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— Excellente idée. Vas-y, encouragea Gurder.

— Mais prudemment, conseilla Grimma.

— Merci. Si tu n’y vois pas d’objection, Masklinn ? ajouta Angalo.

— Hmm ? Non. Non. Très bien. Allons-y.

Une bonne chose : les bâtiments avaient disparu. Le camion parcourut la route déserte en ronronnant, son seul phare survivant créant un halo blanc dans la brume. Un ou deux véhicules les croisèrent, sur l’autre côté de la route.

Masklinn savait qu’on devrait bientôt chercher un endroit où faire halte. Un endroit bien abrité, à l’écart des humains – mais pas trop loin, parce que, il en était certain, les gnomes allaient encore avoir besoin de nombreux objets. Peut-être se dirigeaient-ils actuellement vers le nord. Mais en ce cas, c’était par pur coup de chance.

C’est à cet instant – il se sentait fatigué, en colère, et son esprit n’était pas entièrement concentré sur la route devant lui – qu’il aperçut Prix Sacrifiés.

Aucun doute n’était possible. L’humain se dressait au milieu de la route et agitait sa torche. Il y avait une voiture près de lui, avec une lumière clignotante bleue sur le dessus.

Les autres l’avaient vu, eux aussi.

— Prix Sacrifiés ! se lamenta Gurder. Il a réussi à nous précéder ici !

— Plus de vitesse, ordonna Angalo, résolu.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— On va voir de quoi sa torche est capable, face à un camion ! marmonna Angalo.

— Mais tu ne peux pas faire ça ! Tu ne vas pas lancer un camion contre des gens !

— C’est Prix Sacrifiés ! rétorqua Angalo. Pas des gens !

— Il a raison, intervint Grimma. C’est toi qui as dit qu’on ne devait plus s’arrêter, maintenant.

Masklinn s’empara des filins de direction en tirant sèchement sur l’un d’eux. Le camion changea de cap juste à l’instant où Prix Sacrifiés lâchait sa torche. L’engin se jeta contre la haie, à une allure respectable. On entendit un bang lorsque l’arrière du camion percuta la voiture, puis Angalo récupéra le contrôle des filins et ramena le véhicule dans une trajectoire qui s’apparentait plus ou moins à la ligne droite.

— C’était inutile, reprocha-t-il à Masklinn. Rien n’interdit d’écraser Prix Sacrifiés, pas vrai, Gurder ?

— Eh bien. Euh… répondit Gurder. (Il jeta vers Masklinn un regard embarrassé.) Je ne suis pas certain qu’il s’agissait bien de Prix Sacrifiés, pour être franc. Il portait une tenue plus sombre, déjà. Et puis, cette voiture avec sa lumière…

— D’accord, mais il portait son chapeau à visière et sa terrible lumière !

Le camion se heurta à un talus, auquel il arracha un très coquet paquet de terre, et rejoignit la route en zigzaguant.

— De toute façon, conclut Angalo avec satisfaction, tout cela appartient au passé, désormais. Nous avons laissé Arnold Frères (fond. 1905) derrière nous, dans le Grand Magasin. Nous n’avons plus besoin de tout ça. Pas Dehors.

Malgré le bruit qui régnait dans l’habitacle, ces mots créèrent une sorte de silence.

— Ben, c’est vrai, non ? poursuivit Angalo, sur la défensive. Et Dorcas est de mon avis. Ainsi que beaucoup des nouvelles générations de gnomes.

— Nous verrons, fit Gurder. Cependant, je soupçonne que si Arnold Frères (fond. 1905) était quelque part, il est partout.

— Que veux-tu dire par là ?

— Je n’en suis pas sûr moi-même. Il faut que je médite sur ce sujet.

Angalo émit un reniflement condescendant.

— C’est ça, médite, médite. Mais je n’en crois rien, moi. Ça n’a plus d’importance. Que Bonnes Affaires se retourne contre moi si je me trompe ! ajouta-t-il.

Masklinn vit du coin de l’œil une lueur bleue. Il y avait des miroirs au-dessus des roues du camion et, bien que l’un d’eux soit brisé et l’autre tordu, ils étaient toujours plus ou moins opérationnels. La lumière se situait derrière le camion.

— Je ne sais pas ce que c’est, mais il est à nos trousses, fit-il d’une voix calme.

— Et j’entends le bruit. Vous savez : ouin-ouin, ouin-ouin, ajouta Gurder.

— Je crois, fit Masklinn, que ce serait une bonne idée de quitter la route.

Angalo regarda à gauche et à droite.

— Trop de haies, jugea-t-il.

— Non, je veux dire, s’engager sur une autre route. Tu peux y arriver ?

— Roger ! No problemo. Hé, il essaie de nous dépasser ! Quel culot ! Ha !

Le camion exécuta un crochet brutal.

— J’aimerais pouvoir ouvrir la fenêtre, ajouta-t-il. Il y avait un camionneur que j’ai observé, qui faisait des signes de la main par la fenêtre et criait des choses, quand les gens klaxonnaient, derrière lui. Je crois que c’est la procédure à observer. (Il leva le bras et cria :) Vôtfeeervouôôôr.

— Laisse tomber. Contente-toi de nous trouver une autre route, une petite, lui dit Masklinn sur un ton apaisant. Je reviens tout de suite.

Il descendit par l’échelle branlante rejoindre Dorcas et ses équipes. Les choses étaient calmes pour l’heure, les équipes de direction donnaient de simples petits coups sur la grande roue, et la pédale va-vite était maintenue sous une légère pression constante. De nombreux gnomes étaient assis et essayaient de se détendre un peu. Un vivat maigrichon salua l’arrivée de Masklinn.

Dorcas, assis à l’écart, griffonnait des choses sur un bout de papier.

— Oh, c’est toi ? dit-il. Tout va bien, désormais ? On a épuisé le catalogue d’obstacles ?

— On est suivis par quelqu’un qui veut nous forcer à nous arrêter, expliqua Masklinn.

— Un autre camion ?

— Une voiture, je crois. Remplie d’humains.

Dorcas se gratta le menton.

— Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ?

— Tu t’es servi de choses pour couper les fils du camion, quand tu ne voulais pas qu’il s’en aille, dit Masklinn.

— Des pinces coupantes. Et alors ?

— Tu les as toujours ?

— Oh, oui. Mais il faut deux gnomes pour les manier.

— Alors, il faudra qu’un gnome me prête main-forte.

Masklinn expliqua ses intentions à Dorcas. Le vieux gnome le regarda avec une expression qui ressemblait à de l’admiration, puis il secoua la tête.

— Ça ne marchera jamais, fit-il. Le temps manque. Mais c’est une belle idée.

— Mais nous sommes tellement plus rapides que les humains ! On pourrait le faire, et revenir au camion avant qu’ils ne s’en soient aperçus !

— Hmmm. (Dorcas eut un sourire mauvais.) Tu y vas ?

— Oui. Je, euh… je ne suis pas sûr que des gnomes qui n’ont jamais quitté le Grand Magasin pourraient être à la hauteur.

Dorcas se releva et bâilla.

— Ma foi, j’aimerais essayer ce fameux « air frais » dont tout le monde parle, dit-il. Il paraît que c’est très bon pour la santé.

Si un observateur avait regardé par-dessus la haie cette route de campagne noyée de brume, il aurait vu un camion débouler à une allure peu prudente, dans un bruit de tonnerre.

Il aurait pu se dire : bizarre, ce camion, il paraît avoir perdu quelques accessoires standard – un phare, un pare-chocs et sa peinture sur un des flancs – et récolté quelques décorations inhabituelles – des branchages et plus de bosses qu’une tôle ondulée.

Il aurait pu se demander pourquoi un panneau Ralentir Travaux pendait à une poignée de portière.

Et il se serait sûrement étonné de le voir s’arrêter.

La voiture de police qui le suivait s’arrêta de façon bien plus spectaculaire, dans une gerbe de gravier. Deux hommes en tombèrent littéralement et coururent au camion, pour en ouvrir brutalement les portières.