— Je n’ai pas besoin, n’est-ce pas, déclarait-il, de vous rappeler toute la gravité de vos paroles. Il faut me faire le serment de dire la vérité, rien que la vérité. Répondez tout bas : Je le jure.
— Je le jure ! fit la malade.
Le juge d’instruction se tournait alors vers son compagnon, examinant d’un coup d’œil à la dérobée l’attitude du Dr Tillois qui, indifférent à cette scène, s’était rapproché de la fenêtre et tapotait du bout des doigts une marche militaire sur les carreaux.
— Monsieur le greffier, dit le juge d’instruction, veuillez noter que j’ai fait prêter le serment d’usage.
Il se penchait à nouveau vers la malade, il demandait encore :
— Dites-moi, madame, vous êtes bien madame Paulette de Valmondois, et de votre nom de famille, la fille Poucke ? Vous habitez bien rue Blanche ? Vous avez bien pour amant M. Léon Drapier, directeur de la Monnaie ?
— Oui, articula la malade, qui était devenue très pâle.
— Inscrivez, greffier, dit le juge d’instruction.
Et pendant que la plume du greffier grinçait sur une feuille de papier blanc, le juge d’instruction s’épongeait le front, car, étant très ému, il avait terriblement chaud.
Mais était-ce donc bien la jolie Paulette de Valmondois qui se trouvait dans cette chambre d’hôpital, confiée aux soins mercenaires de Berthe l’infirmière, exposée encore aux essais scientifiques du chirurgien Tillois, fort préoccupé de se créer de la réclame en tentant d’audacieuses interventions ?
Il s’agissait en effet de Paulette de Valmondois.
Lorsque celle-ci avait reçu tout d’abord, chez elle, rue Blanche, l’étrange visite du personnage qui l’avait interrogée sur le valet de chambre de son amant, lorsqu’elle avait, quelques instants plus tard, reçu la visite de Léon Drapier lui-même, venu lui faire une scène terrible en raison des fameux certificats qu’elle semblait avoir rédigés elle-même au profit du domestique Firmain, la jolie Paulette, évidemment, n’avait point pu se douter des terribles et tragiques événements dont elle devait être, sur l’heure même, la malheureuse victime.
Ceux-ci s’étaient produits cependant. Lorsque Léon Drapier, émotionné par le coup de revolver qu’il avait entendu nettement, était rentré dans la pièce où Paulette venait de disparaître, il avait vu sa maîtresse écroulée sur le sol, perdant son sang à grands flots, et il s’était enfui.
Léon Drapier, par bonheur, n’avait pas été le seul à entendre le coup de feu. Il n’était pas au bas de l’escalier que la domestique de Paulette accourait. Elle relevait sa maîtresse évanouie, la poitrine trouée d’une balle ; elle pensait mourir de peur, mais elle avait cependant l’énergie nécessaire pour donner l’alarmé, appeler la concierge, faire prévenir la police.
Tout s’était alors passé normalement, avec cette lente et parfaite tranquillité qui est la tranquillité des indifférents lorsqu’ils se trouvent en présence d’un malheur qui ne les touche pas personnellement.
On avait été chercher le pharmacien, qui n’avait rien osé faire. Un médecin avait été prévenu qui, ayant doctement examiné la blessure, avait fini par déclarer qu’il lui était impossible d’apprécier la gravité du mal et que le mieux était de faire transporter Paulette à l’hôpital.
Ce transport avait naturellement été long. Il avait fallu obtenir une ambulance, puis descendre la malade. C’était seulement cinq grandes heures après le drame, évanouie, presque à court de sang, qu’était admise à Lariboisière et, vu son état, installée dans une chambre à part, la malheureuse Paulette.
Tillois avait, le lendemain matin, sondé la blessure, examiné la plaie et hoché la tête d’un air sentencieux.
— Cette femme a de la chance ! murmurait-il à ses internes. La balle a dévié sur une côte et frôlé le poumon. Un peu plus le cœur était atteint et la mort instantanée. Nous allons tenter l’extraction de la balle.
On avait à peine endormi Paulette, car elle était encore si faible que le chloroforme paraissait dangereux, et, toute vive, on l’avait opérée jusqu’au moment où Tillois s’était tranquillement aperçu que la balle n’avait pas dû rester dans les chairs, qu’elle avait traversé la jeune femme de part en part, qu’elle était sortie en frôlant la colonne vertébrale.
Il y avait quelques jours de cela, et Paulette était toujours entre la vie et la mort. Les choses n’en suivaient pas moins leur cours, la jeune femme n’en était pas moins en butte au zèle intéressé des magistrats.
À l’heure où les médecins se résignaient, en somme, à laisser la nature agir, les magistrats accouraient à son chevet, la société déléguait auprès de la moribonde, pour la venger, un juge d’instruction…
Celui-ci continuait :
— À l’heure actuelle, chère madame, nous ne savons pas grand-chose de ce qui s’est passé chez vous. L’enquête a tout juste établi que, le jour du drame, vous avez reçu des visites : celle d’un inconnu, d’abord, celle de votre amant, Léon Drapier, ensuite. Voyons, pouvez-vous me donner le nom de la première personne que vous avez reçue ?
La malheureuse Paulette de Valmondois paraissait, à cet instant, éprouver une nouvelle faiblesse. L’effort qu’elle faisait pour comprendre les paroles du magistrat lui coûtait évidemment horriblement. Elle avait grand peine à le suivre dans ses déductions, et pourtant elle voulait parler…
— Je ne sais pas… râla Paulette de Valmondois. Je ne sais pas comment s’appelait ce… ce misérable… Je crois que…
Le juge d’instruction se pencha plus encore sur le lit, il demanda haletant, avec la joie du chasseur qui pense découvrir un gibier difficile :
— C’est ce premier visiteur qui a tiré sur vous ?
— Oui, fit Paulette.
— Où était-il donc ? demanda encore le magistrat, pendant que vous receviez M. Drapier ?
— Je ne sais pas… répondit encore Paulette.
Mais cette fois, le juge d’instruction se prenait à sourire.
— Oh ! oh !… déclarait-il, je crois que l’on ne veut pas être franche ! Voyons, comprenez-moi bien. C’est très clair, et je ne suis pas dupe de vos affirmations. Ce premier monsieur, c’était votre amant, n’est-ce pas ? votre amant de cœur ?
— Non, fit Paulette.
— Mais si, insista le magistrat. Ne le niez pas, c’est évident. Il s’est caché dans votre chambre pendant que vous receviez M. Drapier, et quand vous avez quitté celui-ci, dans un mouvement de jalousie…
— Non !… Non !… interrompit sourdement Paulette de Valmondois. Ce n’est pas cela… pas du tout…
À ce moment, le Dr Tillois parut sortir par miracle de son indifférent silence.
— Permettez, faisait-il en s’approchant à son tour de la malade. Elle me semble bien nerveuse, bien fatiguée. Il faudrait, monsieur le juge, suspendre votre interrogatoire pendant quelques instants.
— À vos ordres, docteur.
Déjà le magistrat s’était relevé, il se reculait, faisant un signe à la malade, l’invitant à rester tranquille, puis il se rapprochait du médecin.
— Voyez-vous, docteur, déclarait-il à voix basse, ce qu’il y a de terrible, dans tous les crimes passionnels, c’est que les victimes ne veulent pas dénoncer leur assassin. Ainsi, cette jeune femme, il n’y a pas de doute, avait deux amants. Si elle n’avait pas deux amants, l’affaire serait inexplicable, ou bien alors il faudrait soupçonner ce M. Léon Drapier dont le rôle, dans cette affaire, paraît d’ailleurs, je dois le dire, des plus équivoques.