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— Ah, c’est pas chez nous qu’il faut chercher mais dans l’une des salles communes. Il paraîtrait que Worraby et son grand nez ont fait coup double. Son client n’était pas tout à fait froid !

— Qu’est-ce que vous dites ? Vous en êtes sûr ?

— Remarquez, c’est peut-être une question de minutes parce qu’on a mis du temps à le ranimer et il est loin d’être au mieux de sa forme...

Sargent ne l’écoutait plus et dégringolait vers les longues salles lugubres où s’alignaient des lits, cherchant le « rescapé de Worraby ».

— Le numéro 49, là-bas au bout !

L’instant suivant, sir John se penchait sur une couche semblable à toutes les autres donc impeccable de propreté, où un homme barbu, aux yeux clos, respirait avec difficulté. Il sursauta et réclama une ambulance d’urgence « pour emporter cet homme sans perdre une minute à la clinique du Pr Wilberforce » !

— Si quelqu’un peut le sauver, c’est lui, mais il faut faire vite !

— Le grand spécialiste des poumons ? Et qui va payer ?

— Ne vous inquiétez pas pour cela ! Il sera payé et plutôt deux ou trois fois qu’une ! Le clochard de Worraby, c’est le prince Morosini !

À peine deux minutes plus tard, une ambulance, sirène hurlante, emportait Aldo vers la vie si Dieu en avait décidé ainsi ! Quant au sergent Worraby, il avait réussi l’exploit de sa vie !

Il fallut faire garder la clinique luxueuse afin d’éviter qu’elle ne soit envahie par les journalistes.

— Oh, n’ayez crainte, il vivra ! assura Adalbert pour l’édification de Peter, dès qu’on sut la nouvelle. Il a une veine incroyable et trouve le moyen de survivre après les pires catastrophes... Par exemple, atteint d’une balle dans la tête, elle a raté le cerveau d’un cheveu. Grâce aussi aux doigts d’or d’un jeune chirurgien de Tours !

— Si c’est cela, vous pouvez faire confiance au Pr Wilberforce ! Il consulte dans le monde entier.

— Si vous le dites, Peter !

L’aventure qu’ils vivaient depuis l’affaire d’Hever Castle avait donné naissance à une véritable amitié entre ces deux-là. En fait, le cadet des Cartland était à présent adopté par toute la famille, et si en serrant la main d’Aldo qui ne lui avait pas ménagé ses remerciements alors que l’autre main reposait dans celles d’une Lisa radieuse il avait éprouvé un pincement au cœur – n’était-il pas secrètement amoureux d’elle alors qu’il jouait auprès de Mary les amoureux transis et un peu naïfs, porteurs chaque jour d’un petit présent pour justifier la tasse de thé quotidienne ? –, il avait, en vrai gentleman, admis loyalement qu’auprès d’un tel homme il ne pouvait peser lourd et devait se contenter de l’amitié, ce qui, après tout, n’était déjà pas si mal que cela !

Quelqu’un, naturellement, avait découvert le secret de ce cœur virginal, et c’était sa mère. Caroline avait accordé elle aussi grand accueil à la tribu Morosini pour évoquer l’agréable moment qu’elle avait passé chez eux à Venise.

— Vous nous l’avez rendu au centuple le soir où vous avez chassé Ava Astor de votre réception à la face de tout Londres.

— Et croyez-moi, il n’y a pas une foule d’amateurs pour la ramasser ! dit Peter en riant. J’en connais même un nombre impressionnant à qui ce camouflet a causé un vif plaisir !

— Elle s’est attiré trop d’ennemis pour qu’il en soit autrement, commenta Plan-Crépin – on dînait ce soir-là chez les Sargent. Personnellement je lui aurais volontiers tordu le cou mais il semble qu’elle ait disparu de la circulation ?

— Elle a fait la seule chose possible pour elle afin de donner aux gens le temps d’oublier le drame ; pris le premier paquebot pour New York. Là, quand on s’appelle Astor ou associé, on vous pardonne tout... ou presque ! Grand bien lui fasse ! conclut la duchesse.

En attendant la fin du traitement et passé la phase hospitalière, on avait réintégré avec enthousiasme la belle maison ancienne de feu le peintre Dante Gabriel Rossetti dont Adalbert était tombé brusquement amoureux, le jour où il en avait eu assez de fréquenter le Savoy. À l’origine, Aldo devait la partager, mais finalement Adalbert était resté le seul propriétaire. Au cours des années, la maison en avait vu de toutes les couleurs mais Adalbert, après avoir été sauvé du suicide par Plan-Crépin, avait décidé qu’il y demeurerait fermement attaché.

Adalbert s’était hâté d’y rappeler Théobald, son fidèle valet à tout faire, afin de retaper dare-dare le joyeux décor d’un jaune bouton-d’or où il faisait si bon dîner autour de la table ronde fleurie, placée près de la cheminée de marbre blanc.

Délirant de bonheur, Théobald était accouru avec armes, bagages... et casseroles, car ses talents culinaires n’étaient plus à démontrer et l’on avait fait bombance entre amis. Lisa s’était installée dans la chambre d’Aldo. Il n’y avait évidemment pas de place pour tout le monde et Mme de Sommières, ainsi que Plan-Crépin, réintégrée dans ses fonctions habituelles, demeuraient chez les Sargent. Voyant en cela une grâce particulière du Seigneur, cette dernière avait même découvert, dans les environs de la propriété, un modeste couvent catholique qui lui permettait de retrouver les joies de sa quotidienne messe de 6 heures, les copines de son club de bavardes en moins. Mais ce n’était que partie remise et elle se délectait en pensant à tout ce qu’elle aurait à raconter.

Seule Mme von Adlerstein ne s’était manifestée que par écrit. C’était dans son caractère. Il n’y avait déjà que trop de publicité autour de cette affaire et, en outre, cela aurait incité les enfants à poser des questions embarrassantes autant qu’inutiles.

Vindicatif, Moritz Kledermann n’avait pas cherché à renouer avec cet Astor qui l’avait si fort déçu. Il s’était borné à lui transmettre par le biais de son secrétaire :

« Si je trouve votre trésor, il vous sera rendu. Il est impensable qu’un passionné de joyaux ne déplore pas une perte si cruelle mais ne m’en demandez pas plus ! Vous auriez pu faire confiance à mon amitié ! »

En attendant, la gratitude de Morosini pleuvait sur ceux qui la méritaient et singulièrement son sauveur, le sergent Worraby, qu’il était allé remercier, féliciter de son incroyable flair, et auquel il avait offert une copie conforme de sa chère vedette.

Pour en finir avec le banquier, il n’avait pas renoncé à ses propres recherches et confié à son gendre que, chacun rentré chez soi, il avait bien l’intention de retourner au Brésil où il avait une bonne piste pour les émeraudes de Cabral.

— Et vous, quels sont vos projets ? demanda-t-il, ce qui lui valut l’un des plus séduisants sourires d’Aldo :

— Faire mon métier comme avant ! Après la grande soirée chez le duc de Cartland que préparent Caroline et Peter afin de célébrer notre retour à la vie normale, nous allons rentrer à Venise, y donner nous aussi une fête avec tous les amis et reprendre les joies de la vie quotidienne.

— La chasse aux merveilles du passé ?

— Seulement dans le cadre parfois agité mais sans péril des salles des ventes, voire des ventes privées...

— Plus d’expéditions lointaines dans le style Kledermann en Amazonie ?

— Après ce qui vient de m’arriver ? Vous voulez rire. Pas de destination plus lointaine que Paris, et principalement l’hôtel de Sommières. Lisa prétend qu’on ne devrait jamais quitter Venise !

— Elle n’a pas tout à fait tort. Cela lui vaudra au moins, à elle, une vie plus tranquille !

— Dire que je n’en aurai plus envie serait un gros mensonge, surtout avec Adalbert, mon vieux compagnon de voyage, qui lui-même est un peu fatigué de me raccompagner au logis pour y servir de « mot d’excuses pour absence trop lointaine et trop prolongée ». Pourtant il y a une dernière aventure dans laquelle j’aimerais me lancer !