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Vieillir est inéluctable. Les thérapies géniques, les organes de remplacement et la chirurgie esthétique sont de bons moyens de lutter contre l’âge. Mais il vous rattrape de toute façon. Changez vos poumons et votre cœur pétera une valve. Changez de cœur et votre foie enflera jusqu’à la taille d’une baignoire de môme gonflable. Changez de foie et une attaque cérébrale vous cisaillera. C’est l’atout de l’âge. On ne sait toujours pas remplacer le cerveau.

L’espérance de vie avait augmenté il y a peu jusque vers quatre-vingt-dix ans ; ce plafond n’avait pas été dépassé. Nous avions grignoté pratiquement vingt ans de plus que les « trois vingtaines et une dizaine », puis Dieu, semble-t-il, serra le frein. On peut vivre plus longtemps et on vit plus longtemps, mais on n’en vit pas moins ces années comme des vieillards. Pas grand-chose ne change en ce domaine.

Regardez-vous : à vingt-cinq, trente-cinq, quarante-cinq ou même cinquante-cinq ans, vous pouvez encore avoir le sentiment d’être capable de déplacer des montagnes. Mais à soixante-cinq ans, lorsque votre corps contemple la route menant à l’imminente ruine physique, ces mystérieux « régimes et procédures médicales, chirurgicales et thérapeutiques » commencent de paraître intéressants. Puis vous avez soixante-quinze ans, vos amis sont morts et vous avez remplacé au moins un de vos organes majeurs ; vous devez aller pisser quatre fois par nuit et vous ne pouvez pas gravir une volée de marches sans être un peu essoufflé… Et pourtant, on vous dit que vous êtes en très bonne forme pour votre âge.

Échanger cela pour une décennie de vie alerte dans une zone de combat vous semble alors une excellente affaire. Surtout parce que, si vous ne le faites pas, dans une décennie, vous aurez quatre-vingt-cinq ans et, alors, la seule différence entre vous et un raisin sec sera que, si vous vous retrouvez tous les deux ridés et sans prostate, le raisin, lui, n’en a jamais eu.

Mais comment les FDC réussissent-elles à inverser le cours du vieillissement ? Personne ici ne le sait. Les savants de la Terre ne peuvent expliquer comment elles procèdent et sont incapables de reproduire leur succès, et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Les FDC n’opèrent pas sur la planète, on ne peut donc interroger de vétéran. Quelles que soient les thérapies appliquées par les FDC, elles sont pratiquées hors du système solaire, dans les secteurs relevant de l’autorité des FDC, loin des limites des gouvernements nationaux et mondiaux. Donc aucune aide de l’Oncle Sam ni de quiconque.

De temps à autre, une législation, un président ou un dictateur décide d’interdire le recrutement des FDC jusqu’à ce qu’elles révèlent leur secret. Les FDC ne discutent jamais. Elles plient bagage et s’en vont. Alors tous les vieux de soixante-quinze ans dans ce pays prennent de longues vacances internationales dont ils ne reviennent jamais. Les FDC ne fournissent aucune explication, aucun argument, aucun indice. Si vous voulez découvrir leur procédé de rajeunissement, vous devez vous engager.

Je signai.

— Paragraphe cinq : Je comprends qu’en m’engageant volontairement dans les Forces de défense coloniale je mets un terme à ma citoyenneté dans mon entité politique nationale, en l’occurrence les États-Unis d’Amérique, ainsi qu’à ma franchise résidentielle qui m’autorise à résider sur la planète Terre. Je comprends que ma citoyenneté sera subséquemment transférée à l’Union coloniale, et plus spécifiquement aux Forces de défense coloniale. En outre, je reconnais et comprends qu’en mettant un terme à ma citoyenneté locale et à ma franchise résidentielle planétaire il m’est interdit de retourner par la suite sur Terre, et qu’à la fin de mon service dans les Forces de défense coloniale je serai replacé dans la colonie que l’Union coloniale et/ou les Forces de défense coloniale m’auront attribuée. »

Soit, dit autrement : on ne peut pas rentrer au pays. Cette clause fait partie des lois de Quarantaine imposées par l’Union coloniale et les FDC, officiellement du moins, pour protéger la Terre de nouveaux désastres xénobiologiques comme le grippage. Les gens approuvaient ces lois à l’époque. Il est curieux de voir une planète devenir insulaire quand un tiers de sa population masculine perd définitivement sa fertilité en l’espace d’une année. Maintenant les hommes sont moins favorables à ces lois, ils en ont marre de la Terre et désirent voir le reste de l’univers. Ils ont oublié le grand-oncle Walt sans enfant. Seulement, l’UC et les FDC sont les seules à posséder des vaisseaux spatiaux à propulsion de saut qui permettent le voyage interstellaire. Voilà où nous en sommes.

(Cet avantage rend l’accord de coloniser là où l’UC vous dit de coloniser quelque peu discutable. Puisqu’ils sont les seuls à posséder ces vaisseaux, vous allez de toute façon là où ils vous emmènent. Ils ne vont tout de même pas vous laisser piloter l’astronef.)

Un effet collatéral des lois de Quarantaine et de la propulsion de saut est de rendre les communications entre la Terre et les colonies (et entre les colonies elles-mêmes) absolument impossibles. L’unique façon d’obtenir une réponse opportune d’une colonie est de confier le message à un vaisseau à propulsion de saut. Les FDC transporteront avec mauvaise grâce les messages et les données pour les gouvernements planétaires, mais le citoyen de base n’a aucune chance. On pourrait installer une antenne radio et attendre que des signaux de communication émis par les colonies la balayent, mais Alpha, la colonie la plus proche de la Terre, se trouve à quatre-vingt-trois années-lumière. Cette distance rend les bavardages animés entre planètes difficiles.

Je ne l’ai jamais demandé, mais j’imagine que c’est ce paragraphe qui incite la majorité des volontaires à faire marche arrière. Vouloir redevenir jeune est une chose, mais tourner le dos à tout ce qu’on a jamais connu, à tous ceux qu’on a jamais connus ou aimés et à toutes les expériences jamais vécues en l’espace de sept décennies et demie en est une autre. C’est un sacré truc de dire adieu à toute sa vie.

Je signai.

— Paragraphe six… Dernier paragraphe, annonça la recruteuse. « Je reconnais et comprends que, dans les soixante-douze heures suivant la signature finale de ce document, ou dès mon transport hors de Terre par les Forces de défense coloniale, quel que soit le premier à advenir, je serai considéré par la loi comme décédé dans toutes les entités politiques compétentes, en l’occurrence l’État d’Ohio et les États-Unis d’Amérique. Tous mes avoirs seront distribués conformément à la loi. Je reconnais et comprends, si je n’ai pas encore pris de dispositions concernant la distribution de mes avoirs, qu’à ma demande les Forces de défense coloniale me fourniront un conseil juridique et financier pour le faire dans les soixante-douze heures. »

Je signai. Il me restait soixante-douze heures à vivre. Façon de parler.

— Que se passe-t-il si je ne quitte pas la planète dans les soixante-douze heures ? demandai-je en tendant le document à la recruteuse.

— Rien, dit-elle en récupérant la feuille. Sauf que, puisque vous êtes légalement mort, vos biens seront partagés selon votre volonté, vos assurances vie et de santé annulées ou remboursées à vos héritiers, et, étant légalement mort, vous ne bénéficierez plus de la protection de la loi en aucun domaine, de la diffamation au meurtre.

— Donc quelqu’un pourrait me tuer sans répercussion légale ?

— Ma foi, non. Si quelqu’un vous assassinait alors que vous êtes légalement mort, je crois qu’ici, en Ohio, il serait traduit en justice pour « nuisance à un cadavre ».

— Fascinant.

— Cependant, poursuivit-elle de son ton monotone de plus en plus énervant, les choses ne vont pas en général aussi loin. À tout moment d’ici à la fin des soixante-douze heures, vous pouvez simplement changer d’avis quant à votre engagement. Il suffit de m’appeler. Si je suis absente, un répondeur prendra votre nom. Sitôt que nous aurons vérifié que c’est bel et bien vous qui requérez l’annulation de l’engagement, vous serez libéré de toute autre obligation. N’oubliez pas que cette annulation vous exclut définitivement de tout futur engagement. C’est une fois ou rien.