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Toti se calma peu à peu. Il détourna les yeux du corps de l’Archer, s’approcha d’Urien et lui saisit la main. Le vieux Chevalier marqua un temps de surprise.

– Pauvre Toti, murmura Romaric aux autres. On devrait lui dire quelque chose de gentil…

Un remue-ménage empêcha le petit groupe d’aller consoler le malheureux garçon. Trois hommes venaient de sortir de la tour ! L’un d’entre eux avait un enfant dans ses bras…

Lorsque Qadehar, portant Guillemot dans ses bras, suivi de Yorwan et de Gérald, qui tenait serré contre sa poitrine le grand Livre noir constellé, firent leur apparition hors de la tour, une foule nombreuse et hétéroclite se précipita aussitôt à leur rencontre. Les hommes de l’armée des Collines savaient qu’avec les Sorciers se jouait le dernier acte de cette guerre audacieuse menée contre l’Ombre… On les accueillit avec des cris de joie et des hourras, car on devinait que, s’ils étaient vivants, c’était parce que l’Ombre avait péri.

Kushumaï, qui avait repris des forces et marchait désormais sans l’aide de ses Chasseurs, fut parmi les premiers à les acclamer.

– Vous avez réussi ! dit-elle. Vous avez vaincu le Grand Mage et vous avez ramené Guillemot ! C’est magnifique !

– Nous n’avons rien fait, corrigea Gérald. Nous nous sommes contentés de débloquer le sortilège de délocalisation utilisé par Charfalaq, et de l’emprunter à notre tour. Nous avons réapparu dans la ville de Yâdigâr, dans un temple dédié au démon Bohor. Nous avons trouvé Guillemot évanoui au sommet du temple, à côté du Livre des Étoiles et d’un tas de poussière. Aucune trace du Grand Mage. J’ignore ce qui s’est passé mais, manifestement, Guillemot a triomphé seul.

Les explications du Sorcier plongèrent chacun dans l’étonnement.

– L’essentiel, s’exclama Kushumaï, est que ce maudit vieillard n’ait pas pu accomplir son rituel ! Nos deux mondes, et même le Monde Certain qui ne le saura jamais, sont à présent sauvés !

– Comment va Guillemot ? demanda le Commandeur qui s’était approché.

– Il est très faible, mais il respire normalement, répondit Qadehar.

– Guillemot !

Bousculant la foule rassemblée devant la tour de l’Ombre, Ambre, Coralie, Romaric, Gontrand, Bertram, Agathe et Kyle se précipitèrent vers Qadehar.

Ambre, à la vue de son ami sans connaissance, poussa un cri déchirant :

– Il est mort ! Oh, il est mort ! Il est mort !

– Du calme, Ambre ! s’interposa Gérald. Il est vivant, Guillemot est vivant !

Comprenant qu’on lui disait la vérité, Ambre laissa échapper un soupir de soulagement. Elle s’empressa d’aller caresser, d’une main tremblante, la joue du garçon endormi. Celui-ci remua, ouvrit péniblement les yeux, fixa quelque chose devant lui, puis les referma.

– Vous êtes sûrs qu’il va bien ? s’inquiéta Coralie.

– Oui. Il a seulement besoin de repos. De beaucoup de repos.

Ambre semblait plus calme. Elle dévisageait Guillemot avec une curieuse expression sur son visage.

– C’est curieux…, dit-elle d’un air songeur, j’avais oublié qu’il avait les yeux si verts !

Qadehar chercha le regard de Kushumaï.

– Les yeux de sa mère…, murmura-t-il. Il me semble que nous devrions avoir une petite discussion, tous les deux, ajouta-t-il en regardant la Chasseresse.

– Tous les trois, rectifia Yorwan.

Il se tourna vers Kyle. Le jeune garçon leva les yeux vers lui.

– Alors, c’est vrai ce que Gérald m’a dit ? Vous êtes… je suis…

– Je suis ton père, Kyle, et ta mère, dont tu as le si joli regard, vit au Pays d’Ys. Kushumaï t’a échangé contre Guillemot lorsque tu étais bébé, et t’a confié, si j’ai bien compris, à la gentillesse du Peuple du Désert…

– C’est exact, dit Kushumaï dont la voix se mit à trembler.

A ce moment précis, la Chasseresse n’était plus la guerrière impitoyable, ni même la froide Sorcière que chacun connaissait. L’espace d’un instant, elle apparut telle qu’elle était au plus profond de son cœur : une mère qui, pour mettre son enfant à l’abri, avait dû s’en séparer et voler l’enfant d’une autre mère !

Mais Kushumaï ne tarda pas à se reprendre :

– Chaque chose en son temps. Pour l’heure, il est urgent que Qadehar ramène Guillemot à Ys pour le confier à des médecins. Quant à moi, je dois avoir une discussion avec Ambre. J’ai des excuses à lui présenter.

Elle s’adressa ensuite à Qadehar, avec un étrange sourire aux lèvres :

– Ah… Qadehar, ce n’est pas encore la fête, mais ce moment viendra. Et quand ce temps sera là, ce sera aussi le moment de nous reconstruire ! Tiens-toi prêt…

Puis elle se tourna vers Ambre, qu’elle prit doucement par l’épaule, et l’entraîna à l’écart.

XL Rêveries

Guillemot se retourna dans son lit en soupirant. Un mois déjà qu’il occupait cette chambre dans l’hôpital de Dashtikazar ! Une chambre agréable, certes, blanc et bleu, pour lui tout seul, avec une fenêtre ouvrant sur la lande et une autre sur la mer, et pleine de fleurs que les infirmières, aux petits soins pour lui, changeaient tous les jours ; mais il commençait à se sentir à nouveau en prison !

Lorsque Maître Qadehar, Yorwan et Gérald l’avaient trouvé sur le toit du temple, il était dans un tel état de faiblesse que les médecins avaient attendu avant de prononcer un avis sur son état. Puis, grâce aux soins et à l’attention de chacun, il s’était rétabli doucement, et on ne le gardait plus aujourd’hui à l’hôpital que par précaution. Heureusement, pour occuper ses journées, il pouvait compter sur les visites, si nombreuses que le médecin chef avait dû intervenir et demander au Prévost d’établir une liste des personnes autorisées à se présenter…

– Maît… Papa ! s’exclama Guillemot en découvrant Qadehar qui s’était glissé silencieusement dans la chambre.

– Bonjour, fiston, répondit le Sorcier en affichant un grand sourire. Alors, comment va notre héros aujourd’hui ?

L’épopée de l’expédition des Chevaliers ainsi que le siège de Yénibohor par l’armée des Collines alimentaient toutes les conversations au Pays d’Ys. Quant au duel qui avait opposé Guillemot à Charfalaq, c’était déjà un mythe ! L’Apprenti Sorcier, qui n’était maintenant plus considéré comme un Apprenti, occupait déjà une place particulière dans le cœur des habitants d’Ys depuis qu’il avait sauvé Agathe des griffes des monstres du Monde Incertain. Aujourd’hui, il était devenu une gloire nationale, et était en passe de devenir un mythe vivant ! Dès les premiers jours, des groupes entiers d’admirateurs s’étaient pressés dans le hall de l’hôpital pour lui témoigner leur gratitude de les avoir libérés de la menace de l’Ombre. Leur reconnaissance était très sympathique, certes, mais éprouvante, aussi. D’autant que Guillemot ressentait un immense besoin de calme et de solitude, pour réfléchir à tous ces événements qui, en si peu de temps, avaient complètement bouleversé sa vie.

– Ne m’appelle pas héros… ce n’est pas drôle ! dit Guillemot.

– Je ne me moque pas, répondit Qadehar en s’approchant et en caressant tendrement la joue de Guillemot, qui s’était redressé dans son lit. Au contraire, je suis très fier de toi ! Autant que ta mère, crois-moi ! Je veux parler d’Alicia…

Le premier choc, bien sûr, avait été de recevoir la confirmation que sa mère n’était pas sa vraie mère.

Cela avait été très douloureux pour Alicia, qui avait sangloté en le serrant interminablement contre elle, en lui répétant qu’il resterait toujours son fils. Il se rappelait l’avoir regardée avec beaucoup de tendresse, et lui avoir dit que, pour lui, rien ne changeait, que sa vie resterait la même, auprès d’elle, à Troïl. Et songeait-il à sa vraie mère ? lui avait-elle demandé, bouleversée. Sa vraie mère…