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Ah ! quel métier, je vous jure ! Y a des moments où je me dis que si je possédais la vraie sagesse, je cloquerais ma démission au Vieux… Avec nos éconocroques, j’achèterais un rade dans une banlieue verdoyante, près de la tasse, en cherchant un coin où le goujon ne serait pas trop rétif. Derrière le troquet y aurait un jardin avec des fraisiers. En fait d’effort, la culture de la fraise, c’est idéal, because les branches sont basses. Au rade je placerais une jolie pépée avec un beau sourire et du téton, manière d’amorcer le clille et de le faire passer à la carmouille. La nuit, je lui raconterais les aventures de Popoff…

Au lieu de ça, je m’astreins à une gymnastique cérébrale qui chanstique mes centres nerveux.

Je fulmine tout en me déloquant. Nature, il ne s’est toujours rien passé. Le repas a été d’un calme… plat si je puis avancer ce jeu de mots sans crainte de heurter vos convictions politiques.

Je m’apprête à me fourrer dans les toiles lorsque je pense à la môme Martha qui m’attend dans sa robe de nuit en toile d’araignée paresseuse. Elle compte ferme sur une seconde tranche ! Tirage ce soir ! J’ai autant envie d’aller lui expliquer le rondibet du radada que de me faire thermomètre dans une léproserie !

Les bonnes femmes, je vous l’ai souvent dit, c’est comme les mauvais films : faut jamais les voir deux fois. Pourtant, si je m’abstiens, miss Outre-Rhin sera outrée (mon style est une jonglerie).

Elle est chiche de venir me faire une relance à domicile… J’aurais l’air futé vis-à-vis de Félicie qui a le sommeil fragile comme du verre filé. Bon, d’accord, je vais aller donner ma représentation d’adieu…

Je passe ma robe de chambre en satin bleu nuit à rayures noires et fouette cocher ! En route pour la sérénade au balcon.

Personne dans les couloirs. Je grimpe à l’étage supérieur et vais gratter la porte de Martha en attendant mieux. C’est une véritable sangsue qui se précipite sur moi… Ce soir, je n’ai pas besoin de lui faire choisir dans le répertoire de saynètes comportant ses emplois. D’autorité elle me joue « Branle-bas en Méditerranée », suivi immédiatement de « Constellation » (le monde vu par un trou de serrure) et, pour terminer, « On purge Bébé » par la compagnie Richelieu-Drouot.

Je m’esquive sur le coup d’une heure du matin. Et c’est alors que je vous demande de bien vouloir débloquer vos étagères à mégots ; car c’est à cet instant que la fiesta démarre vraiment.

Le hasard, toujours lui, veut qu’en regagnant ma carrée pour y pioncer du sommeil du juste, mon sens auditif soit alerté par un bruit cristallin qui me meurtrit les trompes[4].

Ça vient de l’étage inférieur. Ça m’a tout l’air d’être le bruit que fait une clé entrant en contact avec le carrelage.

Je m’immobilise, le buste incliné à quarante-cinq degrés au-dessus de zéro et de la rampe.

Je vois passer une ombre tenant quelque chose de volumineux entortillé dans une couvrante. Voilà qui m’intéresse foutrement, comme dirait mon amie la baronne de Maichose. Je vois l’ombre descendre au rez-de-chaussée… Aussi sec, j’ôte mes spartiates et, les radis nus, prenant appui sur les talons pour éviter tout claquement, je me mets à descendre itou…

J’arrive dans le hall au moment où le porteur arrive à la grande porte vitrée. Celle-ci est fermée à clé et la chiave est restée sur la porte. Il délourde en souplesse, en prenant soin de ne pas faire de bruit. Le paquet qu’il tient se met alors à remuer et je me rends compte qu’il s’agit d’un enfant… Le type (car le clair-obscur est suffisant pour que je puisse voir que c’est un homme) ouvre sans bruit et sort. La lune lui choit dessus, pareille à une grosse bouse de vache dorée. Je reconnais Dickson… C’est sa petite nièce qu’il coltine…

Il contourne l’hôtel en marchant sur la partie dallée. Il est en chaussettes et ses lattes sont attachées à son cou par les lacets… Il va derrière le bâtiment, là où sont garées les tires dans des boxes en roseaux. Il s’approche d’une petite Fiat immatriculée à Rome (je vous casse ces détails car la lune illumine le patelin comme le ferait son mec le père Durand), ouvre sans bruit la portière arrière, y dépose son vivant fardeau[5] et sort la voiture de sa travée en la poussant à la main…

Comme elle est rangée très près de la sortie, et qu’elle est aisée à manœuvrer, il la conduit jusque dans une rue perpendiculaire à l’avenue principale. Ensuite de quoi il enfile ses pompes et s’installe au volant.

Vous verriez alors le gars San-A., vous seriez obligées de vous entifler dare-dare une cuillerée de souris de l’abbé Jouvence, mesdames ! En moins de temps qu’il n’en faut à Brigitte Bardot pour se déguiser en Eve, j’ai gagné ma propre tire et me suis placé sur le siège. Lorsque j’entends ronfler la Fiat de Dickson, j’actionne le démarreur de la mienne. Une manœuvre express et je m’avance jusqu’à la petite rue. Une fois là, je descends voir où en est la situation. Tout ce que j’asperge, c’est deux feux rouges à cent mètres de là. Je leur emboîte la roue, toutes calbombes éteintes… La Fiat vire à droite, puis encore à droite pour retrouver l’avenue, et enfin à gauche en direction du village… Je continue d’y filer le train (un train de pneus of course) à bonne encablure pour ne pas trop attirer l’attention du Ricain… Sa promenade nocturne avec la môme crevette ne me dit rien qui vaille. J’ai l’usine à débloquer qui fait équipe de nuit, vous pouvez me croire…

Nous traversons Cervia où règne encore une certaine animation, puis nous prenons la route de Ravena. C’est une voie rectiligne filant à perte de vue le long du littoral. Dickson bombe à pleins gaz.

Où m’emmène-t-il, ce Chinois vert ? J’ai bonne mine, en robe de chambre et nu-pieds… Pas un faf, pas un laranquet sur moi… Si jamais un perdreau de nuit fait du zèle, je n’aurai que la ressource de chiquer au somnambule !

Nous parcourons plusieurs bornes, dépassons Milano Maritime, la coquette cité construite par messieurs les Milanais, et nous reprenons le cheminement rectiligne…

Soudain, j’aperçois au loin, sens contraire à nous, les loupiotes d’une tire arrêtée… Dickson fait un appel de phares. La voiture à l’arrêt répond par trois petits coups brefs… J’ai bien fait de laisser beaucoup d’avance à mon zig, car sans cela les lampions de l’autre endoffé allaient me cueillir comme le rayon d’un projo.

Dickson ralentit. Moi j’arrête tout et je me range sur l’accotement. L’Américain a stoppé à la hauteur de l’autre bagnole.

Je regarde de mes deux yeux en regrettant de ne pas en avoir davantage pour mieux voir.

Deux hommes sont descendus de l’auto qui attendait. Dickson sort de la sienne à son tour. Ces messieurs ont une brève conversation puis les deux gougnafiers ouvrent la porte arrière de la Fiat, prennent la nistoune et la portent à leur voiture… Les trois compères se saluent. Dickson allume une cigarette en regardant manœuvrer la voiture de ceux qui viennent de prendre livraison de sa pièce. Ladite carriole décrit un arc de cercle, une marche arrière, un nouvel arc de cercle qui la met dans la position opposée à celle qu’elle occupait à l’arrêt. Puis elle fonce sur Ravenne.

J’attends, éberlué, en me demandant ce que va faire Dickson. Du diable si je pige quelque chose à ces giries ! Je m’attendais à tout sauf à ça…

Le silence de la nuit étoilée (pour tous renseignements complémentaires, écrire à Lamartine Alphonse de, en joignant un timbre pour la réponse) n’est troublé que par le grondement de la mer… Malgré la clarté lunaire, on ne la voit pas danser au fond des golfes clairs car il y a un bois d’arbres maigrichons entre elle et la route…

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4

Si vous avez une phrase mieux torchée à me proposer, je suis preneur, même sans facilité de paiement !

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5

Mon honnêteté, aussi foncière que le crédit du même nom, m'oblige à avouer que l'expression « vivant fardeau » n'est pas de moi. J'ai dû l'avoir empruntée soit à La Veillée des Chaumières, soit à un roman de Pierre Benoît, ce qui du reste revient au même !