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Il chantonne : « Non, non, non » en reniflant la morve qui lui coule du tarin.

— Ferme ça ! Un peu de dignité, quoi !

Je lui appuie le canon de mon feu dans le creux de l’estomac. Il l’attrape à deux mains, mais dans sa position il ne peut pas le repousser.

— T’excite pas, chéri ! Je vais te coller un petit calmant.

À ce moment, la porte s’ouvre. Sissy paraît.

— Dis, amour, murmure-t-elle de sa voix grave qui m’émeut toujours, on s’en va ?

— Tout de suite, ma colombe !

Je presse la gâchette. La détonation est un peu assourdie, parce que le canon du revolver était plongé dans la brioche du pote ouistiti… Ses mains s’ouvrent. Sa bouche s’ouvre. Un « Aâââh » qui ressemble à de l’extase s’en échappe. Ses yeux deviennent grands comme ceux des greffiers, la nuit.

— Et alors, me demande Sissy, si tu veux sa photo ?

Je lâche encore deux pruneaux dans les tripes du petit tocard et je le laisse. C’est le cuistaud de Rilley qui va en faire une bougie, lorsqu’il découvrira le macchab !

Comme poisson d’avril, c’est chouïa !

Sissy ne me demande pas d’explications. Elle me connaît ; elle sait que lorsque quelque chose me préoccupe, il vaut mieux ne pas attirer mon attention.

— Je te mets à la maison, lui dis-je au bout d’un moment. J’irai me relinger demain, j’ai du boulot…

Une fois débarrassé de la poupée, je mets le cap sur « Le Palais de la brocante », la boîte de Little Joly. Voilà une vieille fiote à qui je vais réclamer pour dix cents d’explications.

Je pousse la lourde de son estanco. Sa baraque se compose d’un magasin poussiéreux, empli de bibelots ignobles, et d’un immense hangar où il remise les saloperies que l’esprit inventif de l’homme a enfantées… Par exemple, personne n’a jamais su où il remisait le jonc et la verroterie.

Le magasin est mal éclairé, comme toujours. Joly est le plus bath échantillon de hibou que j’aie rencontré.

Il n’est pas dans sa crémerie.

Je fais quelques pas et je gueule :

— Hello, Joly…

Rien. C’est pourtant pas son genre, à ce tordu, de se barrer en laissant le bec de cane.

Au fond du magasin se trouve un immense bureau ministre fortement égratigné, et taché d’encre. Je m’en approche et alors j’ai la surprise d’apercevoir, dépassant sur la gauche du meuble, un soulier ; et je connais le propriétaire de cette godasse. Il n’y a en effet que Little Joly qui puisse introduire ses nougats de fausse-gonzesse dans des tartines aussi effilées.

Un pas de plus et je le découvre en entier. Il est couché derrière son cher bureau, aussi mort que la grand-mère de l’arrière-grand-tante du président Truman. On lui a mis une dragée dans l’oreille, en guise de boule Quiès. Avec ça, on ne craint plus d’attraper les grippes saisonnières.

Je me penche sur le cadavre. Il est raide comme la justice. Probable qu’on lui a offert son ticket d’appel dans le courant de la nuit.

Tout ça me paraît aussi clair que le nombril de Father divine.

Mon petit doigt, qui ne manque pas d’astuce et qui est dessalé comme point, me bonnit que Little Joly se foutait comme d’un vieux pansement de mon emploi du temps d’aujourd’hui. Le mec ouistiti m’a dit qu’il n’avait pas l’air dans son assiette ; probable que l’antiquaire agissait sur commande ; probable, même, que le feu qui lui a débouché les étiquettes n’était pas loin de son local tandis qu’il passait les consignes à l’eczémateux. Je donnerais la culotte de Dorothy Lamour pour comprendre ce que signifie ce micmac. Tout ce que je sais c’est qu’un danger me menace. Cette histoire ne présage rien de bon pour ma jolie frimousse.

Je me dis que j’ai agi bien légèrement en rappliquant tout droit chez le père La Pédale. Je me dis que quelqu’un avait prévu cette réaction de ma part… Je me dis…

Je me dis un tas de trucs, dont le plus important pour l’instant est que je dois me faire la paire dare-dare, et trouver un coin tranquille pour réfléchir.

Je me dirige vers la sortie et je ne peux réprimer un haut-le-corps. La rue, tranquille d’ordinaire, est pleine de flics. Un vrai cauchemar ! Je pousse un juron monumental.

Vivement je me jette en arrière et je fonce sur la porte de l’entrepôt. L’entrepôt est également bourré de matuches. Se laisser fabriquer de cette façon ! J’en chialerais…

Un type se met à jacter dans un porte-voix.

— Pas de résistance, l’Ange, vous êtes pris. Si vous tentez de résister, nous vous abattons comme un chien. Levez les bras !

Mon subconscient qui est un vieux pote à moi (et de bon conseil) me dit : Fais ce qu’on te demande, petit. Manie-toi, car dans deux secondes il sera trop tard… Ces vaches-là n’attendent qu’un prétexte pour te dessouder.

Je lève les mains.

— Ça va, les gars, je me rends !

À peine mes pognes ont-elles dépassé le niveau de mes épaules que c’est la ruée. Une marée de bourdilles me submerge.

Je suis tarabusté, fouillé… Deux bracelets se ferment sur mes poignets. Puis il se produit comme un temps mort. Nous mettons quelques secondes à réaliser ; eux qu’ils m’ont sauté et moi que je suis fait. Depuis longtemps, nous estimions, les uns et les autres, que la chose n’était pas possible ! Et voilà qu’elle s’est accomplie en un temps record, sans que j’aie eu le temps de dire ouf !

Ces vaches de journaleux vont avoir de quoi tartiner ! Et tous les mecs à la redresse du milieu vont ricaner. « L’Ange Noir » emballé, comme le premier petit truqueur venu ! De quoi se marrer, vraiment. Et, faites-leur confiance, ils se gondolent, ces fumiers…

Un officier de police s’avance vers moi.

— L’Ange, dit-il d’un ton étudié. Au nom de la loi, je vous arrête sous l’inculpation de meurtre.

— Le meurtre de qui ? fais-je, du pape ?

— Celui de Samuel Joly, dit Little Joly, fait-il en désignant le cadavre… Pour commencer, bien entendu ; car nous aurons une jolie liste de décès à verser à votre débit.

Je m’emporte.

— Je n’ai pas tué Joly, et vous le savez bien ! Il est froid comme une banquise, le vieux pédé. On l’a assassiné pendant la nuit. Et pour cette nuit, j’ai un alibi en fonte renforcée.

— Sans blague !

— Vous pourrez vérifier…

— C’est ça, mon garçon, nous vérifierons.

Il fait signe à ses bulldogs de m’emballer.

Décidément, l’enfant se présente mal.

Chapitre II

Centanaro… Je ne sais pas si vous avez déjà vu sa bouille dans la presse ? C’est l’avocat le plus démerdard qui se soit jamais présenté devant un jury. Il est malin comme une guenon et si le sens moral était un machin concret, on n’en trouverait pas suffisamment en lui pour remplir une dent creuse.

À le voir, il ressemble à un bon gros commerçant enrichi dans les comestibles. C’est un gnace d’une tonne et demie, gras comme un pain de saindoux, jovial, avec des petits yeux perdus dans la graisse, et qu’on a envie de lui arracher avec un crochet à bottines.

Il entre dans ma cellule, les mains dans ses poches. C’est pas du tout le genre homme de loi.

Vous ne lui verrez jamais un dossier dans les paluches. Tout est dans son gros crâne, dûment classé et annoté.

Il s’arrête un bref instant dans l’encadrement de la lourde, les sourcils joints par la contrariété.

— Hello ! je lui lance gaiement.

Il entre, ferme la porte d’un coup de talon et me répond « Hello » d’un ton lugubre.