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Deux autres matuches me barrent la route. Faut croire que les condés c’est comme les escargots : ça marche par deux !

J’appuie mon flingue sur la tunique de l’un et je dis à l’autre :

— Si tu remues le petit doigt je perfore ton ami Julot !

Il s’immobilise… Alors je lui balance un coup de pompe à l’endroit où, s’il est un homme, ça doit se voir…

Le mec tombe, vert comme une laitue.

Un coup de tête dans les gencives de l’autre…

Des gens qui passent se foutent à courir et à hurler… Moi je joue la décarrade…

Je ne prends nulle attention aux coups de gueule de ces messieurs. S’il fallait faire gaffe à tout ça ! Tout ce que je sais c’est que, pendant une bonne heure ils ne pourront pas me trotter après autrement qu’à pinces, car il leur faut le temps de dégager la camionnette, et aussi qu’à cause des gens qui passent ils ne peuvent décemment me mitrailler, car ça risquerait de faire faire des heures supplémentaires aux croquemorts de Paris.

Je file… La Seine est là, à droite et à gauche… Je tourne à gauche et j’arrive juste à une station de taxis. Je grimpe dans l’un d’eux.

— Où allons-nous ? me demande un type aux sourcils épais comme des brosses à dents.

— Ailleurs ! je lui réponds en lui installant ma pétoire sous le nez… Et qu’on y aille en vitesse, tout est là…

Comme il part, un flic saute sur le marchepied. Je tourne la manette de la portière et je flanque un sérieux coup d’épaule.

Le bourdille prend la portière dans le paysage, il lâche tout et bascule sur la chaussée au moment pile où radine une voiture de livraison. J’entends un craquement sec. C’est son crâne qui éclate exactement comme une coquille de noix sous la patte d’un éléphant.

Les cris redoublent, la circulation se coagule derrière nous. Très bien, cet incident, ça distraira un peu les copains du mec ! Il se prenait pour un corsaire de légende, ce gars-là, ma parole !

Si on les laissait faire, ces porteurs de képis, ils finiraient vite par se prendre pour Jean Bart ou je ne sais pas qui !

Non mais…

Mon chauffeur a les flubes…

— Plus vite ! je lui dis.

— Oui, oui, fait-il, terrorisé.

Ses chocottes jouent aux castagnettes. On dirait la Carmencita !

— Tu vas fausser ton dentier, Toto, je lui dis. Mords ta langue que j’entende plus ce bruit idiot !

— Bien, Monsieur…

— Et mets la sauce… Je te promets, si les flics nous rattrapent, une gentille praline derrière le dôme, ça te fera sauter le couvercle…

Il chiale en écrasant son champignon.

— Mais, M’sieur… Je vous ai rien fait !

Je me bidonne franchement.

— Où qu’il est allé à l’école, cézigue ! S’il fallait nettoyer que les mecs qui vous ont fait quelque chose, la vie deviendrait plutôt monotone… Non, poulet joli, tu ne m’as rien fait… Mais ça ne veut rien dire, tu sais… Si les flics me bichent, tu m’auras fait que tu auras manqué de vitesse et c’est un genre de truc que je ne pardonne pas.

Pour le moment, pas besoin de lui cravacher la gueule, il bombe ! Nous suivons les quais… Nous passons dans un bref souterrain qui évite l’engorgement d’un pont… Ça continue à pleine sauce.

Je reconnais au passage le Louvre, de l’autre côté de la Seine, puis, à gauche, la Chambre des députés… Lorsque je rêvais à tous ces monuments, je ne pensais pas que je les apercevrais en un éclair, avec les boutonnés à la rondelle !

La circulation se fait moins dense.

Je bigle le tableau de bord du taxi et je constate avec horreur qu’il n’a presque plus de tisane dans son réservoir. L’aiguille de l’essence est presque à zéro. Donc, ses possibilités sont limitées.

Que faire ?

Je regarde par la vitre arrière… Je ne vois rien.

Il faut absolument que je profite de ce calme relatif pour me garer… On arrive à la hauteur de la tour Eiffel.

— Écoute, Toto, je lui fais, j’aperçois une station de taxis. Je vais changer de bolide, en prendre un plus véloce que ta raclure… Tu vas me descendre ici et filer comme un dératé sans t’arrêter… Je te dépasserai avec ton remplaçant et si je vois que tu es arrêté, je te télégraphie une valda dans la panse, vu ?

— Oui, oui, Monsieur, affirme-t-il.

Il est heureux comme un pape, de s’en tirer à si bon compte !

Il me largue et démarre. Je le regarde disparaître. L’endroit est tranquille, des touristes avec des appareils photographiques mitraillent la tour Eiffel. C’est un trait lumineux dans ma cale.

La tour Eiffel !

C’est un des coins de Paris où un type ayant l’accent amerlock ne risque pas de se faire remarquer.

Le hasard fait bien les choses !

Monsieur Eiffel aussi !

Chapitre XVIII

J’assure mes arrières

Je vais à pas lents jusqu’à un pied de la Tour où les gens font la queue. Avec quel plaisir je m’y incorpore, mes aïeux ! C’est rudement bon de se sentir au milieu d’innocents pèlerins lorsqu’on est un homme traqué… La Tour est un coin idéal pour se planquer, et le dernier endroit où un flic viendra vous chercher…

Je prends un jeton pour le dernier étage et je suis le flot dans l’immense ascenseur.

Tandis qu’il se hisse lentement vers le ciel, je constate que Paris devient plus petit. J’ai la réconfortante impression de le dominer, de le vaincre… Des voitures de police passent en cornant…

L’Ange Noir ! Ils savent maintenant que c’est de moi qu’il s’agit. Mais je m’en fous ! L’Ange s’envole…

Personne ne me remarque… Tout le monde est trop occupé à bigler les horizons… Pour la première fois depuis mon arrivée, j’ai un moment de vraie détente.

Je visite l’édifice en détail et je me laisse aller à oublier ma situation précaire.

C’est bath de se dégager des contingences…

Les Parisiens qui font bien les choses et qui pensent à la gueule en toutes circonstances ont aménagé un chouette restaurant au premier étage de la construction. Cela me rappelle que mon estomac crie famine.

Je pénètre dans la turne et je me colle dans un petit coin tranquille. La lecture d’un menu en France est une chose très émouvante pour un type qui a la dent.

Comme je n’ai rien de mieux à rouler, je me commande un tas de trucs soi-soi avec du picrate de première…

Voilà une façon agréable de passer le temps !

* * *

Il fait grand nuit lorsque je descends de mon formidable perchoir. C’est maintenant que ça va devenir coton. Les bourdilles ont un auxiliaire de première qualité : la nuit.

Ils savent que la nuit les rues se vident, que tout le monde a besoin d’un toit, et c’est ce qui fait leur force.

Les toits dont disposent les truands traqués sont des toits d’hôtels ou de meublés ; c’est-à-dire des toits contrôlés par la flicaillerie…

Qu’est-ce que je peux bien faire, sachant que les hôtels, les garnis, les gares, les aéroports me sont interdits ?

C’est une question duraille à résoudre… Passer la nuit ? Marcher, rester dans des bars ? La nuit est pourrie de bourdilles… C’est plein d’indics et de poulets, partout !

Il ne me reste qu’une solution : utiliser mon physique avantageux pour séduire une greluche qui m’emmènera pieuter chez elle.

On m’a beaucoup parlé du bois de Boulogne dont j’ai aperçu la lisière l’autre soir, en allant chez Masset. Il paraît qu’il y a dans ce bois plein de gerces qui veulent se faire bouillaver et de mectons qui chassent la gonzesse. Je trouverai peut-être chaussure à mon pied.