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M. de Sartine laissa échapper un léger soupir de soulagement.

— Vos mensonges perpétuels ne plaident pas en votre faveur, Semacgus, poursuivit Nicolas. Vous êtes suspect, mais trop de présomptions tuent la preuve. Tout concourt à vous accuser. Or, dans cette mise en scène, bien des choses rappellent la nature morte arrangée de Montfaucon. La vérité tient peut-être à un mensonge dissimulé.

Semacgus ne parvenait pas à maîtriser le tic nerveux qui agitait l’une de ses paupières.

— Votre chance, c’est justement cette convocation du docteur Descart qui n’a, à bien y réfléchir, aucune justification. C’est un papier déchiré, non daté, non signé, qui ne porte aucune adresse et qui a été acheminé à votre demeure dans de bien étranges conditions. Je ne prétends pas qu’il s’agisse d’un faux ; il est bien de la main du docteur. Mais je soutiens qu’il s’agit d’un fragment d’une lettre adressée par Descart à sa maîtresse Louise Lardin, et que son contenu a été détourné pour convoquer le docteur Semacgus dans la maison de Vaugirard. Cela signifie, monsieur, que j’accuse Mme Lardin du meurtre de son cousin Descart.

— Nul doute, monsieur Le Floch, dit Sartine, que cette vigoureuse affirmation va être immédiatement suivie d’une démonstration concluante, car vous passez bien rapidement d’un coupable à un autre...

— Rien de plus aisé, en effet. Pourquoi Louise Lardin est-elle suspecte dans le meurtre de son cousin ? Réfléchissons avec elle. Je suis assuré que le complot du Dauphin couronné, a été préparé et conçu par Lardin en plein accord avec sa femme. Mais le commissaire ignore un fait que Louise Lardin a découvert par hasard. Je n’ai aucun mérite à l’avoir appris, il m’a suffi de presser un peu la discrétion de maître Duport, notaire à la fois, il faut le souligner, de Lardin et de Descart. Celui-ci m’a affirmé avoir appris à Mme Lardin, ce qu’il avait regretté aussitôt vu les réactions de la dame, que le cousin Descart venait de rédiger un testament et avait établi connue légataire de tous ses biens Mlle Marie Lardin. Je ne crois pas que cette nouvelle ait été portée à la connaissance du commissaire. En revanche, elle a peu à peu envahi l’esprit de Louise Lardin et a fait germer une idée diabolique : se débarrasser d’un seul mouvement d’un mari méprisé et d’un cousin détesté. Elle allait aider le commissaire à accréditer sa disparition pour mieux l’assassiner. Dans le même temps, elle impliquerait Semacgus dans un meurtre dont il était innocent. Il fallait faire disparaître Descart, car rien ne prouvait qu’il serait, au bout du compte, accusé du meurtre du commissaire ; il y avait trop d’incertitudes. Enfin, dans un souci toujours plus pervers de brouiller les pistes, Louise Lardin avait chaussé à Vaugirard les souliers de sa belle-fille. Son pied étant plus grand, sa démarche était malaisée, ce que remarqua un suppôt de police qui la vit sortir de la maison Descart, après qu’elle l’eut mise à sac pour y trouver...

M. de Sartine se mit à tousser. Nicolas se reprit à temps.

— Pour y trouver... le testament. Pourquoi, direz-vous, ce raffinement dans le détail ? Il fallait préserver des voies de recours. Marie Lardin, nouvelle héritière de Descart, pouvait être, en cas de danger, accusée à son tour. Descart supprimé, il fallait à tout prix se débarrasser de la fille du commissaire Lardin. C’est pourquoi, après avoir été droguée, elle est enlevée, conduite au Dauphin couronné, et promise à un trafic infâme qui devait la déshonorer et la faire disparaître à tout jamais sans laisser de trace. Alors Louise Lardin, veuve éplorée et marâtre accablée, toucherait le prix de ses crimes, s’emparerait de l’héritage Descart et disparaîtrait avec son amant préféré, le sieur Mauval.

Louise Lardin se leva. Bourdeau, inquiet, s’approcha d’elle.

— Je proteste ! s’écria-t-elle. Je proteste contre les ignobles accusations de ce Le Floch. Je suis innocente de ce dont il m’accuse. J’ai eu le malheur d’avoir des amants, cela je le reconnais. Mais je n’ai tué ni mon mari ni mon cousin. J’ai déjà dit à M. Le Floch que le commissaire a été tué par le docteur Semacgus au cours d’une lutte alors que mon mari venait de nous surprendre, le matin du samedi 3 février. Mon seul tort a été de céder à ses supplications en vue de dissimuler le cadavre que M. Le Floch a retrouvé dans les caves de ma demeure.

— Il est dans la nature des choses, qu’un accusé se prétende innocent, continua Nicolas imperturbable. Mais je n’avais pas achevé ma démonstration et nous allons revenir sur le détail de la mort du commissaire. Il se trouve que Louise Lardin a manifesté deux attitudes contradictoires et successives au sujet de la disparition de son mari. Tout d’abord, elle a joué le jeu d’une épouse aimante et affolée, puis, dans un deuxième temps, elle a affiché le cynisme d’une courtisane affranchie qui se fait gloire de ses débauches et avoue son détachement pour un mari méprisé. La deuxième attitude répondait à la naissance des soupçons issus de l’enquête. Il fallait faire front. Ce faisant, elle détournait ces mêmes soupçons qui hésitaient alors à se porter sur une femme capable d’une telle sincérité. Nous retrouvons encore cette intelligence maléfique qui use des évidences pour les vider de leurs conséquences. Or, de quoi est mort en vérité le commissaire Lardin ? Monsieur le lieutenant général, je souhaiterais interroger, avec votre autorisation, l’homme le mieux à même de nous éclairer.

Il désigna Sanson. M. de Sartine fit un geste d’assentiment et le bourreau parut dans la lumière tremblante des flambeaux. Seuls, dans l’assistance, Semacgus et Bourdeau savaient ce que dissimulait l’apparence commune de cet homme que Nicolas évita de nommer par son nom.

— Monsieur, demanda-t-il, de quoi est mort le commissaire Lardin ?

L’ouverture de son corps prouve de manière évidente qu’il est mort empoisonné par une matière arsenicale. énonça Sanson. Les rats crevés, découverts près du corps, ont péri de la même manière pour s’être nourris sur lui. Le détail de l’ouverture...

— Épargnez-nous le détail, dit Sartine.

— Le produit utilisé, reprit Nicolas, pourrait-il être le même que celui qui a servi au meurtre de Descart ?

— Le même, exactement.

— À quand remonte, selon vous, la mort du commissaire Lardin ?

— Vu l’état du cadavre et le lieu où il reposait, la réponse est difficile. Cependant, je pense qu’il était là depuis plus d’une semaine.

— Je vous remercie, monsieur.

Sanson s’inclina et regagna la pénombre. Nicolas se tourna vers la cuisinière des Lardin.

— Catherine, il y avait des rats rue des Blancs-Manteaux ?

— Vous le savez bien, monsieur Nicolas. Une vraie beste. Je n’arrêtais pas de me battre contre.