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Tous ces gnafs s’attendent à récolter une paire de cadavres et ils n’ont pas dégauchi leur artillerie. Aussi sont-ils proprement suffoqués en me voyant débouler.

Pour ne pas leur laisser le temps de réaliser ce qui se passe je braque mon engin sur le premier mec qui se trouve devant moi, et ce mec — le diable soit loué ! — n’est autre que Molard.

Je voudrais que vous voyiez comment je l’assaisonne, cet enfifré !

Vlan ! Vlan ! deux pruneaux dans le buffet et il se met à jouer au macchab de service sans demander son reste.

Je repère la lourde. Avant de sortir, je me retourne.

Même méthode que précédemment :

Vlan ! Vlan !

C’est la grande faucheuse qui passe !

Un flic fait la culbute en avant, un autre s’attrape le bras comme s’il se demandait brusquement s’il est toujours à lui…

Je m’élance dans la cour, heureusement obscure. Je cavale jusqu’à l’entrée principale. Juste à la porte il y a une voiture noire de Police Secours. Le chauffeur qui a entendu les coups de feu s’annonce précisément. Avant qu’il ait eu le temps de crier « halte-là ! » je le rambine d’un coup de boule dans le pif et il tombe à la renverse, je le sonne d’un terrible coup de tatane dans la tempe et je continue ma course.

Grâce à mon sens de l’orientation, je ne mets pas longtemps à repérer la carrée de la vioque du Bois. Pourvu que, ne me voyant pas radiner, elle n’ait pas mis les verrous, cette cruche ! Mais non ! Elle a le dargeot en ébullition et elle fait comme sœur Anne : elle guette sur le pas de la porte, histoire de vérifier si son beau chevalier n’arrive pas.

Et comment qu’il arrive, le beau chevalier !

Dare-dare, Madame ! Car il a la corne d’une voiture de condés aux chausses.

J’entre en la bousculant, je ferme la lourde, tire le verrou et m’éponge le cigare d’un revers de coude.

Elle me regarde, médusée.

— Que… Que se passe-t-il ? bégaie ma princesse lointaine.

Je réalise alors que je suis dans un état vestimentaire déplorable. Mes fringues sont raidies encore par le froid ; une glace de Venise qui se trouve là m’apprend que je suis décomposé, et je me rends compte que je tiens mon revolver à la main…

Dans un salon où l’on n’entre même pas avec son parapluie cela se remarque intensément, vous pensez !

— C’est toute une histoire, dis-je en empochant ma seringue… Vous n’avez pas un petit quelque chose de raidard pour me remonter… Je veux du chaud !

Elle se dirige vers l’office.

Après une hésitation, je la suis. Supposez qu’elle biche les chocottes et qu’elle alerte aussi les hirondelles !

Mais elle ne paraît pas songer aux flics. Elle s’active. Elle verse un demi-litre de rhum blanc dans une casserole, y colle une poignée de sucre et du poivre, et met le tout dans une bouilloire électrique.

Puis elle vient à moi.

— Dans deux minutes vous serez servi, mon chéri, gazouille-t-elle. Mais qu’avez-vous ? Vous êtes glacé !

J’hésite, quelle historiette pourrais-je bien lui bavouiller ?

— Eh bien voilà, je commence.

Mais je m’arrête, en pleine panne d’imagination…

C’est peut-être le froid qui a stoppé mes cellules grises ? Je la regarde.

Elle fixe sur moi des yeux passionnés. Et je pense soudain :

« Pourquoi tu ne lui bonnirais pas tout culment la vérité, à cette haridelle ! En arrangeant la sauce elle pourrait t’aider… »

Je liche le bol fumant qu’elle me tend. Je clape de la langue. C’est un vrai brasero qui me descend dans les profondeurs.

— Eh bien voilà, je reprends.

Mais je la boucle une seconde fois car une sirène retentit dans la rue et stoppe juste devant la boîte.

Chapitre XXV

Une gonzesse à la hauteur

Je m’immobilise, la main déjà posée sur le pétard.

— C’est pour vous ? demande la bonne femme.

Comment essayer de la blouser ?

— Oui, je dis.

Je me demande comment la voiture a bien pu stopper pile devant la lourde, étant donné que lorsque je me suis engagé dans la rue j’avais déjà distancé mes poursuivants…

— Quelqu’un vous a vu tourner le coin de la rue ? demande-t-elle.

Je hausse les épaules.

— Tourner c’est bien possible, mais comment peut-on savoir que je me suis arrêté ici ?…

— Voyons ! fait-elle, c’est normal : ici c’est une impasse… Ce square se termine par un mur, ils ne peuvent aller plus loin…

Sur ce, un coup de sonnette impérieux nous fait sursauter.

— Dans ces conditions, je dis, va falloir jouer serré, ouvre-leur la lourde et dis que tu n’as rien vu…

Je palpe mon feu…

— Sinon, je fais un tel barnum dans ta carrée qu’il faudra appeler les pompiers pour me calmer et arrêter les dégâts, tu as bien saisi ?

— Oui, dit-elle, n’ayez pas peur…

Elle ouvre une petite porte qui donne dans un réduit.

— Cachez-vous ici !

J’entre dans le réduit, après avoir pris la précaution d’en retirer la clé pour éviter toute surprise désagréable.

Ma mousmée va ouvrir aux bignoles. Illico je respire car elle ne me double pas.

— La police ! s’écrie-t-elle avec une surprise admirablement feinte. Mais que se passe-t-il ?

Une voix animée dit :

— Mande pardon de vous déranger, Madame, vous n’avez rien remarqué d’insolite ?

— Non, fait la greluche, pourquoi ? Il y a du danger ?

Elle rend admirablement l’angoisse, cette tarie… Je l’embrasserais, malgré ses rides et son parfum asphyxiant.

— Nous sommes à la poursuite d’un dangereux gangster américain qui ensanglante Paris depuis trois jours ! explique un autre flicard.

Là, je tique en l’entendant faire mon apologie de cette façon sommaire. La femme de l’armateur ne s’attend pas à un foutra pareil, elle va tomber en digue digue en leur susurrant de cavaler jusqu’au réduit ! Eh bien, faut jamais miser d’avance avec les gonzesses — sans jeu de mots. Celle-ci est tout ce qu’il y a de premier choix pour le bourrage de mou sur flic.

— Un gangster américain ! glapit-elle. Un assassin ! Quelle horreur ! Et mes domestiques qui sont couchés ! Et moi qui fais de l’insomnie ! J’étais justement en train de boire un tilleul… Je n’ose pas rester toute seule ! Je…

Elle joue juste ce qu’il faut. Les bourdilles se disent qu’ils sont tombés sur une grognasse hystéro, et ils n’ont qu’un seul objectif : se tirer les nougats de la panade ; ne pas se laisser agripper par la donzelle.

— N’ayez pas peur, dit le premier. Du moment que vous n’avez rien entendu de suspect, c’est qu’il est allé ailleurs, nous finirons par lui mettre la main dessus, croyez-moi… Vous n’avez qu’à tirer le verrou et si vous avez peur, réveillez vos larbins. Sur ce, bonne nuit…

— Oh ! mais c’est affreux ! insiste la vioque. Affreux, ne me laissez pas toute seule…

— Allez, allez, il n’y a aucun danger !

Ils les mettent. La bonne dame ferme la lourde et vient à moi.

— Ça y est, fait-elle avec un sourire ravi, ils sont partis et ils ne reviendront pas…

Je la regarde, elle me bouffe des yeux, cette tordue ! Elle s’en tamponne que je sois un frère de la côte ou Saint Antoine de Padoue réincarné… Tout ce qu’elle demande, c’est que je lui fasse enfin le grand jeu : au contraire, de savoir que je suis un truand, ça l’excite, elle se dit qu’avec un zig comme moi, elle est plus sûre d’avoir des sensations fortes qu’avec son armateur de mes choses !