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— Jesse Gonzales.

— Enchanté. (Puis, à l’adresse de Léon :) Léon, ta citation est fausse. Ce verset se trouve dans le Sermon sur la montagne et il dit : « Bienheureux les doux, car ils auront la terre en héritage. » Hériter de la terre est considéré comme une récompense et non pas un châtiment.

Léon cligna des paupières puis renifla.

— N’empêche que nous les avons bien vaincus. Nous avons botté leurs petits culs marron. C’est nous qui devrions coloniser l’univers, pas eux.

J’ouvris la bouche pour rétorquer mais Jesse me devança.

— « Bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux leur appartient », dit-elle à l’adresse de Léon tout en me coulant un regard en coin.

Léon nous fixa bouche bée.

— Vous n’êtes pas sérieux, déclara-t-il au bout d’une minute. Il n’y a rien dans la Bible qui dit que nous devons rester coincés sur Terre tandis qu’une bande de moricauds qui ne croient même pas en Jésus, merci du peu, occupe la Galaxie. Et elle ne dit certainement pas que nous devons protéger ces petits salopards pendant qu’ils s’y implantent. J’avais un fils dans cette guerre. Un Hindou de merde a tiré sur une de ses couilles ! Ses couilles ! Ils ont mérité ce qu’ils ont eu, ces fils de pute. Ne me demandez pas d’être heureux de devoir sauver maintenant leurs culs repentants là-haut, dans les colonies.

Jesse me lança un clin d’œil.

— Aimeriez-vous citer la prochaine ?

— Si ça ne vous dérange pas.

— Pas du tout.

— « Mais je vous dis à vous qui m’écoutez : aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient, et vous serez les fils du Très-Haut, car par sa grâce le soleil se lève sur le mal comme sur le bien, et la pluie tombe sur le juste comme sur l’impie. »

Léon vira au rouge écrevisse.

— Vous êtes tous les deux mabouls, déclara-t-il en s’éloignant d’un pas rageur aussi vite que ses kilos le lui permettaient.

— Merci, Jésus, dis-je. Et, cette fois, je le pense vraiment.

— Vous connaissez bien la Bible, dites donc, observa Jesse. Vous étiez pasteur dans votre vie passée ?

— Non. Mais j’ai vécu dans une ville de deux mille habitants et quinze églises. Ça aide à parler la langue. Et il n’est pas nécessaire d’être croyant pour apprécier le Sermon sur la montagne. Et vous ?

— Le catéchisme de l’école catholique. J’ai gagné un ruban pour mémorisation en quatrième. C’est stupéfiant ce que votre cerveau peut retenir en soixante ans, même si je suis aujourd’hui infichue de me souvenir où je gare ma voiture quand je vais faire les courses.

— Eh bien, en tout cas, permettez-moi de m’excuser pour Léon. Je le connais à peine, mais assez pour savoir que c’est un fieffé imbécile.

— « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé », récita-t-elle en haussant les épaules. De toute façon, il dit ce que beaucoup pensent. Je trouve que c’est stupide et faux, mais ça ne signifie pas que je ne le comprends pas. J’aurais préféré trouver un autre moyen de découvrir les colonies que d’attendre toute une vie et d’être obligée de m’engager dans l’armée. Si j’avais pu être colon quand j’étais plus jeune, je n’aurais pas hésité.

— Donc vous ne vous engagez pas pour mener une vie d’aventure militaire.

— Bien sûr que non ! rétorqua-t-elle, un rien méprisante. Vous, vous vous êtes engagé parce que vous éprouvez le vif désir de partir au combat ?

— Non.

Elle acquiesça.

— Moi non plus. Comme la majorité d’entre nous. Votre ami Léon ne s’est certainement pas engagé pour être dans l’armée : il ne supporte pas les gens que nous protégerons. On s’engage parce qu’on n’est pas prêt à mourir et qu’on ne veut pas devenir vieux. On s’engage parce que la vie sur Terre n’est plus intéressante passé un certain âge. Ou encore pour voir un monde nouveau avant de mourir. C’est pour cette raison que je me suis engagée, vous savez. Ni pour combattre ni pour recouvrer ma jeunesse. Je veux savoir ce que c’est qu’être ailleurs.

Elle se tourna pour regarder par la fenêtre.

— Bien sûr, c’est comique de m’entendre dire ça. Savez-vous que, jusqu’à hier, je n’étais jamais sortie de l’État du Texas ?

— N’en ayez pas honte, dis-je. Le Texas est un grand État.

Elle sourit.

— Merci. Je n’en ai pas vraiment honte. Mais c’est drôle. Petite fille, je dévorais tous les romans du « Jeune Colon », je regardais les films et je rêvais d’élever un troupeau arcturien et de lutter contre les méchants vers de terre de la colonie Gamma Prime. Puis j’ai grandi et pris conscience que les colons venaient des Indes, du Kazakhstan et de Norvège, des pays qui ne pouvaient plus nourrir leur population, et que le fait d’être née en Amérique m’interdirait de partir. Et aussi qu’il n’existait pas de troupeau arcturien ni de vers de terre ! J’ai été très déçue d’apprendre ça quand j’ai eu douze ans.

Elle haussa encore une fois les épaules.

— J’ai grandi à San Antonio, suis « partie » en fac à l’université du Texas et j’ai trouvé un boulot de retour à San Antonio. J’ai fini par me marier et nous passions nos vacances sur la côte du Golfe. Pour notre trentième anniversaire, mon mari et moi avions prévu de voyager en Italie, mais nous n’y sommes jamais allés.

— Que s’est-il passé ?

Elle éclata de rire.

— Sa secrétaire, voilà ce qui s’est passé. Eux, ils ont fini par aller en Italie pour leur lune de miel. Je suis restée à la maison. D’un autre côté, ils sont morts empoisonnés en mangeant des fruits de mer à Venise. Ce n’est donc pas plus mal que je n’y sois jamais allée. Mais, après ça, l’envie de voyager m’a démangée. Je savais que je m’engagerais dès que je le pourrais, je l’ai fait et me voici. Même si maintenant je regrette de ne pas avoir voyagé davantage. J’ai pris le delta Dallas-Nairobi. C’était amusant. J’aurais aimé le faire plus d’une fois dans ma vie. Sans parler de ça… (elle désigna par la fenêtre les câbles de la tige de haricot) que jamais je n’aurais pensé vouloir prendre un jour. Je veux dire, qu’est-ce qui maintient ce câble à la verticale ?

— La foi. Vous croyez qu’il ne tombera pas et il ne tombera pas. Tâchez de ne pas trop y penser, sinon nous serons tous dans le pétrin.

— Ce que je crois, dit Jesse, c’est que j’ai envie de me mettre quelque chose sous la dent. Ça vous dit de vous joindre à moi ?

— La foi ! s’exclama Harry Wilson en éclatant de rire. Eh bien, peut-être est-ce la foi qui maintient ce câble. Parce qu’une chose est sûre de sûre, ce n’est pas la physique fondamentale.

Harry Wilson nous avait rejoints, Jesse et moi, dans l’alcôve où nous mangions.

— Vous deux, vous avez l’air de vous connaître, ce qui est un avantage sur tous ceux qui sont ici, avait-il déclaré en s’approchant.

Nous l’avions invité à partager notre table et il avait accepté avec plaisir. Il avait enseigné la physique durant vingt ans dans un lycée de Bloomington, Indiana, et la tige de haricot l’intriguait depuis que nous étions montés dedans.

— Que voulez-vous dire par « la physique ne le maintient pas » ? demanda Jesse. Croyez-moi, ce n’est pas du tout ce que j’ai envie d’entendre maintenant.

Harry sourit.

— Désolé. Permettez-moi de le reformuler. La physique joue certainement un rôle dans le maintien de cette tige de haricot à la verticale. Mais la physique impliquée n’est pas celle du jardin d’enfants. Il y a beaucoup de choses ici qui entrent en jeu et qui n’ont aucun sens à la surface.