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Mais son illusion n’avait guère tardé à se dissiper dans le sang, et à la quitter toute joie. Après avoir toujours imputé la chose à un simple retard, Catelyn en venait à se demander#nbsp#: Elle aurait été véritablement grosse#nbsp#?

Elle se rappela la première fois où elle avait laissé sa sœur tenir Robb #shortdash# un petit braillard cramoisi mais déjà vigoureux, débordant de vitalité. A peine Lysa l’avait-elle reçu dans ses bras qu’elle fondait en larmes, décomposée, puis, se dépêchant de le rendre, prenait la fuite.

Un premier#nbsp#accident…, cela expliquerait les paroles de Père, et bien d’autres choses, en plus… L’union de Lysa et de lord Arryn avait été conclue précipitamment, et celui-ci était déjà un homme âgé #shortdash# plus âgé que Père. Un vieil homme sans héritier. Ses deux épouses précédentes ne lui en avaient pas donné, le fils de son frère avait péri assassiné à Port-Réal avec Brandon Stark, et son valeureux cousin était mort durant la bataille des Cloches. La survivance de la maison Arryn lui imposait de prendre une jeune épouse…#nbsp#une jeune épouse réputée féconde.

Catelyn se leva et, après avoir enfilé une robe, descendit à la loggia plongée dans le noir s’incliner sur son père. Un sentiment d’horreur invincible la possédait. «#nbsp#Père, dit-elle, Père, je sais ce que vous avez fait.#nbsp#» Elle n’était plus l’oie blanche à la cervelle farcie de chimères du temps de ses noces. Désormais veuve et félonne et mère endeuillée, elle était forte de l’expérience, de l’expérience selon le monde. «#nbsp#Vous lui avez mis le marché en main. Le prix que devait payer Jon Arryn pour les piques et les épées de la maison Tully, c’était Lysa.#nbsp#»

Quoi d’étonnant si la vie conjugale de sa sœur avait été si dénuée d’amour#nbsp#? La fierté rendait les Arryn chatouilleux quant à leur honneur. Epouser Lysa pour rallier Vivesaigues à la rébellion et dans l’espoir d’obtenir un fils, lord Jon pouvait y consentir, mais la chérir, quand elle n’entrait dans sa couche qu’à contrecœur et souillée, la chérir excédait ses forces. Qu’il se fut conduit en galant homme, aucun doute à cet égard#nbsp#; et en homme de devoir, oui, mais c’est de chaleur qu’avait besoin Lysa.

Pendant qu’elle déjeunait, au matin, Catelyn réclama de quoi écrire et commença une lettre à l’intention de sa sœur, dans le Val d’Arryn. Elle l’y informait, butant sur chaque mot, du sort de Bran et de Rickon mais l’entretenait surtout de leur père. Il est obsédé par le tort qu’il t’a fait, maintenant que son temps s’amenuise. Mestre Vyman n’ose pas, de son propre aveu, lui administrer de lait de pavot plus corsé. L’heure sonne où Père devra déposer son épée et son bouclier. Son heure sonne de reposer. Il s’acharne à lutter, pourtant, refuse de se rendre. En ta faveur, je pense. Il lui faut ton pardon. La guerre a eu beau rendre, je le sais, le trajet périlleux depuis Les Eyrié jusqu’à Vivesaigues, ne suffirait-il pas d’une forte escorte de chevaliers pour que tu traverses les montagnes de la Lune en toute sécurité#nbsp#? Une centaine ou un millier#nbsp#? Et, si tu ne peux venir, ne saurais-tu du moins lui écrire#nbsp#? Quelques mots d’affection, pour lui permettre de mourir en paix#nbsp#? Ecris à ta guise, je le lui lirai, je lui faciliterai le passage.

Mais, lors même qu’elle eut reposé la plume et demandé la cire à cacheter, Catelyn pressentit que la lettre risquait fort de ne pas suffire et d’arriver trop tard. Mestre Vyman doutait que lord Hoster vive assez longtemps pour qu’un corbeau parvienne au Val puis en revienne. Mais il l’a dit si souvent, déjà… Les Tully n’étaient pas hommes à se rendre aisément, si nulles que fussent leurs chances. Après avoir confié la missive aux bons soins du mestre, Catelyn gagna le septuaire et y alluma un cierge devant le Père, en faveur de son propre père, un deuxième devant l’Aïeule qui, la première, avait lâché un corbeau dans le monde en jetant un œil aux portes de la mort, et un troisième devant la Mère, à l’intention de Lysa et de tous les enfants qu’elles avaient l’une et l’autre perdus.

Elle se tenait, plus tard, ce même jour, assise avec un livre au chevet de lord Hoster, lisant et relisant le même paragraphe, quand soudain retentirent des éclats de voix puis une sonnerie de trompe. Ser Robin, se dit-elle aussitôt. D’un pas chancelant, elle se rendit sur le balcon, mais les rivières étaient désertes, et cependant, de l’extérieur, elle entendait plus nettement les cris, mêlés aux piaffements de nombreux chevaux et, de-ci de-là, parmi des cliquetis d’armures, des ovations. Elle escalada le colimaçon qui conduisait à la terrasse du donjon. Ser Desmond ne me l’a pas interdite, songea-t-elle tout en grimpant.

Le tohu-bohu provenait de l’autre extrémité du château, près de la porte principale. Une poignée d’hommes stationnait devant la herse quand celle-ci, cahin-caha, se releva par à-coups. Dans les champs, derrière, s’apercevaient des centaines de cavaliers. Un coup de vent déploya leurs bannières, et la vue de la truite au bond familière fit trembler Catelyn de soulagement. Edmure.

Il ne jugea séant de venir la voir qu’au bout de deux heures. Quand le château tout entier retentissait déjà de tablées tapageuses et du boucan que faisaient les retrouvailles des arrivants avec leurs femmes et leurs gosses. Trois corbeaux s’étaient entre-temps envolés de la roukerie dans un tapage d’ailes noires. Du balcon de Père, Catelyn les suivit des yeux. Elle s’était lavé les cheveux et, une fois changée, préparée aux reproches de son frère…, mais l’attente ne lui en avait pas moins paru pénible.

En entendant enfin du bruit sur le palier, elle s’assit, les mains ployées dans son giron. Des croûtes de boue rougeâtre maculaient les bottes d’Edmure, ainsi que ses cuissardes et son surcot. A le voir, vous n’auriez jamais deviné qu’il rentrait victorieux. Il était maigre, avait les traits tirés, le teint blême, une barbe hirsute et l’œil trop brillant.

«#nbsp#Edmure, dit-elle, alarmée, tu as l’air souffrant. Est-il arrivé quelque chose#nbsp#? Les Lannister ont-ils traversé la rivière#nbsp#?

#longdash##nbsp#Je les ai repoussés. Lord Tywin, Gregor Clegane, Addam Marpheux, je les ai tous flanqués dehors. Seulement, Stannis…#nbsp#» Il grimaça.

#longdash##nbsp#Stannis#nbsp#? Quoi, Stannis#nbsp#?

#longdash##nbsp#Il a perdu la bataille de Port-Réal, dit Edmure d’un ton chagrin. Sa flotte a été brûlée, son armée mise en déroute.#nbsp#»

Si c’était une fâcheuse nouvelle, en effet, qu’une victoire Lannister, Catelyn ne parvenait cependant pas à partager l’évident désarroi de son frère. Elle voyait encore dans ses cauchemars se profiler l’ombre sur la tente et jaillir au travers du gorgeret d’acier le sang de Renly. «#nbsp#Stannis n’était pas plus de nos amis que lord Tywin.

#longdash##nbsp#Tu ne comprends pas. Hautjardin s’est déclaré partisan de Joffrey. Dorne aussi. Tout le sud.#nbsp#» Sa bouche s’amincit. «#nbsp#Et tu juges bon, toi, de relâcher le Régicide. Tu n’en avais pas le droit.

#longdash##nbsp#J’avais mes droits de mère.#nbsp#» Elle parlait d’une voix calme, en dépit du coup terrible que le revirement de Hautjardin portait aux espoirs de Robb. Mais elle ne pouvait s’appesantir là-dessus pour l’instant.