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– Monseigneur, dit Aramis ému de la pâleur et de l’élan du jeune homme, votre noblesse de cœur me pénètre de joie et d’admiration. Ce n’est pas à vous de me remercier, ce sera surtout aux peuples que vous rendrez heureux, à vos descendants que vous rendrez illustres. Oui, je vous aurai donné plus que la vie, je vous donnerai l’immortalité.

Le jeune homme tendit la main à Aramis: celui-ci la baisa en s’agenouillant.

– Oh! s’écria le prince avec une modestie charmante.

– C’est le premier hommage rendu à notre roi futur, dit Aramis. Quand je vous reverrai, je dirai: «Bonjour, Sire!»

– Jusque-là, s’écria le jeune homme en appuyant ses doigts blancs et amaigris sur son cœur, jusque-là plus de rêves, plus de chocs à ma vie; elle se briserait! oh! monsieur, que ma prison est petite et que cette fenêtre est basse, que ces portes sont étroites! Comment tant d’orgueil, tant de splendeur, tant de félicité a-t-il pu passer par là et tenir ici?

– Votre Altesse Royale me rend fier, dit Aramis, puisqu’elle prétend que c’est moi qui ai apporté tout cela.

Il heurta aussitôt la porte.

Le geôlier vint ouvrir avec Baisemeaux, qui, dévoré d’inquiétude et de crainte, commençait à écouter malgré lui à la porte de la chambre.

Heureusement ni l’un ni l’autre des deux interlocuteurs n’avait oublié d’étouffer sa voix, même dans les plus hardis élans de la passion.

– Quelle confession! dit le gouverneur en essayant de rire; croirait-on jamais qu’un reclus, un homme presque mort, ait commis des péchés si nombreux et si longs?

Aramis se tut. Il avait hâte de sortir de la Bastille, où le secret qui l’accablait doublait le poids des murailles.

Quand ils furent arrivés chez Baisemeaux:

– Causons affaires, mon cher gouverneur, dit Aramis.

– Hélas! répliqua Baisemeaux.

– Vous avez à me demander mon acquit pour cent cinquante mille livres? dit l’évêque.

– Et à verser le premier tiers de la somme, ajouta en soupirant le pauvre gouverneur, qui fit trois pas vers son armoire de fer.

– Voici votre quittance, dit Aramis.

– Et voici l’argent, reprit avec un triple soupir M. de Baisemeaux.

– L’ordre m’a dit seulement de donner une quittance de cinquante mille livres, dit Aramis: il ne m’a pas dit de recevoir d’argent. Adieu, monsieur le gouverneur.

Et il partit, laissant Baisemeaux plus que suffoqué par la surprise et la joie, en présence de ce présent royal fait si grandement par le confesseur extraordinaire de la Bastille.

Chapitre CCVIII – Comment Mouston avait engraissé sans en prévenir Porthos, et des désagréments qui en étaient résultés pour ce digne gentilhomme

Depuis le départ d’Athos pour Blois, Porthos et d’Artagnan s’étaient rarement trouvés ensemble. L’un avait fait un service fatigant près du roi, l’autre avait fait beaucoup d’emplettes de meubles, qu’il comptait emporter dans ses terres, et à l’aide desquels il espérait fonder, dans ses diverses résidences, un peu de ce luxe de cour dont il avait entrevu l’éblouissante clarté dans la compagnie de Sa Majesté.

D’Artagnan, toujours fidèle, un matin que son service lui laissait quelque liberté, songea à Porthos, et, inquiet de n’avoir pas entendu parler de lui depuis plus de quinze jours, s’achemina vers son hôtel, où il le saisit au sortir du lit.

Le digne baron paraissait pensif: plus que pensif, mélancolique. Il était assis sur son lit, demi-nu, les jambes pendantes, contemplant une foule d’habits qui jonchaient le parquet de leurs franges, de leurs galons, de leurs broderies et de leurs cliquetis d’inharmonieuses couleurs.

Porthos, triste et songeur comme le lièvre de La Fontaine, ne vit pas entrer d’Artagnan, que lui cachait d’ailleurs en ce moment M. Mouston, dont la corpulence personnelle, fort suffisante en tout cas pour cacher un homme à un autre homme, était momentanément doublée par le déploiement d’un habit écarlate que l’intendant exhibait à son maître en le tenant par les manches, afin qu’il fût plus manifeste de tous les côtés.

D’Artagnan s’arrêta sur le seuil et examina Porthos songeant. Puis, comme la vue de ces innombrables habits jonchant le parquet tirait de profonds soupirs de la poitrine du digne gentilhomme, d’Artagnan pensa qu’il était temps de l’arracher à cette douloureuse contemplation, et toussa pour s’annoncer.

– Ah! fit Porthos, dont le visage s’illumina de joie ah! ah! voici d’Artagnan! Je vais enfin avoir une idée!

Mouston, à ces mots, se doutant de ce qui se passait derrière lui, s’effaça en souriant tendrement à l’ami de son maître, qui se trouva ainsi débarrassé de l’obstacle matériel qui l’empêchait de parvenir jusqu’à d’Artagnan.

Porthos fit craquer ses genoux robustes en se redressant, et, en deux enjambées, traversant la chambre, se trouva en face de d’Artagnan, qu’il pressa sur son cœur avec une affection qui semblait prendre une nouvelle force dans chaque jour qui s’écoulait.

– Ah! répéta-t-il, vous êtes toujours le bienvenu, cher ami, mais aujourd’hui, vous êtes mieux venu que jamais.

– Voyons, voyons, on est triste chez vous? fit d’Artagnan.

Porthos répondit par un regard qui exprimait l’abattement.

– Eh bien! contez-moi cela, Porthos, mon ami, à moins que ce ne soit un secret.

– D’abord, mon ami, dit Porthos, vous savez que je n’ai pas de secrets pour vous. Voici donc ce qui m’attriste.

– Attendez, Porthos, laissez-moi d’abord me dépêtrer de toute cette litière de drap, de satin et de velours.

– Oh! marchez, marchez, dit piteusement Porthos: tout cela n’est que rebut.

– Peste! du rebut, Porthos, du drap à vingt livres l’aune! du satin magnifique, du velours royal!

– Vous trouvez donc ces habits?…

– Splendides, Porthos, splendides! Je gage que vous seul en France en avez autant, et, en supposant que vous n’en fassiez plus faire un seul, et que vous viviez cent ans, ce qui ne m’étonnerait pas, vous porteriez encore des habits neufs le jour de votre mort, sans avoir besoin de voir le nez d’un seul tailleur, d’aujourd’hui à ce jour-là.

Porthos secoua la tête.

– Voyons, mon ami, dit d’Artagnan, cette mélancolie qui n’est pas dans votre caractère m’effraie. Mon cher Porthos, sortons-en donc: le plus tôt sera le mieux.

– Oui, mon ami, sortons-en, dit Porthos, si toutefois cela est possible.

– Est-ce que vous avez reçu de mauvaises nouvelles de Bracieux, mon ami?

– Non, on a coupé les bois, et ils ont donné un tiers de produit au-delà de leur estimation.

– Est-ce qu’il y a une fuite dans les étangs de Pierrefonds?