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— Votre mission? demanda Rongemaille.

— A réussi… Je rapporte des lettres et l'argent pour la solde de la garnison… Vous allez prendre votre manteau et votre lanterne et nous allons courir chez le gouverneur… j'ai hâte de rassurer ma chère petite Guillemette qui doit trembler pour moi… Dépêchons, maître Rongemaille…

— Un instant… Vous avez l'argent pour le gouverneur?

[Illustration: — Vous avez l'or?]

— Oui, tenez, soulevez mon surcot… je suis cuirassé d'or… et pesez ma ceinture, j'apporte l'or et ce qui est meilleur, de bonnes nouvelles… J'ai vu messires Pothon et La Hire et Jehanne la Lorraine, ils partent cette nuit de Crépy et seront ici demain à l'aube, c'est-à-dire dans quelques heures, pressés de combattre pour notre délivrance…

— Vous avez l'or? répéta Rongemaille.

— Je vous l'ai dit.

— Et vous n'êtes pas entré par la porte Pierrefonds où l'on vous attendait?

— Je vous l'ai dit! Impossible, on me guettait aux abords, j'ai eu peine à échapper…

— Alors, fit Rongemaille se promenant de long en large, alors personne ne vous sait à Compiègne.

— Personne…

— Mettez-vous à l'aise, vous êtes fatigué!

— Je ne le serai plus quand j'aurai vu le gouverneur et embrassé mon enfant.

— Mais asseyez-vous donc, cria Rongemaille en prenant Bonvarlet par les épaules et en palpant ses vêtements, vous avez l'or… Oui, l'or est là, je le sens… Et personne ne vous a vu entrer ici, personne?

Les yeux de l'usurier luisaient étrangement et ses mains s'appuyaient violemment sur Bonvarlet.

— Allons chez le gouverneur, dit Bonvarlet, si vous n'êtes pas prêt, j'y vais seul.

— Jamais!… Seul, avec cet or? imprudent!… ah! ah! les routiers le guettaient, cet or… je vous accompagne, avec cette dague, une bonne dague qui a le fil… Attends! mais attends donc! hurla Rongemaille.

Ses doigts qui cherchaient l'or sautèrent soudain à la gorge de Bonvarlet; celui-ci tomba sur la table en jetant la lumière à terre, la main droite de Rongemaille fit voler en l'air le fourreau de la dague, puis la dague elle-même disparut tout entière dans le dos du malheureux Bonvarlet qui ne poussa qu'un faible cri, étouffé au passage par les doigts crispés de l'usurier. Tous deux étaient par terre, la lampe éteinte, éclairés par un rayon de lune, Bonvarlet râlant, l'assassin à genoux sur sa poitrine et fouillant ses vêtements…

[Illustration: Tous deux étaient à terre.]

[Illustration: Un cadavre criblé de coups de poignard.]

X

OU JEHAN DES TORGNOLES SUBIT UN COMMENCEMENT DE PENDAISON

Jehan des Torgnoles avait beaucoup de sommeil à rattraper. Malgré sa ferme intention de rester éveillé, il dormit jusqu'au matin d'un sommeil lourd et fiévreux, coupé de cauchemars et de demi-réveils, pendant lesquels il prononçait vaguement de terribles paroles de menaces, agitait bras et jambes et lançait des coups de poing et des coups de pied à des ennemis invisibles.

Lorsque l'aube dora les toits de la ville, une rumeur s'entendit au loin, se propagea, fit ouvrir des fenêtres et des portes, pousser des cris de joie à des gens qui se précipitaient dehors. Des Angélus sonnèrent. Jehan continuant son rêve ouvrit pourtant ses yeux, tout en restant couché, les membres rompus et engourdis. Des gens couraient toujours; des Noël! Noël! des clameurs joyeuses semblaient voler de rue en rue et arriver jusque vers Saint-Corneille, puis ce furent des froissements de fer, des bruits de chevaux qui s'arrêtaient devant le parvis et des Noël! Noël! plus nourris.

Jehan s'était redressé sans pouvoir pourtant se lever.

— C'est Jehanne! avec messires La Hire et Xaintrailles! Noël! Noël! de la belle chevalerie!… et des archers! Une armée?… Non, rien que l'avant-garde… La ville va être délivrée… le gouverneur accourt… on va attaquer les Anglais…

Des gens en courant se jetaient ces mots de l'un à l'autre. Jehan cherchait à reprendre ses esprits, mais la fièvre le travaillait; sa blessure à l'épaule s'était rouverte, il souffrait cruellement, son sang coulait et il continuait à demi éveillé le cauchemar qui avait troublé son lourd sommeil. Quoi? Jehanne d'Arc et La Hire? Une sortie? mais les trahisons tramées, le traître entré dans la ville? Il essaya de se lever pour se mêler aux gens du parvis. A sa grande épouvante un cadavre dans une flaque de sang était étendu à côté de lui, le visage contre terre. Il poussa une exclamation. Des gens se retournèrent vers le porche encore dans l'ombre et des cris d'horreur firent taire les acclamations.

Deux corps gisent aux pieds des statues de saints du portail, un cadavre criblé de coups de poignard et un homme couvert de sang, à demi couché à côté de l'autre. Cet homme tremble et balbutie, les yeux effarés. On s'occupe d'abord de l'autre. Le cadavre est descendu sur le parvis. Au bout de la place des gens continuent à fêter les archers et les hommes d'armes, à qui chacun apporte vivres et rafraîchissements; sous le portail on se presse, on se bouscule pour voir le cadavre qu'entoure un groupe de bourgeois. Nul espoir ne reste, l'homme est bien mort.

[Illustration: L'entrée de Jehanne d'Arc.]

… Mais on le connaît! C'est maître Bonvarlet, l'ymagier, le messager attendu par le gouverneur! Le nom circule parmi la foule, des soldats courent prévenir Flavy en conférence avec les chefs du secours.

Jehan des Torgnoles entend le nom, d'ailleurs il a reconnu la tête pâle de l'assassiné, sans doute son cauchemar continue. Il n'a pu sauver le pauvre Bonvarlet! Mais les trahisons qui se préparaient, comment les empêcher?… Soudain il est soulevé à son tour par des gens à figures menaçantes, il est bourré de coups, dans un tumulte de cris et jeté en bas des marches du portail. Il n'y a pas de doute, c'est lui l'assassin du pauvre Bonvarlet! Blessé dans la lutte, il sera tombé sur le corps de sa victime. Il faut pendre le misérable surpris dans son crime, il faut faire justice immédiate! Attendre le gouverneur? A quoi bon? Le gouverneur a bien autre chose à faire que de s'occuper de ce brigand, il va aujourd'hui livrer bataille aux Anglais, les balayer de leurs retranchements et sauver la ville avec le secours amené par Jehanne la Lorraine… Une corde tout de suite, une bonne corde.

[Illustration: A demi assommé.]

C'est l'avis de tous, aussi bien des gens sur la place que de ceux qui garnissent toutes les fenêtres des maisons. C'est notamment l'avis de maître Rongemaille, apparu sur son huis avec la mine d'un homme qui se réveille à peine.

Une corde, une bonne corde? Tout de suite, maître Rongemaille va vous trouver cela. Vous avez bien raison! Inutile de déranger le bourreau pour ce gredin qui a assassiné le messager du gouverneur.

Jehan des Torgnoles, assis à terre, maintenu autant par sa faiblesse que par des poings vigoureux, regarde et entend sans comprendre tout à fait. Hélas, l'horrible rêve continue. Les gens qui l'entourent sont-ils des routiers anglais? Est-ce du populaire de Compiègne? Il ne sait au juste. Est-il en ville ou bien encore dans les halliers de la forêt? Il ne reconnaît vraiment que le pauvre Bonvarlet étendu sur le pavé, figure tragique. Et aussi, au premier rang des gens qui l'entourent et le plus acharné à le maltraiter, l'usurier Rongemaille au rictus féroce.

[Illustration: La corde impitoyable se tend.]

Quoi? on l'accuse d'avoir assassiné Bonvarlet? C'est un cauchemar causé par la fièvre et qui va se dissiper tout à l'heure! Mais des mains lui passent une corde au cou, on le pousse, on le soulève, on le hisse. La corde est jetée à la première balustrade du portail. Il n'y a plus qu'à tirer et justice sera faite de l'assassin de Bonvarlet.

Cette fois Jehan se débat, il se secoue violemment pour se réveiller et pousse des cris de fureur. Moi? assassin de mon maître Jacques Bonvarlet! Moi qui courais depuis deux jours et deux nuits pour le sauver! Moi qui ai failli tomber sous les coups des routiers qui le poursuivaient!… Je veux voir le gouverneur! Prévenez-le! Il y a dans Compiègne des traîtres qui doivent livrer la ville… A moi, messire de Flavy! Il y a des traîtres… Tenez dans cette maison que je guettais cette nuit…