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— Je suis fort aise de vous revoir, monsieur. Vous voilà au débotté du roi. Mes compliments. Sa Majesté est en train de désigner ceux qui auront l’honneur de souper avec lui.

Il salua aussi Sartine qui ne cacha pas son étonnement de voir Nicolas en pied d’amitié avec M. de La Borde, premier valet de chambre du roi. La mine de son chef réconforta le jeune homme. Il n’était pas le seul à éprouver des surprises. La voix du roi s’éleva.

— Richelieu, dit-il en s’adressant au petit vieillard, j’espère que vous avez fait la paix avec d’Aven au sujet de savoir qui, de vous ou de lui, doit placer au bal du manège. Consultez Durfort[86].

— Je me conformerai aux ordres de Votre Majesté. Cependant, Sire, puis-je faire observer...

— Que la chasse n’était pas bonne, coupa le roi. Deux cerfs manqués à Fausse Repose. Un troisième réfugié dans l’étang aux biches. On a dû s’y reprendre à trois fois pour le tirer. Nous ne sommes guère heureux en ce moment.

Le vieux maréchal salua en grimaçant. Le roi ayant achevé de se changer se dirigea vers un petit escalier et disparut aux yeux d’une assistance inclinée. Nicolas n’avait pas eu le temps d’éprouver d’émotion que déjà La Borde les entraînait.

— Nous gagnons les petits appartements, lui expliqua-t-il. Le roi veut entendre, dans le secret de ses cabinets et de votre propre bouche, le récit d’une certaine enquête. L’humeur n’est pas bonne aujourd’hui, la chasse n’a pas réussi à faire oublier les soucis. Mais ne craignez rien, tout se passera bien. Parlez avec assurance, sans timidité, car si vous hésitez, le roi se refermera. Soyez plaisant sans être long, mais suffisamment pour soutenir l’intérêt. Le roi est bienveillant dans son intérieur, surtout avec la jeunesse.

Ils se retrouvèrent dans une antichambre assez basse de plafond, puis traversèrent une galerie décorée de grands tableaux. La Borde expliqua que le roi avait souhaité voir illustrer le thème des chasses exotiques. Il y avait représentés là des animaux et des personnages de contrées lointaines que Nicolas n’avait jamais eu l’occasion de voir[87]. Un valet les fit entrer dans un salon lambrissé en partie de boiseries blanches rehaussées d’or. La pièce donnait une impression d’équilibre heureux. Assis sur un fauteuil de damas rouge, le roi buvait un verre de vin qu’une dame venait de lui verser. Ils s’inclinèrent tous, le chapeau à la main. Le roi leur fit un petit geste. La femme tendit la main à Sartine, s’assit à son tour et répondit d’une noble inclinaison au salut des autres arrivants.

— Alors. Sartine, demanda le roi, comment va votre ville ?

Le lieutenant général de police déféra à la question du monarque et la conversation s’engagea. Nicolas se sentait étrangement serein. Il ne parvenait pas à croire qu’il se trouvait devant son souverain. Il voyait un homme de belle allure, à la silhouette dégagée, avec un regard doux accentué par la grandeur des yeux. Ce regard ne s’arrêtait pas sur les assistants, mais fixait le plus souvent le vide. Du visage, au front dégagé, émanait une grande dignité. L’âge et la fatigue se lisaient pourtant dans les bouffissures et l’affaissement des joues. Le teint livide était marqué par endroits de taches olivâtres. Il parlait à voix basse, l’air languissant, presque abattu. Parfois Nicolas sentait ce regard se poser sur lui avec une sorte d’interrogation muette, puis aussitôt se détourner.

Assis à côté du roi, la dame, que Nicolas supposa être la marquise de Pompadour, offrait une apparence qui correspondait assez peu à l’idée qu’il pouvait se faire de la favorite. Il fut étonné par l’espèce d’habit enveloppant, fermé jusqu’au cou, dont elle était vêtue. Les manches pendaient jusqu’aux poignets et cachaient les mains. Il se souvint de méchants propos entendus et selon lesquels ce vêtement était celui d’une dame peu réputée pour la beauté de ses mains et l’agrément de sa gorge. La chevelure cendrée était à demi enveloppée dans un capuchon qui tenait au mantelet de la robe. Sa couleur, gorge-de-pigeon tirant sur le gris, était à l’unisson de celle de l’habit du roi sur lequel tranchait le bleu du Saint-Esprit. Le visage, qui conservait son ovale parfait et ses yeux bleus bien fendus, parut cependant trop couvert de rouge au goût de Nicolas. Pourtant l’ensemble était presque austère. Lui revinrent en mémoire les rumeurs qui prêtaient à la marquise la volonté de prendre Mme de Maintenon pour modèle. Elle souriait, mais son expression demeurait figée. Il en conclut que cette apparence dissimulait une inquiétude et une souffrance. La marquise portait de temps en temps un regard à la fois adorant et angoissé sur le roi qui, de son côté, lui témoignait son attachement par une multitude de petites attentions. Nicolas respirait mieux, il avait l’impression de se trouver dans une réunion de famille.

— Voilà donc votre protégé. Sartine, auquel nous avons bien des obligations. La Borde m’en avait parlé.

Le lieutenant général ne dissimula pas son étonnement.

— Je ne savais pas M. Le Floch aussi couru, Sire.

Le roi fit un geste vers Nicolas.

— Monsieur, je veux entendre de votre bouche le récit d’une affaire qui intéressait une cause bien précieuse. Je vous écoute.

Nicolas se jeta à l’eau sans réfléchir. Il jouait sans doute son avenir et d’autres, à sa place, eussent saisi leur chance en usant de toutes les facilités et en déployant toutes les séductions. Il choisit d’être simple, clair, pittoresque sans excès, suggérant plus que décrivant, évitant de se mettre en avant et rendant à M. de Sartine beaucoup plus qu’il ne lui devait. Le roi l’interrompit à plusieurs reprises pour des précisions sur l’ouverture des corps, avant d’y renoncer sur la prière de Mme de Pompadour que ces détails morbides effrayaient. Nicolas sut être modeste avec éclat et plein de feu quand l’action l’exigeait. Il intéressa sans lasser. Le roi, tout à ce récit, semblait avoir rajeuni ; son regard brillait d’un éclat renouvelé. Nicolas conclut et s’effaça d’un pas. La marquise, avec un sourire charmant, lui tendit à baiser une main qui parut au jeune homme bien fiévreuse.

— Merci, monsieur, dit-elle, nous vous devons beaucoup. Sa Majesté, j’en suis sûre, n’oubliera pas vos services.

Le roi se leva et fit quelques pas.

— Le roi est le premier gentilhomme du royaume, comme disait mon aïeul, Henri le quatrième, et saura récompenser le fils d’un de ses plus fidèles serviteurs, un de ces nobles Bretons qui, il y a trois ans, ne ménagèrent pas leur zèle et leurs peines contre l’Anglais[88].

Nicolas ne comprenait rien à ces paroles qui lui semblaient s’adresser à quelqu’un d’autre. Sartine demeurait impassible. La Borde avait la bouche ouverte. La marquise regardait le roi d’un air surpris.

— Je dis bien le fils d’un de mes serviteurs, reprit le roi. Monsieur, dit-il en regardant Nicolas, votre parrain, le marquis de Ranreuil qui vient de nous quitter et dont je n’oublie pas les services, m’a fait tenir une lettre par laquelle il vous reconnaît et légitime comme son fils naturel. C’est mon bon plaisir de vous l’apprendre et de vous restituer le nom et les titres qui sont les vôtres.

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86

Introducteur des Ambassadeurs.

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87

Il y avait là deux Van Loo (chasses à l’autruche et à l’ours), deux Parrocel (chasses à l’éléphant et au buffle), deux Boucher (chasses au tigre et au crocodile), un De Troy (chasse au lion), un Lancret (chasse au léopard) et un Pater (chasse chinoise). La plupart de ces tableaux sont aujourd’hui exposés au musée d’Amiens.

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88

La noblesse bretonne se mobilisa, en 1757, contre les descen­tes anglaises.