez ce qu'il vous écrit, monsieur le comte.
– Qui était la première déjà?
Malicorne sentit le rouge lui monter au visage.
– Une charmante fille d'honneur, se hâta-t-il de répondre, Mlle de Montalais.
– Ah! ah! vous la connaissez, monsieur?
– Oui, c'est ma fiancée, ou à peu près.
– C'est autre chose, alors… Mille compliments! s'écria de Guiche, sur les lèvres duquel voltigeait déjà une plaisanterie de courtisan, et que ce titre de fiancée donné par Malicorne à Mlle de Montalais rappela au respect des femmes.
– Et le second brevet, pour qui est-ce? demanda de Guiche. Est-ce pour la fiancée de Manicamp?… En ce cas, je la plains. Pauvre fille! elle aura pour mari un méchant sujet.
– Non, monsieur le comte… Le second brevet est pour Mlle La Baume Le Blanc de La Vallière.
– Inconnue, fit de Guiche.
– Inconnue? oui, monsieur, fit Malicorne en souriant à son tour.
– Bon! je vais en parler à Monsieur. À propos, elle est demoiselle?
– De très bonne maison, fille d'honneur de Madame douairière.
– Très bien! Voulez-vous m'accompagner chez Monsieur?
– Volontiers, si vous me faites cet honneur.
– Avez-vous votre carrosse?
– Non, je suis venu à cheval.
– Avec cet habit?
– Non, monsieur; j'arrive d'Orléans en poste, et j'ai changé mon habit de voyage contre celui-ci pour me présenter chez vous.
– Ah! c'est vrai, vous m'avez dit que vous arriviez d'Orléans.
Et il fourra, en la froissant, la lettre de Manicamp dans sa poche.
– Monsieur, dit timidement Malicorne, je crois que vous n'avez pas tout lu.
– Comment, je n'ai pas tout lu?
– Non, il y avait deux billets dans la même enveloppe.
– Ah! ah! vous êtes sûr?
– Oh! très sûr.
– Voyons donc.
Et le comte rouvrit le cachet.
– Ah! fit-il, c'est, ma foi, vrai.
Et il déplia le papier qu'il n'avait pas encore lu.
– Je m'en doutais, dit-il, un autre bon pour une charge chez Monsieur; oh! mais c'est un gouffre que ce Manicamp. Oh! le scélérat, il en fait donc commerce?
– Non, monsieur le comte, il veut en faire don.