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Au bout d’un instant je me laisse glisser de la bâche… Il me semble qu’on a frappé chaque centimètre carré de ma personne avec un nerf de bœuf…

Je marche sur le plancher de danse souple comme si c’était de la tôle ondulée. Ah, mes amis, je m’en souviendrai de ce numéro de cascadeur ! Les gars de Médrano m’attriqueraient une fortune pour m’inclure au programme… Avec la petite Nana de Montparnasse, celle qui ramasse une pomme verte en s’asseyant dessus, comme complément de programme, on serait assuré de faire du grisbi…

A prix d’or qu’il nous prendrait, Bruno Coquatrix, vu que le public commence à en avoir quine du jongleur chinois et du chanteur inaudible… On parcourrait la Suisse, l’Autriche ; puis ce serait l’Italie où m’man doit se faire tartir, et l’Espagne…

Non, pas l’Espagne, parce que là-bas la grande sœur à Nana ramasse les melons en s’asseyant et ça tuerait notre numéro !

Le patio est fermé par une grande porte vitrée qui se plie en accordéon dans la journée. J’essaie de l’ouvrir, mais c’est en vain… Je me fouille pour récupérer mon sésame… Ma main rencontre le stylo bidon, celui qui peut éventuellement faire sauter l’immeuble… Rétrospectivement ma pétoche va au maxi ! Vous vous rendez compte, si au lieu de jouer les Cradok sur la bâche, j’avais rencontré le paveton, ç’aurait pu donner un charmant feu d’artifice pour familles nombreuses. Les ploucs en vacances allaient se réveiller morts sur les toits voisins…

Je finis par récupérer mon ouvre-boîtes et la porte vitrée fait comme ses petites camarades : elle me cède.

Un zig qui les écarquille comme pour un mariage, c’est le veilleur de nuit, lorsqu’il me voit surgir… Il a un geste pour s’essuyer les lampions, suivi d’un autre pour s’emparer d’un instrument contondant quelconque. Il ne trouve rien à dire et rien pour cogner. Moi je l’amadoue d’un sourire vanillé.

— Ne vous tracassez pas, mon cher, lui dis-je, je ne fais que passer, j’étais descendu prendre l’air… Si on me demande, vous direz que j’habite le 161…

Je me dirige vers l’ascenseur. A ces heures, les liftiers sont au septième ciel. J’actionne le bidule comme si j’avais marné aux Galeries Lafayette pendant la saison des fêtes et je m’offre le second… Je vais jusqu’à l’appartement de Bucher… Je perçois un bruit de conversation… Deux hommes jactent en anglais… Je vous parie un jour de l’an contre un an et un jour que c’est le maître du AA1 qui se fait rendre compte de mon plongeon par son homme de main.

Je me casse jusqu’à l’angle du couloir… Entre l’appartement de Bucher et l’escalier, il y a des gogues… J’entre sans prendre la peine d’éclairer et je tiens la porte légèrement entrouverte…

Tapi dans l’obscurité, j’attends en retenant mon souffle. L’endroit n’est peut-être pas idéal, mais je m’en tape ! Je ne suis pas là pour faire la conversation à la duchesse de Prans-Mele.

Un courant électrique vadrouille dans mes muscles… J’ai mal partout. C’est maintenant que je sens le plus les effets du plongeon ! Après un entraînement de cet ordre, je suis bonnard pour les Jeux olympiques ! Je reviendrai avec des médailles en gold tout autour du baquet !

Soudain un léger bruit de lourde s’ouvre et se referme et un pas feutré sur le tapis du couloir…

A toi de jouer, San-Antonio !.. Et rappelle-toi que le zig qui a dit que la vendetta se tortorait à froid n’avait jamais fait de pique-nique !

CHAPITRE XI

C’est bel et bien Moustachu qui passe dans le couloir. Le moins qu’on puisse dire de lui, c’est qu’il est décontracté ! Voilà un brave homme qui défenestre ses contemporains dans un grand hôtel et qui, un quart d’heure plus tard, s’offre encore le luxe de traînasser dans les étages ! Il fait pas de complexes, je vous jure !

Mon premier mouvement en le voyant passer est de lui bondir sur le poil pour lui faire déguster ma droite au foie… Mais je me dis que ce fumier est fort comme toute la Turquie. Cette fois il serait chiche de me balanstiquer dans la cage de l’ascenseur et du coup ma colonne vertébrale commencerait à crier classe ! Le plus marle, c’est encore de lui filer le train. Mon heure ne tardera pas… Je la désire trop pour que le premier clocheton venu me la refuse encore longtemps.

Poil-sous-le-naze dédaigne la cage métallique de l’ascenseur et emprunte l’escalier (lequel est sans intérêt). J’attends qu’il se soit payé un étage avant de déhoter de ma guitoune. Ensuite je fonce sur ses talons.

La porte tournante du Palace est encore animée d’un mouvement de rotation lorsque je parviens dans le hall. Le veilleur de nuit se frotte à nouveau les vasistas en m’apercevant. S’il avait lu Shakespeare, il me prendrait pour le fantôme de service. Je lui adresse un salut très courtois et je murmure, pensant au poulardin que mon ami Bodard doit m’expédier…

— Si on me demande, dites que je ne vais pas tarder…

Là-dessus, je sors à mon tour. L’aurore rôdaille derrière les montagnes… Une petite pluie fine met comme un frisson dans l’air frais de cette fin de nuit. Et vlan ! me voilà de nouveau en train de poétiser… Ah, c’est dur à camoufler, le talent, je vous promets !

Je file un coup de saveur à gauche, un autre à droite… Et je finis par apercevoir mon agresseur qui s’éloigne, les épaules rentrées sous son bitos.

La poursuite s’engage sous la bruine. Moustachu arque vite. C’est duraille de le suivre en rasant les murs, d’autant plus qu’il s’engage en terrain découvert, le long du lac. J’espère qu’il ne m’entend pas… La flotte produit un bruit menu qui, heureusement, feutre celui de mes pas. J’espère qu’il ne va pas à pinces jusqu’à Lausanne, le frelot ! Le Marathon, après la secousse que j’ai essuyée, ça n’est pas mon fort.

Nous parcourons un millier de mètres à la queue leu leu, enfin il s’arrête devant une maison de modeste apparence. Il tire une clé de sa poche et ouvre le portail rouillé qui émet un grincement déchirant… Il referme soigneusement, remonte une brève allée semée de graviers, escalade un court perron et, se servant d’une autre clé, il pénètre dans la maison… Je guette, les gobilles rivées à la grille. Je vois une lumière par l’imposte au-dessus de la porte. Puis elle s’éteint… pour réapparaître immédiatement après à une fenêtre du premier étage… J’aperçois l’ombre massive du gars derrière les rideaux… Il doit se déloquer, à en juger par ses gestes. Puis il se zone, aussi sec, et la façade du pavillon retombe dans l’ombre.

J’attends un bon moment contre ma grille, sans savoir exactement quelle attitude adopter… Il serait plus sage de rentrer me pager moi aussi. Après de telles émotions, j’ai droit à un moment de repos au même titre que les héros morts ont droit à une minute de silence… Seulement vous oubliez une chose, bande de noix vomiques ! C’est que San-Antonio, c’est pas le genre de type qui remet à une date ultérieure ce qu’il peut faire le jour même, vu ?

Je respire un grand coup l’air mouillé du matin pour me purifier les soufflets, puis j’escalade la grille… Le portail grince trop pour que je le force avec mon petit bijou.

Une fois à l’intérieur de la propriété, je marche sur la pelouse mal entretenue pour éviter le crissement des gravillons… Mes targettes à semelles crêpe ne font pas de bruit sur le perron. Je biche l’ami sésame et je le suce un peu avant de l’introduire dans la serrure… Ça évite tout cliquetis, essayez-le, c’est radical, comme dirait Mendès !

Avec des gestes d’une douceur infinie, j’actionne l’outil… La serrure, simple comme une fille de ferme, n’insiste pas… Me voici dans la place. Je songe alors avec une certaine amertume que je n’ai pas la moindre arme sur moi… Excepté le fameux stylo, bien entendu… Mais puis-je appeler ça une arme ? C’est à la fois plus et moins.