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Puis il m’attire dans un coin…

— Bon, vous le voulez trois jours au cachot ?

— Oui. Et au secret le plus absolu ! Ne lui permettez pas de communiquer avec l’extérieur, ne faites aucune commission dont il serait susceptible de vous charger, compris ?

— Comptez sur moi…

Cherio va pour sortir avec son sujet. Il se ravise :

— Ne m’aviez-vous pas dit qu’ils étaient deux ? demande-t-il…

— Si… Mais l’autre est parti en voyage…

Ça ne contrarie pas Cherio, au contraire… Des clients qui lui déballent des bouquets champêtres comme celui de Bucher, moins il en a mieux ça vaut !

CHAPITRE XV

Félicie est transportée d’allégresse en voyant revenir son petit gars sain et sauf… Ma blessure est refermée, en bonne voie de cicatrisation. Je la lui montre afin de la rassurer.

— J’ai beaucoup tremblé pour toi, dit-elle. J’avais l’impression que tu courais un grand danger !

Je rigole en pensant à mon plongeon du sixième.

— Tu plaisantes, m’man, ç’a été une vraie partie de plaisir…

Je la questionne sur l’enquête de police concernant la mort de Sion. Elle me dit que les pandores ont appris la nouvelle à la belle rouquine… Celle-ci s’est trouvée mal (moi je la trouvais bien). Ce petit cinéma a dû impressionner ces braves Ritals si amoureux des démonstrations exagérées.

— Qu’est-elle devenue ? m’enquiers-je.

— Elle est partie le jour même…

— Eh bien, m’man, nous allons faire une petite virouze aussi…

— Quand ?

— Dès demain… Je vais te faire visiter Gênes !

Elle me sourit.

— Je croyais que nous étions beaucoup plus près de Venise ?

— C’est juste ; m’man, t’as la géographie dans l’œil, seulement j’ai encore une petite affaire de rien du tout à régler à Genova !

Elle soupire :

— Encore !

— Oui… Ce sera la dernière… Après on revient passer huit jours ici, et je te mènerai à Venise, Rimini, etc. Des petits pachas, je te promets…

Gigi nous sert un repas particulièrement copieux et succulent… Les autres pensionnaires sont aimables tout plein. Ils nous disent qu’ils aiment beaucoup la France, malgré la couennerie de ceux qui prétendent présider à ses destinées. Je vois que, par sa gentillesse modeste, Félicie les a tous conquis…

On lui cède le meilleur fauteuil devant le poste de télé. Ce soir, on donne un film formidable d’avant 38. Une superproduction naveteuse avec Marlène Dietrich dans le rôle de Marlène Dietrich et je ne sais plus quelle truffe dans celui d’un autre ! Ça chiale du début à la fin. On voit une jeune femme dont le mari est tyrannique, empêché du zozor et affilié à un réseau d’espionnage.

Il la bat, la fout par terre à tout bout de champ, ce qui est grave, et à tout berzingue, ce qui est pire.

La Marlène se venge avec un gars du réseau adverse… Le mari tue l’amant… J’en suis là lorsque la petite Martha se faufile près de moi… Elle me glisse une main dévastatrice le long du genou. J’en suis gêné !

Elle a des projets précis que nous grimpons réaliser dès que possible. En supergala, sous le haut patronage d’honneur de Monsieur le Président de la République, je lui joue « On défoule Paméla » puis « Bien lavé ça ressert », drame hydrothérapique en deux actes et à la chlorophylle !

Le lendemain matin, nous nous levons malgré tout assez tôt… Je conseille à Félicie de prendre sa chemise de nuit et sa brosse à dents… Un expresso, et fouette cocher ! Nous partons pour Genova, via Firenze…

A cause des routes en lacet, il nous faut la journée pour atteindre le grand port qui donna naissance à Christophe Colomb, le plus espagnol des Italiens, qui, comme chacun le sait, découvrit qu’en découpant l’extrémité d’un œuf dur, on pouvait le faire tenir debout[12] !

Ces randonnées au volant me fatiguent. Pour des vacances peinardes, vous admettrez que je suis gâté ! Après ça, on pourra m’inscrire pour le prochain Rallye de Monte-Carlo !

Nous atteignons Gênes au crépuscule… Le ciel est d’un bleu tirant sur le mauve… Mille et une lumières brillent dans le port.

C’est féerique ! Les gratte-ciel dominant la ville ressemblent à une espèce de seconde ville en suspens au-dessus de la première… Nous descendons dans un hôtel important et nous allons illico sur le port… Une fois là, je me rencarde sur le Wander. Un type fringué comme un as de pique défraîchi et portant une casquette galonnée me renseigne… Je ne mets qu’un quart de plombe à dénicher le barlu dans cette armada de bâtiments de tout poil… C’est un vieux cargo poussif, noir comme un curé, avec une grosse cheminée baguée d’un cercle rouge.

Il est immobile sur l’eau huileuse ; inquiétant… Du moins pour moi qui sais ce qu’enferment ses flancs.

Je dis à Félicie de m’attendre un peu à l’écart et je monte à bord… Un gars se présente à moi sitôt que j’ai mis le pied sur le pont.

Il a un maillot cradingue, une casquette à la visière cassée. Il me pose une question en italien.

— Vous parlez français ? je demande…

Il secoue la tête… Puis lève la main en me faisant signe qu’il va me chercher quelqu’un de compétent.

Il s’évacue et je renifle un peu l’atmosphère… Plutôt malsaine… Je ne sais quoi d’hostile, de pénible, me hante comme une nuit écossaise.

J’en ai un frisson gluant le long de l’échine.

Quelques minutes s’écoulent et un officier paraît. Il est court sur pattes, trapu, avec une barbe poivre et sel et des yeux chafouins.

— Vous désirez ? me demande-t-il en un français guttural.

— Voir le capitaine Fulmer.

— C’est moi !

Je souris…

— O.K… Je suis le collaborateur de Bucher…

Il ne bronche pas, attendant la suite…

— Bucher n’a pas pu venir parce qu’il lui est arrivé un petit truc fâcheux…

Je souris pour l’amadouer, mais il reste de bois.

— Il est incarcéré à Montreux (Suisse)…

Je crois remarquer qu’un sourcil du capitaine se soulève…

— Rien de grave : il a eu des mots avec un inspecteur et l’autre était un grincheux…

Je me fouille :

— De toute façon, c’est moi qui devais venir… Voici un mot de Bucher à votre intention…

Je lui donne le billet que j’ai pris la précaution de faire écrire par l’Amerluche. Le capitaine le ligote en fronçant les sourcils. Puis il me dit :

— Un instant, s’il vous plaît…

Et il disparaît dans la coursive… Le mataf qui m’a reçu paraît et vient se placer devant l’échelle… Le capitaine a dû lui donner des instructions à mon sujet, car l’autre me regarde avec l’air de ne pas vouloir me laisser descendre si j’en avais envie. Je remarque que son futal fait une grosse bosse à droite… Où diantre Fulmer est-il allé ? Je suis vaguement inquiet… Dix minutes s’écoulent, enfin il réapparaît.

Son expression a changé. Il paraît détendu, presque courtois.

— Ça va, dit-il… Descendez…

Je le suis, prêt à empoigner l’ami tu-tues en cas de malheur… Je descends l’escalier roide qui conduit à la coursive… Je file le train à l’officier jusqu’à sa cabine… C’est propre, beaucoup plus propre que l’état du barbu ne le laisserait supposer, ripoliné, avec des coussins, des flacons intéressants…

— Asseyez-vous, me dit Fulmer…

Je m’assieds.

— Excusez, fait-il… Mais j’ai préféré comparer l’écriture de Bucher avec une lettre de lui que je possède… Il vaut mieux pécher par excès de prudence, n’est-il pas vrai ?

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12

Conscient de la mission éducative d'un écrivain, je pense que Christophe Colomb a également découvert l'Amérique. C'est un détail de sa vie que beaucoup de gens ignorent ; principalement les Américains, qui ont tendance, eux, à découvrir l'Europe. Indirectement, Colomb est donc le père du Coca-cola, du chewing-gum et de Dillinger. C'est de cette triple découverte qu'est née l'expression : « Ben, mon Colomb ! »