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— Bon, j’admets, fais à ton idée, après tout, ça n’a pas tellement mal déguillé jusque-là.

Un petit sourire heureux passe sur les lèvres de Sissy. Je me penche sur sa nuque et souffle les cheveux follets qui la couvrent, puis j’embrasse le creux délicat ainsi découvert.

Elle secoue la tête.

— Fais pas ça, chou, dit-elle d’un ton rauque, tu sais bien que ça me donne des idées.

Elle a un petit ricanement et ajoute :

— M’est avis que ça n’est pas le moment.

Ça n’est pas le moment, en effet. Voilà que cette saloperie de sirène, qui avait cessé ses hurlements, reprend de plus belle.

— Tourne à droite !

Elle tourne. Nous nous trouvons dans une avenue rupinos plantée de beaux arbres et bordée de somptueuses demeures. La circulation étant très faible, on va pouvoir s’expliquer.

— Mets un peu de sauce, pour voir.

Je me tourne.

La voiture de flics a viré, elle aussi. Donc, c’est bien à nous qu’elle en a.

— Où as-tu eu cette bagnole ? je questionne.

— T’occupes pas, elle est presque neuve.

— Alors y a pas trente-six méthodes ; on va essayer de leur semer du poivre. Direction cambrousse, chérie.

L’aiguille du compteur se déplace aussi vite que celle d’un pèse-bébé sur lequel vient de grimper un éléphant. En moins de temps qu’il n’en faut pour éplucher un œuf dur, nous sommes à cent dix. Pour la ville, c’est une jolie allure. Ces salauds de flicards ne s’en laissent pas conter. Eux aussi savent enfoncer une tige de métal dans le plancher d’une voiture. Ils nous prennent de la distance, et comment !

— Tu ne peux pas faire mieux ?

— Impossible, dit Sissy, ou alors je vais enchrister la première bagnole qui débouchera !

Puisqu’il n’y a pas de recours dans la fuite, mieux vaut employer un autre système : aux grands maux les grands remèdes.

J’enjambe le dossier de la banquette et je m’agenouille sur le siège arrière. D’un coup de crosse, je brise la vitre du fond et je passe le museau de la Thomson par l’ouverture. Mais les bourres ont déjà compris et ils sont les premiers à ouvrir le bal.

Les balles crépitent comme des grêlons sur la carrosserie de la Nash.

Je riposte par une courte rafale qui démolit leur pare-brise.

Je les vois distinctement, maintenant, ces veaux !

Ils sont quatre, plus le chauffeur. Ils ont décidé de m’avoir coûte que coûte, et plutôt mort que vif, car ce qu’ils me balancent comme dragées remplirait un train complet de wagonnets. Je me dis qu’avec une pareille averse de plomb, jamais notre bagnole ne tiendra le coup, et qu’il faut enrayer les dégâts presto.

Je baisse le canon de la mitraillette et j’arrose le devant de leur calèche. Par bonheur je réussis à toucher les pneus. Leur bagnole décrit de dangereux zigzags, puis s’immobilise.

— Hurrah !

J’essuie d’un revers de manche la sueur qui me ruisselle sur le front.

— Tu as vu comment je les ai eus, ces fumiers ? je dis à Sissy.

Non, elle n’a pas vu. Elle ne verra jamais plus rien. Une balle lui est entrée dans le bocal, justement par le petit creux douillet que j’embrassais tout à l’heure, et sa cervelle a déménagé pour s’installer sur ses genoux. Elle est crispée à son volant, et c’est pour cela que nous continuons de foncer droit devant nous à plus de cent à l’heure, pareils à une torpille. J’en ai la gorge sèche et mon cœur s’arrête de battre. Je vais pour me précipiter sur le volant, mais un cahot fait basculer le cadavre de Sissy. La Nash décrit une embardée formidable, ralentit et fonce dans une clôture.

Avant le choc, j’ai le temps de penser : « C’est une barrière de bois ! »

La secousse n’est pas racontable. C’est la fin des fins ! Un Hiroshima en miniature ! J’ai l’impression que je vais cracher mon foie et que mes jambes ont pénétré dans mon corps, comme le pied à coulisse de certains appareils photographiques. Un feu d’artifice se déclenche sous mon couvercle. Puis, j’essaie de remuer, et j’ai la surprise de constater que c’est du domaine des choses possibles. Le heurt terrible a ouvert la portière de droite. Je dégage par cette issue. Je vois des gens qui accourent, flics en tête. Alors je décide que c’est vraiment, une fois de plus, le moment de faire quelque chose. Comme il ne m’est pas possible de filer par l’avenue noire de populo, je me mets à trotter sur la pelouse où notre carriole a atterri.

Je constate que je foule une propriété de grand luxe. C’est le toutime avec piscine illuminée, golf miniature et perspective de feuillage. Il y a des jardins à l’anglaise, à la française, à l’italienne, et peut-être que j’en découvrirais un à l’américaine, si j’avais le temps de faire le tour du propriétaire. Des cris me talonnent ! Une vraie meute me cavale au panier ! Vous parlez d’une corrida !

J’ai deux jambes et je le déplore ; mon rêve, en ce moment, ce serait d’être mille-pattes. En tout cas, j’utilise mon attribution de guiboles comme aucun bipède ne le fera jamais.

Le vent de ma course emplit mon crâne d’une rumeur confuse. Je cours avec toute ma vie, avec tout mon être. Courir paraît être ma raison sociale. Le malheur, lorsqu’on se déplace, c’est qu’on finit toujours par atteindre quelque chose. Et le quelque chose qui se dresse devant moi n’est autre qu’un mur. C’est l’obstacle le plus décourageant pour un fuyard, surtout lorsqu’il mesure quatre mètres de haut !

Je me retourne : les flics sont à moins de trente mètres et, tout en cavalant, sortent leur artillerie des grands jours.

L’endroit où je me trouve forme un cul-de-sac. Si au moins j’avais encore la mitraillette ! Elle ne me permettrait sans doute pas de tenir un siège, mais du moins aurais-je la satisfaction de leur faire payer ma peau le prix qu’elle vaut, d’après une estimation personnelle.

Au lieu de ça, je vais me faire avoir comme un rat, dans ce renfoncement. Je m’insurge. Faut dire que toute ma garce de vie je n’ai fait que ça : m’insurger !

Je mets la main à ma poche et je sens quelque chose de dur. C’est le pistolet que j’y ai remisé tout à l’heure, pour grimper à l’échelle dans l’entrepôt de Little Joly. Je le sors et le braque en direction de mes poursuivants. Celui qui est le plus près de moi est large comme l’entrée de Prisunic ; lui coller une fève est un exercice pour débutant. Il la ramasse dans le cou et culbute comme un lapin en vomissant son sang de goret.

— Et d’un ! je fais.

Ce sera le seul, car mon feu est vide. Il n’y a que dans les bouquins à dix cents qu’on peut abattre un régiment de cavalerie sans jamais recharger son arme. Mon ultime mitraillage a stoppé l’ardeur de la meute. Il reste trois flics en course. Ces fumelards s’immobilisent et me couchent en joue.

Je dis un good bye général au monde et je m’apprête à m’envoler chez Saint Pierre lorsque mes yeux tombent sur une espèce de canal minuscule qui passe sous le mur. C’est un conduit large de cinquante centimètres environ, par lequel les jardiniers de la propriété doivent évacuer la flotte de la piscine. Au moment où je me jette dedans, ça crache épais en face. Les balles passent en escadrille au-dessus de ma trombine puis se mettent à faire voler des mottes de terre tout autour de ma petite personne. Il s’en est fallu d’un millionième de seconde que j’intercepte cette gracieuse décharge.

De lièvre que j’étais, me voilà transformé en couleuvre. Je me faufile dans le conduit et m’insère dans l’épaisseur du mur. S’agit sûrement de la muraille de Chine, car ça n’en finit pas. Je comprends alors que le petit canal à partir du mur n’est plus à l’air libre, mais se transforme en canalisation ordinaire. De fait, le conduit s’arrondit. Je rampe aussi vite que je peux, en me disant que si les matuches ont le temps de se rancarder sur l’issue de cette canalisation, je vais être enfumé là-dedans comme un renard dans son trou.