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— Parfait, allons-y !

Je comprends un peu pourquoi Centanaro veut me faire pénétrer dans cette partie de la cambuse. Ici, c’est sombre comme l’âme d’un gendarme ; de plus il y a beaucoup moins de trèfle que dans le magasin, une bonne partie des bourres ne nous ayant pas suivis. Je compte mon escorte : à part le magistrat, son assistant et Centa, il ne reste que trois matuches. Les autres sont occupés à refouler les journalistes qui essayent de forcer le barrage. Valzing reprend son interrogatoire.

— Une fois là, qu’avez-vous fait ?

Je ne réponds pas. J’ai des choses plus importantes à faire que de répondre aux questions de cette cloche ! Sissy est agenouillée derrière un tas de vieux pneus, une mitraillette Thomson entre les paluches.

Chapitre IV

Si vous aperceviez un jour le maréchal Staline en train de faire un numéro de main à main sur une corde raide, vous ne seriez pas plus surpris que je ne le suis.

Sissy avec une mitraillette, c’est un spectacle qui vaut le dérangement ! N’importe quel office de tourisme organiserait des services de cars spéciaux pour venir voir ça. Moi qui croyais qu’elle était tout juste bonne à manier un bâton de rouge à lèvres, je n’en reviens pas !

Elle a tout de la Jeanne d’Arc, cette poupée. Avec sûrement quelque chose en plus que Jeanne d’Arc, car vous ne m’ôterez jamais de l’idée que si la french girl avait eu ce châssis et cette allure, jamais les angliches l’auraient passée au four crématoire…

Je ne suis pas le seul à l’apercevoir. Le greffe de Valzing l’a renouchée aussi, en même temps que moi. Il est tellement siphonné qu’il ouvre une bouche par laquelle vous feriez passer un bulldozer. Le juge le regarde, puis regarde dans la même direction que son scribouillard, et alors c’est le cirque ! Il se fout à gueuler tellement fort que le chabanais des usines Ford en plein rendement ne parviendrait pas à couvrir sa voix.

Son meuglement me tire de ma stupeur. Je me dis que le moment de risquer le paquet est arrivé. J’arrache mon pistolet de sous ma manche avant même que le flic qui tient l’autre extrémité de mon cabriolet n’ait le temps de réaliser ce qui se passe. Ma première dragée est pour sa pomme. Je la lui expédie contre remboursement dans le gras de la brioche, juste là où ça fait des crampes lorsqu’on se marre trop fort. Puis je fonce en direction de Sissy.

En trois bonds je suis à ses côtés derrière le tas de pneus. Alors elle met en route son moulin à prières. Ah ! je vous jure, ça vaut de plus en plus le coup d’œil ! La Thomson tressaute dans ses mains et crache épais. À travers l’âcre fumée, j’aperçois le père Valzing qui s’écroule, après s’être ployé en deux comme s’il était monté sur charnière. Puis c’est au tour de son greffier à jouet au tube de vaseline qui se ride.

Centanaro est hors de vue. En voilà un qui n’était pas dans un puits de mine le jour où on a distribué la présence d’esprit.

Il reste encore deux flics sur le terrain. Leurs réflexes les incitent à se tailler à la vitesse d’une soucoupe volante. Ils se ruent par l’étroite porte accédant au bureau, embouteillant l’entrée pour leurs collègues qui radinent à la rescousse. Du gâteau pour un metteur en scène genre B. de Mille…

Je dis à Sissy de passer un coup d’aspirateur dans la lourde. Elle m’obéit. Tirer dans ce paquet d’uniformes est un vrai régal. Je ne peux résister au plaisir de faire un petit carton ! L’odeur de la poudre, c’est un fameux dopping. Sans ma donzelle, parole, je passerais mes vacances à les canarder, ces salauds-là ! Mais elle ne perd pas les pédales, ma môme mitraillette.

— Arrive ! dit-elle.

Elle se met à cavaler à travers l’entrepôt de Little Joly en se repérant comme si elle y avait été élevée. Ce bric-à-brac accumulé paraît ne pas avoir de secrets pour elle.

Au fond du hangar, il y a une petite échelle. Nous l’escaladons à toute pompe. Elle donne sur une plateforme où sont amoncelés des objets fragiles. De l’autre côté de la plateforme se trouve un vantail de bois. Sissy l’ouvre : il donne sur les quais. Un camion de sable est en station exactement sous l’ouverture.

— Sautons ! lance Sissy.

Elle balance sa mitraillette dans le sable et se laisse choir. Ça donne un bath valdingue de quatre mètres. Je l’imite et je ne l’ai pas plus tôt rejointe que le camion s’ébranle.

Tout ce bidule s’est déroulé en moins de temps qu’il n’en faut pour le bonnir. Les matuches doivent en être sur le prose ! Au moment où nous tournons un coin de rue, j’aperçois une tête à visière qui s’insinue par l’ouverture.

— Mes hommages à ta grand-mère ! je crie au bourre.

Il me répond par un coup d’arquebuse qui va se perdre dans le journal d’un passant. Comme le passant est derrière son journal, il chope les toutes dernières nouvelles de l’actualité en plein dans le bureau.

Il s’effondre.

Je gueule « Quinze », parce que c’est un barbu.

Y a de la joie dans l’air, cet après-midi !

* * *

— Va falloir décarrer de là, me dit Sissy. On va arriver à la hauteur de la Soixantième-Est. Faudra sauter, car le camion ne ralentira presque pas. J’ai pas pu trouver un seul mec qui veuille risquer l’aventure pour tirer ton nez de là. C’est tous des foies blancs qui sont heureux de te savoir emballé !

— Mais alors ! je demande, le gars qui pilote ce tank ?

— C’est un vrai ouvrier, parole, qui marne aux Docks ! Je lui ai fait du charme et il a accepté, moyennant cent dollars, de se trouver en stationnement sous l’ouverture au moment où on sautait, puis de démarrer tout de suite après et de passer par la Soixantième Rue. Lui, officiellement, il est au courant de rien. C’est pour cela qu’il ne va pas s’arrêter. Tu y es ?

Elle enjambe le plateau du camion et s’arcboute, puis elle lâche tout et se reçoit assez bien.

Je prends la mitraillette et je saute à mon tour. Le camion, comme délesté d’une surcharge terrible, fait un bond en avant et fonce dans le brouillard. Notre pote le chauffeur a l’air de se prendre pour Nuvolari.

— Vite ! fait Sissy.

On entend en effet, au loin, le mugissement d’une voiture de police.

Probable qu’ils n’étaient pas tous en pâté de foie, les bignolons, et qu’ils ont réagi.

On court à perdre haleine sous les yeux médusés des badauds, jusqu’à une Nash noire, rangée en bordure du trottoir.

— Conduis ! dis-je à Sissy.

En effet, j’ai toujours ma paire de menottes fixée à un poignet.

Ma souris a un bon coup de volant. En un clin d’œil nous avons contourné le bloc, et nous filons à tombeau ouvert en direction du lac.

— Pas si vite, Sissy ! La première voiture de flics venue va nous prendre en chasse. Ça serait vachement tocasson de se faire crever pour excès de vitesse.

Elle lève un peu le pied. Dans le flot de la circulation, je me sens en sécurité. Je respire un bon coup. Il me semble que c’est la première fois que de l’air rend visite à mes poumons.

— Tu as des projets ? je demande…

— On devrait quitter la ville.

— Tu crois ?

— Tu ne penses pas, toi ?

— Pas fameux. Sur une route, il n’y a guère de planques, tu sais…

Elle hausse les épaules.

— Les planques que tu pourras trouver à Chi ne valent pas un pet de lapin. Je te le dis : c’est tous des foireux et des donneurs ! En ce moment la chasse à l’homme s’organise. Après la séance qu’on vient de leur donner, ils passeront la ville au peigne fin, c’est couru.