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Masklinn scruta la cabine, en plein désarroi. En plus des trois humains qui essayaient d’attraper Angalo, il y en avait deux autres, à l’avant. Les chauffeurs, sans doute, se dit-il.

— Je suis complètement à court d’inspiration, reconnut-il. Truc, est-ce que tu peux avoir une idée ?

— Il n’y a pratiquement pas de limites à mes capacités.

— Non, ce que je voulais dire, c’est : est-ce que tu peux faire quelque chose pour nous aider à sauver Angalo ?

— Oui.

Un instant plus tard, ils entendirent palpiter lourdement les sonneries d’alarme. Des lumières commencèrent à clignoter. Les chauffeurs poussèrent des cris, se penchèrent en avant et tripotèrent fébrilement les interrupteurs.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Masklinn.

— Il est possible que les humains soient surpris de constater qu’ils ne pilotent plus cette machine, expliqua le Truc.

— Ah bon ? Mais qui la pilote, alors ?

Une vague de lumière traversa la surface du Truc.

— C’est moi.

Une des grenouilles dégringola de la branche et disparut sans un bruit dans les frondaisons, au-dessous, très loin. Comme les animaux tout petits et légers peuvent tomber de très haut sans se faire de mal, il est très probable qu’elle survécût dans le monde de la forêt au pied de l’arbre et qu’elle connût la deuxième expérience la plus passionnante qu’une grenouille ait pu vivre.

Le reste de la troupe continua d’avancer.

Masklinn aida Gurder à progresser le long d’un nouveau goulet métallique rempli de fils électriques. Au-dessus de leur tête, ils entendaient un bruit de pas humains et le grondement d’humains en difficulté.

— Je ne crois pas qu’ils soient très contents de ce qui se passe, jugea Gurder.

— Mais ils n’ont plus le temps de rechercher quelque chose qui était probablement une souris, fit remarquer Masklinn.

— Mais ce n’est pas une souris, c’est Angalo !

— Oui, mais après, ils se diront que c’était une souris. Je ne pense pas que les humains tiennent à savoir des choses qui les dérangent.

— Ils ressemblent aux gnomes pour ça, je trouve.

Masklinn regarda le Truc sous son bras.

— Tu es vraiment en train de conduire le Concorde ?

— Oui.

— Je croyais que pour conduire les choses, il fallait des volants, changer de vitesse et tout ça ?

— Tout est réalisé par des machines. Les humains appuient sur un bouton et tournent des volants simplement pour faire comprendre aux machines ce qu’il faut faire.

— Bon, alors, qu’est-ce que tu fais, dans ce cas ?

— Moi, répondit le Truc y’e dirige la manœuvre.

Masklinn écouta un instant le lointain tonnerre des moteurs.

— Et c’est difficile ? demanda-t-il.

— Pas en soi-même. Mais les humains n’arrêtent pas de vouloir intervenir.

— En ce cas, on aurait intérêt à trouver Angalo rapidement, je crois, glissa Gurder. Allons-y.

Ils progressèrent lentement le long d’un nouveau tunnel rempli de câbles.

— Ils devraient nous remercier : c’est notre Truc qui fait tout le travail à leur place, décréta solennellement Gurder.

— Je ne sais pas, mais il ne me semble pas qu’ils voient vraiment les choses sous cet angle.

— Nous volons à une altitude de cinquante-cinq mille pieds et à mille trois cent cinquante-deux nœuds, annonça le Truc.

Comme personne ne faisait aucun commentaire, le Truc ajouta :

— C’est très haut et très rapide.

— Parfait, dit Masklinn, qui comprit qu’on attendait de lui ce genre de réflexion.

— Très, très rapide.

Les deux gnomes se faufilèrent à travers l’espace qui séparait deux plaques de métal.

— Plus vite qu’une balle de revolver, en fait.

— Étonnant, fit Masklinn.

— Deux fois la vitesse du son dans cette atmosphère, poursuivit le Truc.

— Mince alors !

— Je me demande comment je pourrais présenter les choses, fit le Truc en réussissant à paraître agacé. Le Concorde serait capable d’effectuer le trajet entre le Grand Magasin et la carrière en moins de quinze secondes.

— On a eu du pot de ne pas le croiser en sens inverse, alors, constata Masklinn.

— Oh ! arrête de le faire enrager, intervint Gurder. Il veut que tu lui dises qu’il est quelqu’un de très doué… euh ! quelque chose, corrigea-t-il.

— Ce n’est pas vrai, répliqua le Truc (plutôt plus vite que d’habitude). Je voulais juste vous faire remarquer que cette machine est extrêmement spécialisée et qu’elle exige un contrôle très habile.

— Alors, tu ferais peut-être mieux de garder le silence, fit Masklinn.

Le Truc vibra de toutes ses couleurs à son adresse.

— C’était pas gentil, comme remarque, glissa Gurder.

— Ho ! j’ai passé un an à faire tout ce que le Truc me disait de faire, sans jamais recevoir ne serait-ce qu’un merci. Ça fait combien de haut, cinquante-cinq mille pieds, d’ailleurs ?

— Dix-huit kilomètres. Deux fois la distance qui sépare le Grand Magasin de la carrière.

Gurder s’arrêta net.

— Hein ? On est si haut que ça ?

Il considéra le sol.

— Oh ! ajouta-t-il.

— Tu ne vas pas commencer ! jeta Masklinn. On a déjà assez de problèmes avec Angalo. Arrête de te cramponner comme ça au mur !

Gurder était devenu blême.

— On doit être à la hauteur de tous les machins blancs fumeux, souffla-t-il.

— Non, fit le Truc.

— Ouf ! C’est quand même un soulagement, soupira Gurder.

— Ils se trouvent très loin au-dessous de nous.

— Ohh !

Masklinn empoigna l’Abbé par le bras.

— Angalo, tu te souviens ?

Gurder opina lentement et avança à pas lents, les yeux fermés, s’arrimant à tout ce qu’il trouvait.

— Il ne faut pas perdre la tête, conseilla Masklinn. Même si on est tellement haut, effectivement.

Il baissa les yeux. Le métal sous ses pieds paraissait solide. Il fallait employer son imagination pour voir au travers le sol en dessous.

L’ennui, c’est qu’il avait une excellente imagination.

— Beurk ! dit-il. Allez, viens, Gurder. Donne-moi la main.

— Elle est là, juste devant toi.

— Oh ! pardon. Je ne l’avais pas vue, avec les yeux fermés.

Ils passèrent un temps infini à se déplacer avec précaution entre les écheveaux de fils, jusqu’à ce que Gurder déclare :

— Rien à faire. Il n’y a pas de trou assez gros pour passer. S’il y en avait un, il l’aurait trouvé.

— En ce cas, il faut retourner dans l’habitacle et le faire sortir par là.

— Avec tous ces humains là-dedans ?

— Ils seront trop occupés pour nous remarquer. Pas vrai, Truc ?

— C’est vrai.

Il existe un endroit qui est situé si haut que le bas n’existe plus.

À une altitude légèrement moindre, une flèche blanche filait au sommet du ciel, plus rapide que la nuit, rattrapant le soleil, traversant en quelques heures un océan qui marquait jadis le bord du monde…