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Quatre minutes plus tard, nous pénétrons dans nos chambres. Cet hôtel est absolument charmant. Il y a des divans modernes, avec des tablettes de couleur… Une salle de bains époustouflante avec bidet carrossé par Ferrari, changement de vitesse automatique, freins à tambour et injection directe, comme la Mercedes 300 SL ! Des couleurs vives, une propreté qui ravit Félicie… Du soleil à faire bronzer un cachet d’aspirine ! Je me sens du bonheur dans le tiroir de la cravate.

Nous faisons un brin de toilette, ma dabuche et moi, et nous descendons dans la salle à grailler où une trentaine de pensionnaires sont en train de tortorer du spaghetti. Du haut de l’escadrin surplombant la salle, je les bigle presto. Parmi eux se trouve l’envoyé des AAl brothers… C’est fatal, le grand rencart étant pour domani !

J’ai l’œil en flash. Pif-paf-pouf, j’ai une vue générale des gars…

Je m’assieds avec Félicie à un petite table au fond de la pièce. Bath position stratégique, les gars ! D’ici, je peux voir tout le populo.

Près de nous, il y a une famille de Suisses-allemands qui bâfre en silence : papa-maman-la nurse et deux chiares en culotte de peau ! A écarter, de prime abord. A moins que chez AAl on utilise comme chez nous sa famille comme paravent. Ensuite, une autre famille, ritale cette fois : lui, un gros-lard avec un costar blanc à déconstiper les mouches ! Elle, une mégère apprivoisée avec des nichemards croulants et une moustache gauloise. Plus trois bambinos. Une fille aînée que la puberté travaille à mort ; un garçon qui s’appelle Bruno, prénom que sa daronne clame à tous les échos. Et puis le classique petit dernier qui pour l’instant se remplit de spaghetti.

Gigi, le serveur au sourire envoûtant, se penche sur nous, stoppant ma contemplation. Il nous raconte le menu d’une voix gourmande.

Nous choisissons des concombres farcis, des nouilles vertes et une côte de bélier. Le tout arrosé d’un chianti garanti de first quality !

Lorsqu’il a décanillé, alors que Félicie examine les lieux, comme un gosse regarde la vitrine d’un bazar, je poursuis mon inventaire.

J’avise une autre table avec deux petits vieux, genre fonctionnaires en retraite. Ils ont des manières honnêtes, des gestes lents, et des fringues soigneusement entretenues… Ça m’étonnerait que ces bonnes gens soient acoquinés avec une bande de trafiquants d’armes.

Je les quitte pour passer à une autre tablée où l’on mène grand tapage… Des gens pleins aux as. Je parierais le dôme des Invalides contre une paire de fixe-chaussettes d’occasion que l’Alfa-Roméo qu’on aperçoit dans le jardin leur appartient. Encore une fois c’est une famille complète, lui en costar clair, madame en robe imprimée éclatante, les mouflets avec des boutons sur la frite, et une espèce de vioque gouvernante à l’air vachard qui s’efforce de sourire lorsque son patron lance un mot d’esprit. Elle s’occupe particulièrement du petit dernier. Ce gosse-là n’a pas douze piges, mais il doit peser dans les quatre-vingts kilos. Il tortore à même l’assiette. On dirait le fils préféré du bonhomme Michelin. On a envie de chercher la valve… Le chef de famille est un beau brun assez racé… S’il était seulâbre, mes soupçons se porteraient sur lui. Mais, toujours la même chose : j’imagine mal un chef de bande venant traiter une affaire avec ses lardons, sa bergère et la bonne.

C’est à peu près tout. Il y a encore, à l’autre bout de la salle, un couple d’amoureux qui se serrent la louche sans arrêt avec un air de se promettre mutuellement une partie corsée de zizi-panpan pour un avenir très imminent.

Puis, tout près de la fenêtre du fond, il y a une jeune femme radieuse avec sa petite fille… Voilà… Je vous ai décrit le populo, excusez le mec s’il y a des longueurs, fallait que je vous numérote les artistes avant de vous jouer la pièce. Un générique se place toujours avant le film. Y a des tordus de metteurs en scène qui le mettent après (pour rester seul devant, seulement personne ne le lit).

— A quoi penses-tu ? s’inquiète Félicie.

Je reviens à moi et, par la même occase, à elle.

— Pardon, m’man… Je flottais dans la béatitude…

— Ça va refroidir…

Elle a raison. J’attaque ma porcif d’une fourchette allègre tandis que le gars Gigi me verse un glass de chianti. J’aime le chianti. C’est un picrate intelligent. Léger comme une chanson napolitaine et gentiment grisant, comme elle.

Après le repas, nous prenons le chemin de la mer. En Italie, les plages sont découpées en tranches[2].

Chaque hôtel a droit à un morceau. Il a ses transatlantiques, ses parasols, ses cabines, ses flacons d’ambre solaire, ses pédalos… Les pensionnaires ont automatiquement droit à un fauteuil de toile qui se situe par ordre d’arrivée plus ou moins près de la mer.

Un type en maillot rayé, coiffé d’une casquette sommée d’une ancre marine, nous guide au troisième rang d’orchestre. M’man et moi nous nous asseyons et nous faisons ce que font tous les gens dans notre cas, c’est-à-dire : rien !

Le soleil qui met toute la gomme… La mer qu’on voit danser… Et puis le ciel bleu, infini… C’est bon, ça réchauffe l’intérieur. On n’a pas envie de remuer la moindre phalange.

— L’Adriatique est verte, fais-je remarquer à Félicie.

Elle a un hochement de menton, puis elle se met à en écraser, tout doucettement, vaincue par la fatigue du voyage, par la matraque du soleil et par la paix Constrictor de la digestion.

A ces heures, il y a encore peu de trèpe, dans le circus… Les gars de par là vont faire la sieste… En Italie, ce beau pays, les gens sont obligés de remonter la sonnerie de leur Jaz pour stopper leur sieste. Et quand leur sieste est finie, il est l’heure d’aller se pieuter pour de bon.

Peu à peu, le populo se radine… C’est le même carnaval en maillot de bain. Des gosses qui courent dans l’eau en faisant gicler de l’écume… Des messieurs avec un bureau poilu… Des dames avec des bikinis à moustaches dont parlait Bérurier… Des tarderies, mahousses, croulantes, flasques… Des jeunes gens qui jouent les Apollon du Belvédère avec une petite médaille pieuse sur leur peau bronzée…

C’est dans ces cas-là que je désespère le plus des hommes. Il sont là, presque nus, sur le sable chaud qui sert à parfumer les légionnaires…

Etalés comme de la viande morte, avec leurs ventres, aérophagiques, aérodynamiques, majestueux, gonflés… Avec leurs varices, leurs seins qui, comme les feuilles mortes, peuvent se ramasser à la pelle… Avec leurs désirs assoupis, avec leurs combines en veilleuse… Contents de vivre et de se faire cuire le lard au soleil… Fiers de s’entre-exhiber leur sale bidoche contemporaine ; ne se doutant pas, les pauvres lapins, qu’ils sont aussi fugaces que les constructions de sable exécutées par les gamins… Le soleil, la mer, l’immobilité leur font croire à leur éternité…

Je ferme les carreaux pour les oublier un peu… Il y a des moments où ils me gênent… Des moments où je me gêne moi-même comme si j’étais placé en travers de mon passage…

Un long moment de flottement amer s’écoule. Et puis le miracle se produit. Je me mets à gamberger à mon turbin. Je ne suis pas ici pour philosopher…

Pour la première fois depuis la veille, je prends le temps de penser sérieusement à ma mission. Jusque-là, j’ai vécu dans une sorte de tourbillon. Maintenant, le calme se fait… J’essaie d’y voir clair. Les pensionnaires du K2 sont tous là…

Je les examine soigneusement à travers mes lunettes de soleil. Mais cette nouvelle revue ne m’apporte rien d’intéressant. Ils paraissent tous plus innocents les uns que les autres. J’en viens à me dire deux choses déprimantes : primo, peut-être le Boss s’est-il carré le médius dans l’orbite en traduisant le message gravé dans la montre par un rancart à cet hôtel… Il se pourrait fort bien que cette enseigne curieuse ait égaré les recherches. Deuxio, même si un rancart était prévu à Cervia, depuis l’accident d’aviation dans lequel Kazar a trouvé la mort, les deux clans qui devaient se contacter ont fort bien pu changer leurs batteries. Il faut aviser d’urgence… J’ai bougrement envie d’interviewer Martha, la petite Allemande pâlichonne, sur les pensionnaires… Leurs fafs m’en apprendraient peut-être plus long que leur figure, non ?

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2

En tranches napolitaines, dirait Breffort s'il avait le temps de dire tout ce qu'on lui prête !