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— Très, fais-je.

Je fronce les sourcils. À quelques centaines de mètres à vol d’oiseau, j’aperçois les dents de scie d’une usine.

Par-dessus ces toits découpés, il y a une enseigne immense, en lettres de néon rouge.

Je lis : « CONSERVES MASSET »…

Vous pouvez pas savoir l’effet que ça me produit.

Vous ne trouvez pas que c’est un peu farce de venir crécher tout à côté de l’usine du Masset ?…

Le hasard est marrant. Au cours de ma vie aventureuse, j’ai appris qu’il ne fallait jamais le prendre pour des clopes… Si le hasard frappe à votre porte c’est qu’il a quelque chose à vous dire, moi je démordrai jamais de ça…

Il y a dans notre putain d’existence une espèce d’harmonie qui fait que rien n’est inutile ou fortuit. Tout a une signification. Si, ce soir, je suis venu dans le bois de Boulogne pour faire un levage, si, dans l’immensité du bois, j’ai rambiné une vioque créchant près des Conserves Masset, c’est que le hasard a une idée de derrière la tête…

Je regarde attentivement l’usine et j’avise, un peu en retrait, un petit bâtiment vitré qui doit être celui des bureaux. Il y a du feu à l’intérieur de ce bâtiment, ce qui, à cette heure de la nuit, est assez insolite…

Qu’est-ce que ça veut dire, ça ?

Il ne fait pas équipe de nuit, Masset ? Et puis, lorsqu’une usine fait équipe de nuit, ce sont les ouvriers qui grattent, pas les zouaves des burlingues !

— Qu’est-ce que tu regardes ? me demande la souris qui veut brusquer les choses.

— La nuit, je réponds… Écoutez, mon âme, j’ai trop biberonné, il faut que j’aille me dégourdir un peu les jambes.

Elle paraît consternée du haut en bas.

— Je supporte mal la boisson, dis-je. Pour que je puisse passer une bonne nuit, faut que je me remette en état…

— Vous n’allez pas revenir, boude-t-elle.

Je la prends par la taille et, de mon autre main, je lui fourrage l’avant-scène.

— Pouvez-vous en douter ? je demande avec ma voix calibre Tyrone Power amélioré Gary Cooper… Au contraire, c’est pour savourer l’ivresse d’une nuit merveilleuse que je veux rentrer en possession de tous mes moyens !

— C’est vrai ?

L’espoir lui revient comme une mouche revient sur une tartine de miel.

— Ne vous dérangez pas, je fais. J’en ai pour une petite demi-heure au maximum. Du reste, je laisse la porte ouverte…

Chapitre XX

Discussion à cœur ouvert

Il ne me faut pas de boussole pour retrouver l’usine. Le Masset, il est vachement fier de son blaze because il le fait peindre sur toutes les faces de son usine.

Le lieu est peu passant. Je me mets à longer les bâtiments. Je contourne une rue, et je me trouve devant une petite porte de fer… Cette lourde ne comporte pas de loquet, mais elle est munie d’une serrure et une serrure ne m’a jamais gêné dans mes promenades.

Je sors un petit truc pointu de ma fouille et j’ai une conversation sérieuse avec ladite serrure.

Ça boume, elle est à moi… Je pousse la lourde avec l’épaule et elle s’ouvre docilement.

J’entre alors dans une vaste salle où se trouve une énorme turbine. Il fait, ici, un froid de canard. La turbine produit du courant, elle fonctionne présentement.

Pourquoi l’usine a-t-elle besoin de courant cette nuit, puisque personne n’y marne ?

Alors je réfléchis que c’est une usine de conserves et que, dans les conserves, il y a la catégorie bidoche, et que la bidoche plus que le reste a besoin de froid pour tenir le coup avant sa mise en boîte.

Ce courant actionne les chambres frigorifiques de l’entreprise. Je quitte cette salle et je me propulse dans une vaste cour au fond de laquelle s’érigent des hangars à vélos. Sur la droite, je repère le bâtiment vitré qui est illuminé comme les salons de la préfecture un soir de grand bal.

Cette partie de la boîte est située au premier étage. Pour y accéder, il faut emprunter un escalier de fer construit en additif sur la façade.

Je m’annonce, prenant grand soin de ne pas faire frémir les marches métalliques. S’agit pas de déclencher un nouveau badaboum. J’en ai ma claque de jouer à la poursuite infernale ; ça allait dans le cinéma de mon quartier quand j’étais mouflet…

Mais je sais me faire aussi silencieux qu’un chat lorsque j’entreprends une petite reconnaissance. J’y vais tout ce qu’il y a de mollo… Mon ectoplasme ne ferait pas davantage de bruit. Bientôt je peux hisser ma tasse à la hauteur du vitrage. Je plonge un regard aigu comme un passe-laine dans l’aquarium et je renouche un mec en train de farfouiller dans un coffre-fort. Ce zouave n’a rien du monte-en-l’air. Et puis il n’a pas non plus la façon d’opérer d’un casseur. Non, il est bien fringué et il agit en toute tranquillité, avec la lumière abondante…

Profitant de ce qu’il accorde toute son attention à des papelards, j’empoigne le loquet de la porte et je le tourne doucement.

Lorsqu’il s’est actionné, je prends mon crachoir et je pousse la porte brutalement.

Le mec sursaute et se redresse.

— Du calme ! je dis en refermant la porte.

Il y a des rideaux roulants devant les verrières. Je les actionne afin que, de l’extérieur, on ne puisse suivre nos faits et gestes.

Le type me fixe d’un air assez effaré. C’est un homme d’une cinquantaine de berges, un peu empâté, avec des yeux bleuâtres et une mâchoire lourde.

— Qui êtes-vous ? me demande-t-il.

— Minute, je fais, c’est moi qui tiens la seringue, donc c’est moi qui pose les questions.

Je rigole.

— Ce sera la même : qui êtes-vous ?

Il hausse les épaules…

— Je n’ai pas à discuter avec un voleur, prenez ce que vous voudrez et partez…

— Mettons que j’aie envie de votre portefeuille ?

Il le tire de sa poche si brusquement que j’en suis surpris. Ç’aurait été une sulfateuse, j’aurais à peine eu le temps de le flinguer…

Il me lance le portefeuille. Celui-ci est bien garni. Mais ça n’est pas le blé qui m’intéresse.

Je bigle les papelards qu’il contient.

— Par exemple, je fais, vous êtes M. Masset soi-même ! Fichtre, j’avais une telle envie de faire votre connaissance…

— Vous êtes l’Ange Noir ?

— Ça se voit, non ?

Il hausse les épaules, mais il a une légère contraction des paupières qui trahit sa nervosité…

— Que me voulez-vous ?…

— Ne commençons pas par la fin, mon bon Monsieur, soyons logique au contraire… Vous n’avez pas l’impression que nous avons un tas de choses à nous dire ?

Il me traite par le mépris, en grand seigneur outragé. Il a tort. J’ai déjà dû vous dire que les types qui me prennent pour un cave le regrettent toujours à un certain moment de leur existence.

— Écoutez-moi bien, Masset, vous avez tort de jouer les écœurés. C’est une attitude qui m’a toujours poussé vers les excès ; et quand un type comme moi se met à faire des excès, on ne sait jamais jusqu’où il va… Vous comprenez ? Hein, Masset ? Vous comprenez ?

Je m’approche de lui et je lui mets un coup de genou dans les accessoires. Il blêmit et contient à grand-peine un besoin de hurler…

— Vous voyez, Masset, que nous ne sommes que des hommes, alors à quoi bon jouer les fiers-à-bras ? Vous allez répondre à mes questions sans quoi je vous liquide illico. Je suis nerveux et incapable de me raisonner lorsque je me fous en rogne. De plus, dans le genre téméraire on ne fait pas mieux que moi. La preuve : j’ai toutes les polices possibles et imaginables au panier et pourtant je viens dans votre propre usine faire mon petit cinéma, c’est tout dire… Bon, je commence : qui est Sophie ? Ou plutôt qui était Sophie ?