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En attendant, le mieux que j’ai à faire c’est de me laisser vivre.

Ma cellule est climatisée. Elle comprend une lucarne moins grande que ma main, mais suffisante pour que je découvre un morceau de printemps tout bleu. Ce qu’il doit faire bath dehors ! Je me mets à rêver de tous les coins champêtres où j’ai traîné mes fesses. Je me croyais pas si bucolique. P’t’être que ça vient du foie ?

Seulement, pour le renifler à son aise, le printemps, faut être dehors. Et pour être dehors, il faut renverser ces grilles et ces murs… Je me sens découragé… Ça ne dure pas, heureusement.

Voyons, sur qui puis-je compter, maintenant ? Bien entendu, des potes, j’en avais avant d’être sauté par les flics. Tout le monde en a. Mais quand on les passe en revue depuis une cellule du quartier de haute surveillance, on convient vite que les copains, c’est comme les artichauts : ça fait un drôle de déchet lorsqu’on pense les utiliser.

Sissy ? D’abord, je crois pas aux femelles. Avec elles ça n’est jamais qu’une question de peau. Et la peau, croyez-moi : y a rien de plus fragile. C’est un technicien qui vous cause !

Tant que vous leur faites la brouette chinoise et le truc du sifflet dans la tirelire, elles sont prêtes à donner leur slip pour vous. Mais si vous cessez la séance, pour une raison ou pour une autre, elles vous laissent choir comme le manche de bois d’un esquimau.

En admettant que Sissy soit décidée à me donner un coup de main, elle est trop futile pour agir avec quelque efficacité. Sissy, c’est la poule de luxe : manucure et soins de beauté. Diams à tous les étages. Une certaine jugeote, pas mal de sang-froid, mais une sorte de paresse chronique qui l’empêche de se baisser pour ramasser un billet de dix dollars.

Pour le dodo, elle est champion. Elle connaît des trucs qui flanqueraient de la virilité à la momie de Ramsès II ; le plume, c’est sa raison sociale. Alors, à quoi bon lui réclamer un autre turf ? Moi je suis pour l’organisation du boulot.

Qui, en ce cas ?

Ce qui a fait ma force, jusqu’à présent, ç’a été de boulonner seul. La méthode des bandes organisées m’a toujours répugné. J’ai pas l’esprit d’équipe. Ce système offre des avantages certains ; aujourd’hui, je découvre mélancoliquement qu’il présente également de graves inconvénients car, si vous êtes seul dans les bons moments, vous êtes seul aussi dans les coups durs…

Tous les caïds que je fréquente sont des pourris dans le genre de Bessman. Des salopes qui doivent faire brûler des cierges pour remercier le ciel de ma capture, qui dégage un peu leur circuit.

J’en suis là de mes décevantes réflexions lorsque deux gardiens, format armoire ancienne, viennent me chercher pour me conduire chez le juge d’instruction.

Bien que, pour s’y rendre, on n’ait pas à quitter les bâtiments, ces vaches-là me refilent une paire de bracelets. La consigne doit être sévère à mon sujet. Ça m’excite.

Le quartier des juges est à gauche de la prison. On sort de la forteresse principale, on traverse une cour et on pénètre dans des locaux moins rébarbatifs. Il y a une chiée de couloirs, puis c’est le burelingue du juge qui s’occupera de mon dossier. Le mec s’appelle Valzing, c’est écrit sur sa porte. Il est assis à son bureau. Il est grand, chauve comme un pain de mie, et il y a dans ses yeux glauques autant de cordialité que dans ceux d’une vipère.

Devant une machine à écrire se trouve un greffier athlétique et, au fond, effondré dans un immense fauteuil, j’aperçois Centanaro, ruisselant de sueur.

Le juge me désigne un siège. Je l’accepte. Mes gardes du corps m’ôtent mes menottes et vont s’asseoir de chaque côté de la porte.

— Commençons par le commencement, fait Valzing. Interrogatoire d’identité. Vous vous appelez comment ?

— L’Ange Noir.

— Ceci est votre pseudonyme. Je vous demande votre nom véritable.

— Christof.

— Christof comment ?

— Non, Christof Colomb.

Le juge lève la tête et me fixe d’un air impitoyable. Puis il se tourne vers Centanaro.

— Voulez-vous expliquer à votre client que ses plaisanteries de barman ne sont pas de mise ici.

Centanaro me fait, d’un ton rigolard, un petit speech maison.

Quand il la boucle, le juge me somme de décliner ma véritable identité. Je lui réponds qu’il peut aller se faire cuire un œuf en attendant, et je pars dans des considérations pertinentes sur l’incurie d’une police qui n’est pas foutue de dégauchir l’identité des gens qu’elle arrête sans motifs plausibles.

— Sans motifs ! s’exclame Valzing. Voilà une affirmation bien hardie.

Il s’empare d’une règle, et la tourne dans ses doigts comme s’il rêvait d’en user les arêtes.

— Avant que d’aller plus loin, je tiens à vous prévenir qu’il est inutile de nier en bloc. J’ai à ma disposition un témoin capital.

— Ah, oui ? Vous m’étonnez…

Le juge fait signe à l’huissier. Ce dernier sort et revient un instant après, flanqué de Sissy.

J’ai beau n’avoir aucune illusion quant aux gerces, de voir cette poule à qui j’ai fait connaître pendant plus de six mois la vie de château accourir pour me baver dessus, cela m’ulcère passablement.

— Asseyez-vous, miss Mennberg…

Elle regarde les sièges disponibles et choisit un fauteuil. Elle s’installe avec cette science qui fait partie de ses charmes.

— Miss Mennberg, reprend le juge. Vous avez demandé à me voir car, m’avez-vous dit, vous désiriez témoigner contre cet homme.

— C’est exact.

— Où était votre mari, la nuit précédente, mettons, euh…, entre minuit et une heure ?

— Il m’a quittée pour aller chez Little Joly, assure-t-elle avec une telle conviction que j’en suis presque ébranlé.

Le juge se tourne vers moi.

— Qu’avez-vous à répondre ?

J’hausse les épaules.

— Que les souris ont un sacré culot.

Je regarde Sissy.

— Alors, miss Judas, on se lance dans le roman policier, à c’t’heure ?

Elle ne bronche pas. Ses lèvres s’arrondissent en une moue suppliante.

— Voyons, chéri, fait-elle. Dans ta situation, il vaut mieux dire la vérité, tu ne crois pas ?

Est-ce un effet de mon imagination ? J’ai l’impression qu’en me disant cela elle m’a lancé un petit clin d’œil. Je me tourne vers Centanaro. Il reste imperturbable.

— Qu’est-ce que tu dis de ça, cher maître ? je lui demande. Ah ! les gonzesses !

Il me regarde bien gentiment.

— Mieux vaut dire la vérité, l’Ange. On y gagne toujours en fin de compte.

— Ça, alors…

Je me dis qu’il se passe quelque chose.

— Patron, dis-je brusquement, je vous demande de bien vouloir remettre mon interrogatoire à demain, j’ai besoin de réfléchir.

— Je m’associe à cette requête, murmure Centanaro ; la nuit porte conseil, dit-on…

— Fort bien, coupe le magistrat.

Il fait claquer ses doigts noueux…

— Gardes, emmenez le prisonnier dans sa cellule.

Je commence à prendre l’habitude de la détention car, automatiquement, je tends mes poignets aux armoires.

Je me lève après un dernier regard à Sissy. Elle m’adresse un sourire ensorceleur.

— Courage, chéri.

J’hausse les épaules et je sors.

Me revoilà dans ma petite carrée. La vie a un drôle de goût aujourd’hui. Décidément, la grande taule ne vaut rien, car j’ai l’impression de devenir ramolli de la tronche. Que signifie l’attitude de Sissy ? Elle le sait bien, cette conne, que je suis pas allé chez Little Joly l’autre nuit. Elle le sait puisque nous ne nous sommes pas quittés une seconde et qu’on s’est blindés au champe. Alors ? Pourquoi agit-elle comme la dernière des fumelardes ?