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Le rêve de Turpinski était de rendre son élève assez fort sur le bâton pour ajouter aux exercices de Mokodingo l'attrait d'un combat à la massue entre dompteur et anthropophage, mais hélas, Dumollet faisant peu de progrès ! Il n'était pas jusqu'à Peau de Cuir, l'homme fauve de Marseille, qui ne fut devenu malgré son caractère taciturne l'ami de Dumollet et ami tellement intime qu'il lui avait déjà emprunté une quinzaine d'écus pour son tabac, et qu'il se faisait offrir deux ou trois fois par jour des rafraîchissements spiritueux. Un beau jour de la deuxième semaine à Rennes, Dumollet fut appelé en conférence par ses directeurs dans le salon roulant de madanae Turpinska.

— Mon cher Narcisse ! dit madame Turpinska, vous avez vu le monsieur qui est venu nous parler après la représentation ?

— Oui, madame Turpinska.

— Ce monsieur vous a fort admiré tout à l'heure, mon ami, et il est venu nous proposer quelque chose.

— Quoi donc ?

LA GIRAFE COQUELl'CHA

— Vous allez voir... d'abord je dois vous diie que je suis très contente de vous.... vous avez du talent, comme nègre, vraiment du talent ! Ce que c'est que la vocation. Vous aviez la vocation et vous ne vous en doutiez pas! Remerciez-moi, mon ami, de vous avoir révélé voire vocation artistique!... Je suis donc très contente de vous, et pour vous le prouver, je vous diminue.

— Vous me diminuez ?

— Oui, vous ne me donnerez plus que vingt-cinq frans par mois... Pour en revenir au monsieur de tout à l'heure, il a une idée superbe !... Ce monsieur est un.... Comment appelle-t-on cela, Turpinski ?

— Aé... dit Turpinski.

— Aéro... dit madame Turpinska.

— Naute ! acheva Turpinski,

— C'est cela, aéronaute ! Vous savez ce que c'est? Un monsieur qui va se promener en ballon dans le ciel ! Un bel état, tout-à-fait ! Cet aé.... ce monsieur enfin, a une idée. Vous savez que demain dimanche, pour terminer la fête, il y a une ascension de Montgolfière ou de ballon, si vous voulez...

— Oui, fit Dumollet qui frémit tout-à-coup.

— Ce monsieur pour donner plus d'attrait à son ascension, voudrait emmener avec'lui, accroché sous la nacelle, notre zèbre Co-queluchon ; il désirait la girafe Coquelucha, mais nous lui avons fait entendre que la girafe ne ferait pas son affaire, elle est capricieuse et pourrait se mal conduire, tandis que nous

Turpinski parant la pluie. répondons de la docilité de notre zèbre Coqueluchon. — Je neveux pas! s'écria Dumollet, je connais Coqueluchon, il aura peur, sera malade, je ne veux pas le laisser monter en ballon !...

LES DAMES CRL'REM LEUR DERNIER MOMENT ARRIVE

— Coqueluchon n'aura pas peur pour si peu.... une simple petite excursion dans les nuages, une promenade délicieuse... d'ailleurs vous serez là pour lui faire entendre raison.

— Comment, je serai là ?

— Mais oui, puisque vous serez monté dessus !

— Moi! gémit Dumollet, moi ! je monterais en ballon !

— Vous ne monterez pas en ballon, vous monterez sur Coqueluchon ce n'est pas la même chose,... on vous attachera sous la nacelle et vous serez enlevé tout doucement, tout doucement Ce sera charmant !

— Jamais ! Comment ! Je n'ai pas voulu prendre la diligence pour Saint-Malo par crainte de dégringolades et je monterais en ballon! Jamais!

— D'abord vous n'irez pas en ballon jusqu'à Saint-Malo, je vous dis qu'il s'agit d'une simple promenade d'une heure. Vous redescendrez bien tranquillement pour le dîner. Ce sera superbe! Quelle belle vue de là-haut !... Ah! si je n'étais pas si lourde et si je n'avais pas le mal de mer... Et quel succès ! Du coup vous êtes célèbre, toute la Bretagne viendra voir le prince antropo-phage Mokodingo enlevé sur son zèbre Coqueluchon par une Montgolfière!

— Je ne veux pas 1

— Comment vous ne voulez pas ! s'écria Turpinski en foudroyant d'un regard terrible le pauvre Dumollet, et votre engagement? Ça rentre dans votre engagement, ça, mon cher... un engagement verbal, mais très valable ! J'aurais dû vous faire signer. J'ai toujours trop de confiance, moi, et je me laisse flouer! Si vous ne voulez pas, rendez-moi mon serpent!

— Il consentira, mon bon Turpin, calme toi, il consentira, fit madame Tur-pinska, d'ailleurs, tiens, je diminue encore ses appointements, il ne donnera plus rien par mois! Rien par mois et nourri, couché, logé, noirci, éclairé, chauffé et instruit même ! C'est splendide !... Allons, n'en parlons plus, demain matin, cet aé... ce monsieur viendra pour les préparatifs et dans l'après-midi, nous nous promènerons dans les nuages.

PEAU DE CUIR

Evasion.

XI

- Le nez de DumoUet blanchit.

Le prince Mokodingo se montra très faible à la représenta-sous L AVERSE iJQf, (}g ce samedi soir. L'émotion lui ûtait un peu de ses moyens, il grimaçait lourdement et ne se démenait pas avec la férocité qu'on était en droit d'attendre d'un prince anthropophage, furieux d'être tenu dans les fers, et exhibé à des blancs très laids et à des blanches très gentilles, probablement très succulentes à manger.

Le bon Turpinski, sauf quelques petits coups de massue frottés moins délicatement qu'à l'ordinaire, ne lui fit même pas de reproches.

Dumollet s'alla coucher dans sa voiture, sur sa tablette d'armoire, mais il ne put s'endormir malgré lous ses efTorts. Jocrisse et Peau de Cuir, le lancier polonais, le cochon savant, les canards et les lapins dormaient et ronflaient à l'unisson, mai^ l'infortuné Mokodingo, plié en trois morceaux comme à l'ordinaire, ne pouvait fermer l'œil; la promenade poétique, mais désagréable, dans les nuages en compagnie de Coqueluchon et de l'aéronaute, ne lui sortait pas de l'esprit et cette perspective lui faisait d'avance dresser les cheveux sur sa tête d'antropophage impressionnable.

0 fatalité! ô destin cruel! Aj^rès la noce Cloquebert, le sous-préfel Gornifliit de Sainte Amaranlhe, la nuit passée au bal, la contrebasse, le réverbère, la fuite, la chùle dans la rivière, la diète à l'auberge du Cheval-llougc, puis le serpent à sonnettes et l'entrée dans la troupe Turpinski. Et maintenant cette destinée, implacablement cruelle, allait l'entraîner dans les nuages à des hauteurs impossibles !...

Et tout cela pour avoir dédaigné les diligences Lafitte et Gaillard, tout cela par crainte des dégringolades, tout cela par la faute de mademoiselle Estelle !

Dumollet se tournait et se retournait sur sa tablette. lUinuit vint, puis une heure, puis deux, trois et quatre ; les heures sonnant aux clochers de la ville lui rappelcrent que dans cette journée de dimanche, il allait les fréquenter de très près, ces hauts clochers, et peut être se faire embrocher avec Coqueluchon par leurs girouettes. A quatre heures, son voisin le musicien se réveilla, et comme il était très vertueux, il salua l'aurore en se mettant à étudier en sourdine un air nouveau apporté par l'aéronaute et destiné à égayer le départ de la Montgolfière.

L'infortuné Mokodingo le reconnut, cet air joyeux était celui qu'avaient improvisé ses bons amis de Paris en lui faisant la conduite.

Bon voyage, mousieur Dumollet !

LE IIEPAS DE aOKODlNGÛ

Dumollet se leva brusquement.

— Eh bien non, je ne monterai pas en ballon, dit-il, je vais me sauver... cette musique composée par mes amis m'en donne le conseil. Voilà le petit jour, on ne m'entendra pas au milieu des premiers bruils du réveil.