— Dites-moi, monsieur Drapier, est-elle brune ou blonde ?
Le directeur de la Monnaie se leva :
— Brune ou blonde ? De qui voulez-vous parler ? de la tante Denise ?
— Non pas ! fit Juve, je ne connais pas votre tante Denise, mais je suis convaincu qu’elle doit avoir une chevelure grisonnante, des cheveux très tirés et quelque peu jaunis à la naissance de la raie… qu’elle doit porter au milieu de la tête, ainsi qu’au bout du chignon. Je ne me permettrais point de vous demander au surplus des détails de ce genre sur quelqu’un de votre famille…
« Voyons, monsieur Drapier, répondez-moi, est-elle brune ou blonde ?
Drapier demeurait perplexe, ne répondait point. Juve insista :
— Eh bien, je vais vous le dire ! Elle est blonde, et lorsqu’elle vous écrit elle rédige ses lettres dans son cabinet de toilette avant d’être coiffée et, cependant qu’elle écrit, ses cheveux épars sur ses épaules font à son visage un cadre fort seyant !
Cependant que Juve parlait, M. Drapier haletait, son visage devenait blême.
— Monsieur, jusqu’à présent, vous m’avez parlé sur un ton d’ironie persifleuse que j’ai toléré, eu égard à votre situation, mais n’oubliez pas que je suis moi-même un fonctionnaire, un haut fonctionnaire, et que vos insinuations peuvent paraître du plus mauvais goût. Où voulez-vous en venir et que signifient ces propos ?
Juve ne s’émotionnait pas, bien au contraire !
— Je voulais dire simplement ceci, monsieur Drapier, et, je vous en supplie, ne vous en formalisez pas ! Je veux dire que vous avez une petite amie, une maîtresse, que cette maîtresse, vous sortez fréquemment avec elle et que vous allez dîner en sa compagnie dans les restaurants à la mode… mais en ayant soin de prendre un cabinet particulier pour n’être point reconnu !
« Je veux dire, chose que vous ignorez certainement à l’heure actuelle, qu’il y a un lien indiscutable entre l’assassinat de Firmain, votre valet de chambre ou soi-disant tel, et vos relations amoureuses ! Voilà, monsieur, ce que je puis vous révéler pour le moment !
« J’aurai l’honneur de vous revoir bientôt. En attendant, je vous invite à vous tenir à la disposition de la justice !
Juve proférait ces dernières paroles sur un ton très sec. Il se levait. M. Drapier se précipita vers lui.
— Je vous prie de m’excuser, monsieur Juve. Je viens d’avoir à votre égard un mouvement de vivacité que je regrette profondément, car je sais avec quelle conscience et avec quelle correction vous menez votre enquête, mais vous m’avez désespéré, car ce que je croyais absolument secret, je vois que vous le saviez déjà !
« J’imaginais que nul n’était au courant de la liaison avec Paulette, et je suis désespéré !…
Juve interrompait son interlocuteur :
— Vous étiez dans le vrai, monsieur, dit-il, votre liaison n’est pas connue, étant donné que je l’ignorais il y a encore cinq minutes… et si cela peut vous tranquilliser, je n’ai aucune raison de vous le dissimuler, je l’ai apprise en causant avec vous !
— En causant avec moi !…
— Oui, monsieur ! Oh ! la chose est très simple. Dans ce petit vide-poche, où vous mettez le soir avant de vous coucher les menus objets que vous retirez de vos vêtements, se trouvent quelques cure-dents enveloppés dans du papier, lesquels portent la suscription, l’adresse des restaurants à la mode. Ceci me prouva que vous alliez parfois dîner au restaurant…
« Pas avec M me Drapier ! m’avez-vous dit ! Elle ne sort jamais ! J’ai insinué que vous étiez populaire dans ces établissements, vous m’avez répondu qu’au contraire, nul ne vous y rencontrait !…
« C’était donc que vous alliez dans les cabinets particuliers !
« On ne va pas seul dans un cabinet particulier, on y va toujours à deux, quel était l’autre ? Je vous ai demandé votre carte de visite pour vous inciter à sortir votre portefeuille, c’est là d’ordinaire qu’on met les lettres qui ne doivent point traîner…
« Précisément, l’une de ces lettres est tombée de votre poche, je vous l’ai rendue… Son contenu ne m’intéresse pas, mais j’ai gardé l’enveloppe et j’ai trouvé, à l’endroit où la fermeture porte de la gomme, un cheveu qui s’est intercalé… C’est en mouillant avec ses lèvres cette gomme que M lle Paulette a pris un de ses cheveux qui est resté dans l’enveloppe !
« Il y a en outre, sur cette enveloppe, quelques taches très caractéristiques, provenant de l’eau dentifrice qu’emploie votre charmante amie, car je ne doute pas qu’elle ne soit charmante, c’est ce qui m’a permis de conclure que M lle Paulette, puisque Paulette il y a, a l’habitude d’écrire sa correspondance dans son cabinet de toilette avec ses cheveux étendus sur ses épaules… Et voilà !
Léon Drapier restait abasourdi devant les logiques déductions de Juve.
Il abandonnait son air arrogant et il se fit très humble désormais, pour murmurer à voix basse :
— Monsieur Juve, je vous admire, et je m’excuse encore une fois de l’attitude que j’ai eue à votre égard. Écoutez-moi bien. Je vous jure que je ne sais ce qui s’est passé… Je vous jure que je ne suis pour rien dans cette mystérieuse affaire… Un seul point au surplus me préoccupe et m’inquiète, surtout qu’on ne sache jamais chez moi que j’ai une maîtresse et que je suis en relation avec Paulette de Valmondois !
Juve souriait aimablement.
— Vous pouvez compter sur moi, déclara-t-il d’un ton sincère, pour être la discrétion même ; puisque nous voici en confiance, et pour m’éviter des recherches inutiles, ayez donc l’obligeance de me donner l’adresse exacte de M lle Paulette ?
Léon Drapier sursauta :
— Et vous voudriez aller la voir ?
— Oui ! fit Juve.
— Et que lui direz-vous ?
— Ceci me regarde.
— Mais qu’a-t-elle à faire dans tout ce drame ? Paulette n’est aucunement mêlée au malheur qui s’est produit…
— Peu importe !… J’aurai plaisir à la connaître !
— Monsieur Juve, je vais vous accompagner chez elle.
— J’irai seul, je vous en prie !
— Monsieur Juve…
Juve était déjà sur le pas de la porte, et c’était en lui prenant sa main dans les deux siennes, que Léon Drapier le retenait.
— Monsieur Juve… monsieur Juve…
— Quoi, monsieur ?
— Vous disiez tout à l’heure, il me semble, qu’il y avait peut-être, entre ma maîtresse et la mort de Firmain, un lien quelconque. Je vous en supplie… fournissez-moi une explication, qu’est-ce que cela signifie ?
— N’ayez pas peur ! déclara Juve d’un ton rassurant, et ne prenez point pour parole d’évangile chacune des idées que j’émets ! Jusqu’à présent je ne peux rien vous dire, mais comptez que je ferai l’impossible pour savoir la vérité, et que, d’autre part, je la dirai discrètement. Alors ? nous disions que M lle Paulette de Valmondois habitait, habite du moins… ?
Résigné, subjugué par l’ascendant de Juve, Léon Drapier articula :
— 187, rue Blanche, au premier au-dessus de l’entresol !
Juve, posément, prenait note de l’adresse, et il se retirait. Il était déjà dans la galerie, lorsque, rebroussant chemin, il s’en vint demander à Léon Drapier en le fixant dans les yeux :