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— Oubliée ! Après tout ce battage publicitaire ?

— Je sais que ça va faire mal, Guig, mais les résultats de l’expérience cryogénique ont balayé la mission Pluton pour le moment, peut-être même à tout jamais. D’un autre côté, il s’est produit quelque chose de si bouleversant et inattendu qu’il faut absolument que j’arrive à les persuader de transférer les crédits affectés à Pluton sur un nouveau projet. L’ennui, c’est que je ne suis pas très fortiche quand il s’agit de vendre quelque chose.

— Il nous faudrait les conseils de l’Armateur Grec, murmurai-je à la princesse.

Elle hocha la tête et sortit discrètement.

— La raison pour laquelle je m’ouvre ainsi à vous, poursuivit Séquoia, c’est que j’ai appris à respecter le Groupe et à lui faire confiance.

— Tu sais beaucoup de choses sur le Groupe, Grand Chef ? lui demandai-je.

— Quelques-unes.

— C’est Fée qui t’a mis au parfum ?

— Je n’ai rien dit ! fit Fée, indignée.

— Tu as lu mon journal, hein. Fée ?

— Un peu.

— Comment as-tu fait pour décoder mon clavier terminal privé ?

— J’ai appris toute seule.

Je levai les bras au ciel. Voilà ce que c’est que de vivre avec un petit génie.

— Quelles informations as-tu transmises à ton Jules ?

— Aucune, fit Séquoia, la bouche pleine. Le peu que je sais, je l’ai appris par induction, déduction, intuition et tutti quanti. Je suis un savant, ne l’oublie pas. Et je vais te dire une chose. Je ne me contente pas de parler le XXe, je comprends aussi le langage des sourds-muets. Alors, pourquoi ne pas laisser tomber ? J’ai une assemblée difficile qui m’attend, et je compte sur l’aide du Groupe. O.K.

— Pourquoi t’aiderions-nous ?

— Je pourrais dire ce que je sais sur vous.

— Uu.

— Bong. (Il sourit de nouveau, d’une manière très convaincante.) Disons que nous éprouvons une sympathie mutuelle, et que nous voulons bien nous venir en aide.

— Petit malin d’Indien des Plaines. O.K.

— J’aurai besoin d’Edison et de toi. De Fée aussi, bien sûr. Je vous mettrai au courant dans l’hélico afin que vous puissiez poser les questions qu’il faut à l’assemblée. Hélicons-nous d’ici.

Quand nous arrivâmes au JPL, j’étais si ébloui par l’énormité de la découverte de Séquoia et des frontières qu’elle ouvrait que je ne me rendais plus compte de rien de ce qui se passait autour de moi. Tout ce que je sais, c’est que je repris contact avec la réalité à l’intérieur d’un grand laboratoire d’astrochimie, assis sur un kinobanc en compagnie de quelque cinquante actionnaires majoritaires de l’United Conglomerate. Nous étions face à Hiawatha, qui était adossé à un long comptoir encombré d’appareillages de chimie. Il paraissait frais et dispos, satisfait de lui-même comme s’il allait déballer devant l’United Con une boîte à surprise. Ce qu’il allait faire, d’ailleurs. La question qui se posait était de savoir s’ils allaient acheter ce qu’il avait à vendre. L’exposé était fait en spanglais, évidemment, mais je traduis pour le bénéfice de mon foutu journal et de Fée-Fouine Chinois-Grauman.

— Mesdames et messieurs, bonjour. Vous attendiez si anxieusement notre communiqué que je ne me suis pas fait scrupule de vous faire venir à 4 heures du matin avec un si court préavis. Vous savez tous qui je suis. Je suis le Dr Devine, attaché de recherche à la mission Pluton. J’ai de remarquables nouvelles à vous communiquer. Certains d’entre vous attendent un constat d’échec, mais…

— Épargnez-nous votre baratin, hurlai-je. (Nous nous étions mis d’accord pour que je joue le rôle du Vilain.) Dites-nous seulement la cause de votre échec et de la perte de nos quatre-vingt-dix millions.

Un certain nombre d’actionnaires me lancèrent un regard mauvais, ce qui était le but de l’opération : détourner sur moi l’hostilité générale.

— La question est bien posée, monsieur, mais vous vous trompez. Nous n’avons pas échoué. Nous avons au contraire réussi au delà de toute espérance.

— En causant la mort de trois cryonautes ?

— Ils ne sont pas morts.

— En les faisant disparaître, alors ?

— Ils n’ont pas disparu.

— Ah ! non ? Je ne les ai pas vus. Personne ne les a vus.

— Vous avez dû les apercevoir, monsieur. Dans les cryosarcophages.

— Il n’y avait rien d’autre que des rats pelés.

— Ce sont les cryonautes.

J’éclatai d’un rire sardonique. Il y eut divers mouvements d’intérêt parmi les actionnaires. L’un d’eux cria :

— Taisez-vous ! Laissez-le parler.

Je me calmai, et Edison prit le relais.

— Dr Devine, ce que vous venez de dire est surprenant, et même inouï dans les annales de la science. Pourriez-vous nous donner une explication ?

Edison était le Gentil.

— Aha ! Mon vieil ami de la Division du Plasma de chez R.C.A. Cela vous intéressera tout particulièrement, Crookes, parce que les décharges électroniques que nous appelons le plasma ont probablement leur rôle à jouer dans cette histoire. (Il se tourna vers l’assemblée.) Le Pr Crookes est l’un des experts que j’ai invités à venir assister à l’arrivée de la capsule.

— Assez perdu de temps ! criai-je. Venez-en au fait.

— J’y viens, j’y viens, mon bon monsieur. Certains d’entre vous se rappellent sûrement une théorie historique conçue il y a des siècles en embryologie. Elle s’énonçait de la façon suivante : “L’ontogenèse résume la phylogenèse.” En d’autres termes, le développement de l’embryon à l’intérieur de l’utérus retrace les différents stades perdus de l’évolution des espèces. Vous n’avez sûrement pas oublié vos classiques.

— S’ils les ont oubliés, Dr Devine, je pense qu’à présent leur mémoire est suffisamment rafraîchie, fit Edison d’un ton enjoué.

Je me dis que l’instant était venu de lancer une autre pique.

— Et pouvons-nous savoir combien vous payez votre ami pour son soutien loyal ? Quel pourcentage de nos cent millions touche-t-il ?

Les murmures de mécontentement redoublèrent à mon adresse. Heureusement que Fée avait été présente lors de la mise au point du scénario, car je crois bien qu’elle m’aurait déchiré le visage avec ses ongles autrement. Séquoia fit mine d’ignorer le perturbateur du troisième rang. Il poursuivit :

— L’ontogenèse résume la phylogenèse, mais… (Il marqua un instant d’arrêt.) … mais je crois que nous venons de découvrir que la cryologie recycle l’ontogenèse.

— Grand Dieu ! s’exclama Edison. Voilà un instant historique pour le JPL ! Êtes-vous sûr de ce que vous dites, Dr Devine ?

— Aussi sûr qu’un expérimentateur peut l’être, professeur. Les rats pelés entre guillemets sont des embryons. Les embryons de nos trois cryonautes. Après quatre-vingt-dix jours passés dans l’espace, ils ont régressé à un stade précoce du développement fœtal.

— Vous avez une théorie sur les causes ?

La question émanait d’un actionnaire futé.

— Pour être honnête, pas encore. Nous n’avions jamais soupçonné une possibilité si fantastique au cours de nos préparatifs. Toutes nos expériences ont été faites sur terre, sous la protection de notre épaisse couche atmosphérique. Nous avions bien placé quelques animaux sur orbite, mais seulement pour des temps très courts. Les trois cryonautes ont été les premiers à être exposés au rayonnement spatial pendant une période de temps relativement longue. Quant à savoir quels sont les facteurs qui ont produit le phénomène…

— Le plasma ? intervint Edison.