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Léon Drapier, au surplus, ne s’apitoyait pas.

Tout sentiment était anéanti chez lui par le seul fait de la peur qu’il avait que sa femme connût ses relations avec la demi-mondaine de la rue Blanche. Jusqu’à présent, il avait pu dissimuler, il espérait, malgré tout, qu’il pourrait continuer à en être de même.

M me Drapier entra. Elle fit boire à son mari quelques gouttes d’eau de mélisse qu’elle lui apportait, mêlée à de l’eau minérale.

Il n’éprouvait aucunement la sensation qu’il allait s’évanouir. Néanmoins, Léon Drapier absorba la boisson qu’on lui présentait.

Il prit un air indifférent pour déclarer à sa femme :

— Cette histoire que tu viens de me lire, dont on parle dans le journal, n’a aucun intérêt, aucune importance. C’est une de ces pauvres filles qui s’est donné la mort, souhaitons que les journalistes n’aillent pas amplifier cette affaire et soulever un scandale à ce propos !…

— Ma foi, déclara M me Drapier, je souhaiterais plutôt le contraire ! Un clou chasse l’autre ! Et si les journalistes pouvaient s’occuper de cette demoiselle et nous laisser tranquilles, j’en serais, pour ma part, fort heureuse !… Oui, concluait-elle, plus cette affaire-là grossira, et plus nous aurons la paix… Ce M. Mirat me l’a bien expliqué, les affaires, quelles qu’elles soient, n’ont que l’importance que leur donnent les journalistes. On étouffe un incident, un drame, comme on les grossit à volonté !

— Eh bien ! pensait en lui-même Léon Drapier, on ferait bien de l’étouffer, cette histoire-là !…

Mais ce n’était pas l’avis de sa femme, et Drapier ne pouvait dire à cette dernière les raisons qu’il avait pour désirer que le suicide de Paulette de Valmondois passât inaperçu.

Les deux époux, au surplus, apprenaient à ce moment-là, par Caroline, que le dîner était prêt, et dès lors ils se mettaient à table.

Le couple Drapier bavardait peu en temps ordinaire. Depuis la singulière aventure, depuis le drame à l’issue duquel on avait découvert le cadavre de Firmain, ils échangeaient encore moins de propos.

Léon Drapier ne tenait pas à donner à sa femme des détails sur cette affaire, craignant d’être obligé de lui avouer qu’il avait découché toute la nuit du crime. Quant à M me Drapier, elle conservait au fond de son cœur cette émotion très troublante, la certitude que son mari avait menti à la justice en affirmant qu’il était là, dans sa chambre, à l’heure où, vraisemblablement, Firmain avait été tué, alors qu’en fait M me Drapier savait que son mari n’était pas là.

Lorsqu’ils eurent achevé de dîner, les deux époux ne tardèrent pas à aller se coucher.

Il était à peine huit heures un quart du matin, quelqu’un parlementait à la porte de l’appartement avec Caroline, la cuisinière, qui était restée seule domestique pour le moment chez les Drapier. On n’avait pas encore remplacé le valet de chambre ; quant à la femme de chambre, elle était toujours souffrante.

Au surplus, Caroline n’avait pas grand-chose à faire, d’autant que la tante Denise, douloureusement impressionnée par ce qui s’était passée, était brusquement repartie pour Poitiers, ce qui laissait fort ennuyé Léon Drapier, qui redoutait de perdre l’héritage.

Un homme, dans l’antichambre, sollicitait d’être introduit auprès de M. Drapier.

— Je vous dis, fit Caroline maussade, que monsieur est parti pour son bureau !

Mais l’homme secouait la tête et, esquissant un sourire qui signifiait qu’il en savait long, il rectifia :

— M. Drapier n’est pas parti ! M. Drapier ne partira que tout à l’heure et même arrivera très en retard à son bureau ce matin !

— Ah ! vraiment ! fit Caroline, vous êtes mieux renseigné que personne, vous !

— C’est peut-être mon métier, répliqua l’individu.

Caroline le considéra. Elle avait en face d’elle un homme bien constitué, robuste, assez élégant de tournure ; il pouvait avoir quarante à quarante-cinq ans environ, il portait une épaisse moustache, il était mis avec recherche.

— Encore un journaliste ! pensa-t-elle.

Elle demanda la carte de visite de l’interlocuteur.

Celui-ci tendit un bristol sur lequel Caroline lut ce simple nom : Mix.

Il n’y avait pas de qualité, pas d’adresse.

— De quel journal ? demanda-t-elle.

— Je n’appartiens pas à un journal.

Puis l’homme, qui s’impatientait, ajouta :

— J’insiste pour que vous apportiez ma carte à M. Drapier.

Caroline reprit son air guindé.

— Je vous dis, moi, que monsieur ne reçoit personne, et que seule madame reçoit les journalistes. C’est de bien bonne heure pour la voir.

Sans se départir le moindrement de son calme, l’individu, qui s’entêtait, ajouta encore :

— Je n’ai rien à dire à M me Drapier, je veux voir M. Drapier !

— Mais enfin, qu’avez-vous à lui dire ?

— Des choses importantes et graves. Assurez-lui qu’il ne regrettera pas de m’avoir vu et reçu.

Subjuguée par l’ascendant de cet homme, Caroline se décidait à aller trouver son maître.

Le visiteur la rappela.

— Dites à M. Drapier, fit-il, qu’il s’agit de l’affaire de Firmain.

— Bien, monsieur !

Quelques instants après, dans sa chambre à coucher où il achevait de se vêtir, M. Drapier voyait entrer un homme qui n’était autre que le visiteur auquel Caroline avait tout d’abord déclaré que son maître ne recevait pas, puis qu’elle avait annoncé ensuite.

Tout en enfilant sa jaquette, Drapier, se tournant vers le nouveau venu, lui demanda d’un air rogue :

— Vous êtes ce M. Mix qui m’a fait passer sa carte à l’instant ?

L’homme s’inclina légèrement.

— Je suis ce M. Mix qui vous a fait passer sa carte à l’instant.

— Votre insistance est peut-être un peu exagérée, monsieur, ce qui fait que je vous reçois, contrairement à mes habitudes.

— Contrairement à mes habitudes, monsieur, rétorqua l’individu, j’ai sollicité de vous voir alors qu’en temps ordinaire c’est moi qui suis supplié de recevoir les visiteurs !

— Qu’est-ce à dire, monsieur ? Et quel rôle remplissez-vous donc ?

L’individu esquissait un léger sourire.

— Je suis Mix.

— Je ne prétends pas le contraire !

— Il ne manquerait plus que ça ! Et cela ne vous dit donc rien ?

— Cela ne me dit rien ! Votre nom m’est inconnu, monsieur Mix !

Le mystérieux visiteur souriait toujours.

— J’aurais dû m’en douter, en effet, car jusqu’à présent vous n’avez jamais eu affaire à la justice.

— Et j’espère, interrompit Léon Drapier, que je n’aurai pas affaire à elle de longtemps !

L’interlocuteur du directeur de la Monnaie reprocha d’un air scandalisé :

— Vous avez une mémoire détestable, monsieur, car vous avez précisément affaire à la justice en ce moment… et il est à craindre pour vous que vous ayez affaire à elle pendant longtemps encore !