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— Que savez-vous donc ? s’écria Léon Drapier.

— Tout ! fit l’homme. Ou rien… à votre goût !…

De plus en plus, Léon Drapier était interloqué et il se demandait à qui il avait affaire. Il balbutia, considérant fixement son interlocuteur :

— Je ne vous comprends pas du tout, monsieur. Que signifie ce « tout ou rien » ?

Enfin, l’homme paraissait disposé à fournir des explications.

Il posa son chapeau sur un coin de table, prit place dans un fauteuil sans y être invité, croisa ses jambes l’une sur l’autre et, regardant le plafond comme pour s’inspirer, il commença, s’exprimant avec élégance, faisant entendre une voix harmonieuse et séduisante.

— Vous allez comprendre, monsieur Drapier !

« Vous avez devant vous un personnage… mettons une personne, un monsieur. Ce monsieur s’appelle Mix, et il exerce la profession de policier, disons, pour être plus exact, de détective, car en France, ce qualificatif qui désigne à l’étranger les professionnels de la police, s’applique chez nous aux policiers privés.

« Ce Mix, c’est-à-dire moi, c’est donc un policier privé. Je vis de ma profession, monsieur, et comme je prétends en bien vivre, je ne donne point mes conseils et ma protection pour rien ! Par contre, lorsqu’on me paie, et vous êtes capable de bien me payer, j’accorde ma protection tout entière à mes clients.

« De là ma devise : “Tout ou rien”, c’est simple comme vous le voyez !

Léon Drapier frémissait.

— Très simple, en effet, monsieur Mix. Si je crois bien comprendre, vous êtes une sorte de maître chanteur. Vous avez appris les ennuis que j’éprouve actuellement et vous venez me menacer !

M. Mix se leva :

— Je ne menace jamais, monsieur. Je fais quelquefois des promesses qui se réalisent toujours. Quant à vous faire chanter, non, monsieur ! Cela n’est point mon rôle. Et pour parler net, pour résumer, je viens vous offrir simplement ceci :

« Vous m’avez accordé cinq minutes d’attention, vous réfléchirez cinq minutes à ce que je vais avoir l’honneur de vous dire, et cinq minutes après, vous m’aurez signé un engagement de trois mois à raison de mille francs par mois, en échange duquel je m’engage à vous débarrasser de tous les soucis que vous éprouvez à l’heure actuelle et à vous donner tous les éléments de votre innocence dans l’affaire Firmain comme dans l’affaire de la fille Poucke. Cela fait au total un quart d’heure. Il est maintenant, si j’en crois votre pendule, huit heures et demie du matin, à neuf heures moins un quart nous en aurons terminé !

Léon Drapier voulut placer une parole, son interlocuteur l’en empêcha :

— Inutile ! fit l’homme, je commence. Notez l’heure, je vous prie, huit heures trente et une !

L’individu, dès lors, s’installait à nouveau dans le fauteuil qu’il venait d’abandonner. Il sortit de sa poche un étui à cigarettes, en offrit une à Léon Drapier qui refusa et, nullement vexé, se mit à fumer.

— Résumons les faits, déclara cet homme étrange.

« Dans la nuit du 26 au 27, le valet de chambre que M. et M me Drapier ont engagé de la veille est mystérieusement assassiné dans le cabinet de travail de son maître.

« Celui-ci, qui couche dans la chambre voisine, déclare n’avoir rien entendu alors que M me Drapier, qui habite l’autre extrémité de l’appartement, a été réveillée par des bruits suspects. Première invraisemblance. M. Léon Drapier est un homme fort bien constitué et qui n’est aucunement atteint d’une infirmité connue sous le nom de surdité !

« Pourquoi donc M. Léon Drapier n’a-t-il rien entendu ?

« Oh ! la chose est fort simple ! M. Drapier n’a pas voulu entendre. M. Drapier, au surplus, pendant une bonne partie de la nuit, était absent de son domicile. Où était-il, M. Drapier ?… Il était chez une certaine demoiselle Poucke, connue dans la galanterie sous le nom de Paulette de Valmondois. C’était sa maîtresse, et M. Drapier en était fort jaloux. Quelle fut, au cours de cette nuit, la conversation intervenue entre M lle Poucke, dite Paulette de Valmondois, et son amant M. Léon Drapier ? Nul ne le sait, mais il faut croire que M. Léon Drapier apprit certaines choses et notamment les relations qui existaient entre la demoiselle et son nouveau valet de chambre Firmain. Il a cru, à tort d’ailleurs, que Firmain était l’amant de sa maîtresse. M. Drapier est alors rentré chez lui. C’est un homme vif et coléreux.

« Il a trouvé dans son cabinet ce Firmain qui y faisait je ne sais trop quoi, les deux hommes se sont disputés, battus, M. Léon Drapier a eu le dessus… il a assassiné le domestique !

— Qu’en dites-vous, monsieur ? hurla Léon Drapier.

— Je dis, poursuivit l’homme qui répondait au nom de Mix, il n’est que huit heures trente-trois et j’ai encore deux minutes à vous consacrer pour mon discours, conformément à mon programme fixé… La police survient, ne comprend rien à ce qui s’est passé et M. Léon Drapier se rassure, au fur et à mesure que s’écoulent les heures qui succèdent au drame.

« Toutefois, lorsqu’il vient chez sa maîtresse, il lui fait une scène épouvantable et lui reproche les faux certificats grâce auxquels Firmain a pu s’introduire chez M. Drapier.

« M. Drapier, qui n’est pas mauvais homme à l’ordinaire, voit rouge, sitôt qu’il s’agit d’un danger couru par sa propre tranquillité personnelle. Il apprend que Firmain était, non point l’amant de sa maîtresse, mais le frère de cette femme. Il se rend compte qu’elle va être interrogée si ce n’est déjà fait, qu’elle va parler, révéler qu’elle était la maîtresse de M. Léon Drapier ; une altercation s’ensuit, M. Léon Drapier tire sur Paulette de Valmondois et s’enfuit terrifié, très heureux que la police, décidément bien maladroite, prenne le drame pour un vulgaire suicide… »

Une fois encore Léon Drapier interrompit.

— Ah çà, monsieur, c’est de la pire folie ! Vous imaginez tout cela ! Votre roman ne tient pas debout ! Car c’est un roman…

M. Mix regardait la pendule, il articula à mi-voix :

— Huit heures trente-quatre et demie, encore trente secondes !… C’est effectivement un roman, monsieur, mais un roman parfaitement plausible et je sais qu’à l’heure actuelle c’est la version officielle qui prévaut dans les milieux policiers !

« Il y a en outre des preuves qui paraissent convaincantes à votre égard !

« On a mis sous scellés, aussi bien chez vous que chez Paulette de Valmondois, des objets qui vous appartiennent. Lorsque la justice reconstituera les deux crimes, vous y serez si directement mêlé qu’il faudra bien que vous fournissiez des explications aux magistrats… Encore quatorze secondes ! Si je vous parle, monsieur Drapier, c’est parce que je sais que d’ici demain matin vous serez inculpé d’un double crime. Encore dix secondes !… et que je suis le seul homme capable qui peut vous tirer d’affaire, car seul je possède les preuves de votre innocence. Encore trois secondes pour les derniers mots !… et que seul je suis capable de les faire valoir !

« Les cinq minutes sont écoulées, monsieur Drapier, vous avez jusqu’à huit heures quarante pour réfléchir sur la situation !

« De deux choses l’une : ou vous allez vous débattre entre les magistrats, les inspecteurs de la Sûreté, le Parquet et les fonctionnaires de votre administration, ou vous allez en vous confiant à moi éviter d’être même inquiété un seul instant…