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Imagine des étendues vertigineuses, presque sans arbres. Culture céréalière et élevage de bovins. Des gauchos habillés en gauchos chevalent à travers l’immensité. L’avion perd de l’altitude et plonge vers une piste privée bordant des enclos où paît en paix le bétail. Au loin, une zone harmonieusement arborisée au centre de laquelle se dresse une somptueuse demeure entourée d’un jardin fleuri.

— Ma maison ! annonce sobrement Mme de la Fuenta.

Le Mastar a une exclamation de circonstance pour traduire son impression :

— Ben, ma vache !

— J’en possède douze mille, révèle la comtesse qui se méprend.

— J’plains l’mec qui trait tout ça ! s’exclame ce fils de fermiers.

Le pilote a prévenu la maison par radio car, à peine a-t-il stoppé les réacteurs, qu’une limousine blanche décapotable surgit et vient se ranger à côté de l’appareil. Un chauffeur guarani, de blanc vêtu, accueille les passagers avec une déférence joyeuse. Une jeep arrive à son tour pour trimbaler les bagages de la comtesse. En route pour la maison ! Avant la décarrade, Béru, pour montrer qu’il sait vivre, glisse une pièce de dix francs français dans la main du pilote éberlué.

— Tu dois pouvoir t’faire tailler un’ p’tite pipe, av’c c’t’auber, confie le Gros ; l’franc français s’maintient mieux qu’ l’franc argentin, d’après c’ qu’on m’a dit !

Et ce fut une installation de rêve dans un univers de rêve ! Dolorès avait un goût exquis et répandait en tous lieux un luxe léger, plein de charme et de délicatesse. Rien d’écrasant, de pompeux ! Meubles Renaissance espagnole sur gros crépi blanc frotté au savon sec ensuite ! Statues baroques en petite quantité. Tableaux rares. Objets délicats. Elle conduisit elle-même ses invités dans leurs appartements. Pinaud eut la priorité de l’âge. Puis ce fut le tour d’Alexandre-Benoît. Quand ils furent entrés dans la grande chambre où tournait, pour le charme du décor, un grand ventilateur superflu, le Dodu referma la porte et tira le délicat verrou de fer forgé, œuvre d’art parmi les autres.

— A présent, on va s’expliquer en grand ! déclara le surhomme. Et pas b’soin d’ flécher l’ parcours !

Il posa sa veste sur un dossier de chaise, dégaina ses croquenots et se mit à dégrafer son pantalon.

Bérurier portait un slip spécial dont l’avant ressemblait à un sac tyrolien. Malgré tout, ce qu’il avait à maintenir arrimé s’échappait de l’étoffe rendue lâche par l’activité de la grosse bébête prisonnière.

La comtesse regardait le strip-tease de son invité avec émotion. Elle sentit vraiment, en présence de ce mâle de rencontre, que son deuil prenait fin.

SUITE

Dans l’après-midi, ils se rendirent au Sirena Palacio où était descendu le couple infernal et où avait eu lieu l’assassinat de la fille brune. Les journaux étaient encore pleins de ce meurtre et la comtesse de la Fuenta leur avait traduit de longs articles y consacrés. Ainsi avaient-ils appris que le criminel, un coiffeur parisien d’origine italienne, niait toute culpabilité. Il prétendait avoir été « dragué » par la victime, laquelle l’avait convié dans sa chambre. Là, il l’avait régalée (des indices irréfutables attestaient la chose), puis s’était assoupi, vaincu par l’intensité de sa prestation. Des coups à sa porte l’avaient réveillé et il avait ouvert au policier qu’un locataire du palace avait prévenu par téléphone ; ce dernier prétendait avoir entendu des appels au secours. L’accusé reconnaissait que la chambre était fermée à clé de l’intérieur, ainsi que les fenêtres (la pièce était climatisée). Donc, personne ne pouvait s’y être introduit, ni même l’avoir quittée. Le coiffeur, terriblement abattu, affirmait que s’il avait tué la fille, ce ne pouvait qu’être en état second, ce qui faisait bien rigoler les policiers argentins. Autre preuve, et pas des moindres, de sa culpabilité : ses empreintes figuraient sur le couteau.

— Il l’a dans l’fion ! pronostiqua sobrement Béru.

Et comme c’était un brave homme, il eut un peu honte du capiteux plaisir que lui procurait cette certitude.

Le chauffeur en livrée blanche était celui-là même qui les attendait à leur descente du Jet privé. Il s’appelait Pedro Bandalez et riait toujours. Quand il ne riait pas, il fredonnait. L’arrivée des deux compères au palace dans cet équipage provoqua de l’émoi dans la valetaille. On les accueillit avec mille courbettes dont ils n’eurent cure et ils demandèrent séance tenante à parler au directeur. En moins de jouge, on les introduisit dans une immense pièce au centre de laquelle trônait une statue de bronze verdi représentant un militaire frappé en pleine poitrine, soutenu par un camarade compatissant, tandis qu’un autre de ses potes s’efforçait de calmer son cheval ; le tout grandeur nature !

Devant cette admirable fresque, il y avait un large bureau ministre et, derrière le burlingue, un petit mec vêtu de noir, avec des rouflaquettes si pointues que son pommadin devait les lui finir au crayon à sourcils.

Béru et Pinuche lui montrèrent leur carte d’officier de police et prétendirent constituer une commission rogatoire dépêchée par Paris pour connaître de « l’affaire en question ». Le dirlo frétilla du croupion, se cassa en deux, ce qui ne laissa plus grand-chose de lui à regarder et affirma qu’il était à la disposition de ces messieurs.

Ces messieurs déclarèrent qu’ils souhaitaient deux choses seulement, mais qu’ils les souhaitaient ardemment. La première c’était de rencontrer la compagne du meurtrier, la seconde, de visiter la chambre du crime.

Le dirlo répondit, avec un accent pour comédie de Feydeau, que la dame se trouvait dans sa chambre : la 414. Quant à l’appartement du meurtre, il regrettait, mais la justice de Mar del Plata avait apposé les scellés sur la porte.

Bérurier rétorqua qu’il s’en doutait, mais que les autorités lui avaient remis un appareil pour les faire sauter et il montra au directeur, intéressé, son vieil Opinel à manche de bois.

Le petit bonhomme déclara alors que tout était parfait. La chambre du crime était la 612.

Les Laurel et Hardy de la Rousse remercièrent et vaquèrent.

Parvenu devant la porte marquée 414, Pinaud chuchota.

— Pas surprenant qu’ils aient eu la scoumoune : en réalité il s’agit de la chambre 413 puisque la précédente est la 412.

— J’sus t’ému à l’idée d’la r’voir, soupira le Gros. Dans quel triste état é doit être, la pauvrette !

Il repliait déjà son médius pour frapper quand il perçut un rire flûté qu’il reconnut aussitôt. La voix de Berthe retentit, douce et maternelle :

— Mais non, Bijou, tu t’ goures ! Le trou qu’tu t’escrimes, c’est pas ma chatte, c’t’un pli d’ma cuisse !

Alexandre-Benoît tourna le loquet. C’était fermé à clé. Il recula de deux pas et donna de l’épaule droite. La serrure rendit l’âme et le panneau de bois claqua contre le mur, à l’intérieur. Il découvrit — et Pinaud en même temps que lui — son infidèle, à poil sur son lit, en compagnie d’un groom tout de rouge et d’or vêtu qui s’efforçait de la besogner de sa misérable quéquette adolescente !

Le Musculeux porta la main entre son col de chemise et son cou, comme pour les prémices d’une crise cardiaque.