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— Voilà qui me conforte en la capacité de mon jugement, reprit Sartine en souriant. Au fond, c’est grâce à moi. qui vous ai confié à M. de Noblecourt, que tout cela a été résolu. D’ailleurs chez notre vieil ami vous ne trouverez guère de cadavres dans la cave que ceux des bouteilles qu’il aime vider en compagnie de ses amis.

Satisfait de sa plaisanterie, il s’autorisa un coup de peigne à sa perruque, ouvrit sa tabatière, offrit une prise à Nicolas qui accepta, et se servit lui-même. Cet intermède fut suivi d’une séance d’éternuements qui les laissa apaisés et fort satisfaits d’eux-mêmes.

— Ainsi, reprit enfin Sartine, non seulement vous décidez de mes audiences, mais vous voulez me priver de mon souper. J’espère que les raisons que vous allez avancer justifient cette impertinence et ne me laisseront pas, si j’ose dire, sur ma faim. Encore que pour voir certaine affaire éclaircie, je jeûnerais bien toute une semaine. Nicolas, avez-vous les papiers du roi ?

— Vous les aurez, monsieur, si vous consentez à me suivre là où je veux vous emmener. Cela nous prendra deux heures. Vous aurez encore le temps de rejoindre votre souper, où tout n’aura pas encore été ni mangé ni bu !

— Il ajoute l’insolence à l’impertinence ! s’exclama Sartine, mais que faire ? Il faut en passer par ses quatre volontés. Allons, je vous suis.

Nicolas marqua un temps d’arrêt.

— Monsieur le lieutenant général, dit-il, j’ai une requête, qui est aussi une justice, à vous présenter.

— Dans l’état actuel des choses, mon cher Nicolas, si la demande est raisonnable, c’est acquis, et si la demande est impossible, j’y consens malgré tout.

Le jeune homme eut une dernière hésitation, et dit :

— Je souhaiterais que Bourdeau, qui a mené cette enquête avec moi et qui m’a été d’une aide inestimable, soit associé à sa conclusion ultime. J’imagine vos réticences, mais je suis assuré que nous pouvons lui faire confiance.

M. de Sartine se mit à arpenter son bureau, puis à tisonner machinalement un feu qui était éteint depuis longtemps.

— Je n’ai qu’une parole, dit-il enfin, mais vous m’engagez dans une situation bien délicate. Vous êtes un rude jouteur, Nicolas. C’est sans doute la fréquentation des criminels qui vous a endurci. Toutefois, je comprends et je partage votre sentiment sur l’inspecteur Bourdeau. Il vous est dévoué comme personne et vous a, si j’en crois les rapports, sauvé la vie. Il a été à la peine, il est juste qu’il soit à l’honneur. Qui donc a dit cela ?

— Jeanne d’Arc au sacre de Charles VII à Reims, monsieur, à propos de son étendard.

— Nicolas, vous me surprendrez toujours. Il est vrai que vous êtes le digne élève de nos pères jésuites. Vous mériteriez une autre société...

Ils sortirent. Dans la salle, ils trouvèrent Semacgus et Bourdeau. Le docteur, après avoir profondément salué le lieutenant général, tendit la main à Nicolas.

— Je voulais vous dire ma reconnaissance, Nicolas, vous ne m’avez pas épargné, mais vous m’avez sauvé, car sans l’aveu de Louise, j’étais perdu. Je n’oublierai pas la leçon. Vous êtes chez vous à la Croix-Nivert, vous le savez. Catherine vous aime comme un fils. Je la garde, c’est un grand cœur, et Marie Lardin a décidé de se retirer à Orléans, chez sa marraine.

M. de Sartine s’impatientait. Nicolas lit signe à Bourdeau.

— Monsieur l’inspecteur nous fera-t-il l’honneur de nous accompagner pour l’épilogue de cette affaire ? demanda Nicolas.

— Ma foi, répondit Bourdeau dont le visage s’illumina, j’aurais parié un cent de bouteilles de chinon qu’il y avait autre chose !

Le lieutenant général les entraîna vers son carrosse. Nicolas ordonna au cocher de gagner Vaugirard. Durant le trajet, il n’eut guère le temps de prendre la mesure de son triomphe. Sous le regard circonspect de Sartine, il expliqua en peu de mots à Bourdeau l’affaire d’État liée à la question criminelle qui venait d’être résolue. Puis chacun se réfugia dans le silence. Nicolas subissait l’assaut du doute, son éternel ennemi. Il était pourtant sûr de lui, de ses déductions et convaincu de toucher au but, mais il n’osait imaginer ce qui entraînerait un échec dans ces conditions.

Le lieutenant général jouait avec le couvercle de sa tabatière dont il faisait claquer le fermoir à intervalles réguliers. Le carrosse, tiré à deux paires, menait un train d’enfer, enfilant des voies désertes et obscures. Ils furent bientôt à Vaugirard. Nicolas donna ses instructions pour diriger le cocher vers la maison du docteur Descart. L’endroit était toujours aussi sinistre. À peine étaient-ils descendus du carrosse que Bourdeau se mit à siffler un air particulier. Dans l’ombre, de l’autre côté de la rue, un air identique lui répondit. Une mouche était là, qui surveillait la maison. L’inspecteur alla lui parler et revint en indiquant que tout était en ordre et que personne n’avait tenté d’y pénétrer.

Les scellés brisés, Nicolas ouvrit la porte. Il battit le briquet et récupéra sur le sol un morceau de chandelle. Il l’alluma, le tendit à Bourdeau en lui demandant de faire de même avec les chandeliers, pour éclairer la pièce principale. Sartine considéra, effaré, le désordre effrayant qui régnait dans la maison. Nicolas dégagea le dessus du bureau de Descart d’un revers du bras et y déposa trois morceaux de papier. Cela fait, il rassembla un fauteuil et une chaise et invita ses compagnons à s’asseoir. M. de Sartine, la mine fermée, s’exécuta sans commentaire.

— Monsieur, commença Nicolas, lorsque vous m’avez fait l’honneur de me confier un secret d’État que le déroulement de l’enquête criminelle m’avait fait pressentir, je me suis donné pour mission de faire tout mon possible pour que cette affaire soit également élucidée. Mes bases de départ étaient étroites. Vous m’aviez appris que le commissaire Lardin, appelé par ses fonctions à relever les papiers d’un plénipotentiaire qui venait de mourir, avait dérobé plusieurs documents de la plus haute importance touchant les intérêts de la Couronne et menaçant la sécurité du royaume. Détenteur de ces pièces, Lardin était en mesure à la fois d’assurer son impunité et de nourrir un odieux chantage. Cependant, lui-même, en raison de l’importance de ses dettes de jeu, était tenu à la gorge par Mauval, agent et âme damnée du commissaire Camusot, responsable de la police des jeux, corrompu et intouchable.

Sartine regarda Bourdeau en soupirant.

— Je n’insisterai pas sur les risques de divulgation de ces papiers auprès de puissances étrangères et de l’impossibilité où vous vous trouviez, monsieur, d’agir contre les responsables de ce crime de lèse-majesté. Mais j’étais convaincu que l’affaire de la disparition du commissaire Lardin ne pouvait qu’être intimement liée avec l’existence de ces papiers d’État, disons... égarés.

— Comment cela ? dit Sartine.

— La présence continuelle de Mauval autour de l’enquête, son espionnage, ses menaces et ses attentats contre moi ne pouvaient s’expliquer que par des raisons bien fortes. Lardin était mort, mais ses assassins n’avaient pas réussi à remettre la main sur des documents, que le commissaire s’était évertué à leur dissimuler.