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Il me regarde d’un air ahuri.

— Quelle Sophie ? demande-t-il.

Sa surprise, si elle n’est pas sincère, est mieux jouée qu’à la Comédie-Française…

Je vais pour lui décocher un second coup de tatane, mais je me dis qu’après tout, Sophie n’était peut-être pas le nom de cette gerce ; elle m’a suffisamment pigeonné pour ne pas m’avoir également doublé sur son identité…

— Sophie, reprends-je, est la jeune personne qui s’est fait flinguer dans votre propriété de Mézy, mon bon Monsieur…

— La fille que vous avez assassinée en même temps que mon second domestique, renchérit-il.

— Je n’ai pas tué cette fille et vous le savez très bien. Je veux savoir qui elle est par rapport à vous.

— Je ne la connais pas le moins du monde…

— Elle se faisait passer pour votre fille.

— Je n’ai pas de fille.

— Je sais !

— Je ne soupçonnais même pas son existence…

— Sans blague…

— Je vous l’affirme !

— Comment se fait-il, alors, qu’elle soit allée tout droit chez vous ?

— Vous l’y avez conduite…

— Ne me poussez pas à bout, Masset. Croyez-vous que je perdrais mon temps à vous poser des questions dont je connaîtrais les réponses ! Cette fille était en cheville avec vous. La meilleure des preuves, c’est que votre larbin la connaissait, qu’elle était une familière du coin…

À nouveau, il me joue la surprise.

— C’est absolument insensé ! s’écrie-t-il. Puisque je vous dis que je ne la connaissais pas !

Il m’ébranle ce mec… L’angoisse me noue l’œsophage. Et si Masset était vraiment en dehors de ce pastaga ? Si c’était un brave zig victime des événements ? Le téléphone retentit.

Chapitre XXI

Trêve de plaisanteries !

Mon premier réflexe est de le laisser carillonner son chien de saoul mais il ne faut pas obéir à un premier réflexe, du moins pas toujours.

Je pense brusquement que si on téléphone dans cette usine au milieu de la nuit, c’est parce qu’on sait pertinemment que quelqu’un s’y trouve…

Sans cesser de menacer Masset avec mon tonitruant, je décroche.

Je grogne « Allô ! ».

Une voix épaisse déclare :

— M. Masset ?

Je grogne quelque chose de vague qui veut marquer l’affirmation. Ce que je dois éviter à tout prix c’est de jacter, because mon accent amerloque ; ce sacré accent qui me colle aux chailles comme un caramel.

— Je suis bien content de pouvoir vous joindre, dit la voix. Je voulais vous dire que ça s’est très bien passé ce matin… Du beau boulot… Cet imbécile de ricain est venu se flanquer de lui-même dans le merdier ; c’est chouette, non ? Ça paraît trop beau pour être vrai…

Je raccroche.

— Masset, dis-je, on a assez rigolé comme ça. Cette fois, inutile de me monter un nouveau bateau…

Je lui mets un atout à la pointe du menton. C’est parti tellement sec que le bonhomme vacille. Il titube et part en arrière. Je lui colle un autre biberon dans le portrait… Un qui fait très mal et qui vous fait oublier votre rendez-vous chez le dentiste. Il s’effondre. Ça me permet de rengainer mon feu. Je palpe ses fringues, elles ne contiennent rien d’alarmant.

Alors je l’installe dans un fauteuil canné et je l’y attache avec les ficelles du rideau.

Puis j’examine le contenu du coffre. Il renferme des papelards qui n’ont de la valeur que pour l’entreprise : des factures, des bons de commande, des devis…

C’est pas là-dedans que je raclerai suffisamment d’auber pour prendre ma retraite.

Fichtre non !

Je vois une chemise en bristol vert, posée à terre, devant le coffre. C’est elle que Masset regardait lorsque je suis entré.

Je l’ouvre. Cette chemise ne contient qu’un papier. Sur ce papier, il y a, écrit à la main, d’une écriture inculte :

Masset,

Je me permets de vous rappeler ma petite note de lundi dernier. L’argent doit être expédié par mandat à mon nom, poste restante, bureau 118.

Vous êtes prié de ne pas l’oublier, car je serais obligé de vous rafraîchir la mémoire…

Charles G.

Cette babillarde ressemble plus à une lettre de menaces voilées qu’à une lettre d’amour.

Je m’approche de Masset en la tenant à la main. Justement, ce locdu reprend ses esprits.

— Dites voir, bonhomme, je lui fais, vous avez de la correspondance plutôt bizarre. Franchement, vous m’avez l’air d’un curieux commerçant…

Je le regarde.

— Et puis par-dessus le marché, votre gueule ne me revient pas…

Je le chope par la tignasse et tout en lui tenant la tête raide je le soufflette en va-et-vient.

Bientôt le sang se met à pisser par ses narines et son nez est large comme un chou-fleur. Ses lèvres se tuméfient, ses paupières gonflent…

— T’es moins ronflant, je lui dis. Si tu te voyais, Masset, tu te reconnaîtrais pas, on serait obligé de refaire les présentations…

Je rigole…

— Et alors, tu vas ouvrir ton gentil clapet et me bonnir tout ce que je te demanderai. Primo, ma bonne vieille question des grands jours : qui est la môme Sophie ?…

Il me regarde. Le peu de regard qui passe entre ses paupières lourdes est rien moins que sympathique. S’il pouvait me faire cuire à feu doux, Masset, il n’y manquerait pas…

Comme il tarde à répondre je frotte une allumette et je l’approche de sa cravate, la flamme léchouille la soie et soudain celle-ci s’embrase… Masset pousse un bref cri de terreur en sentant ce petit brasier sur sa poitrine.

Moi, flegmatique, j’attrape une housse de machine à écrire et j’étouffe le sinistre. La cravate de Masset est racornie comme un cep de vigne et son plastron est tout ce qu’il y a de lamentable.

— Parle, dis-je sèchement.

Il n’hésite plus.

— C’était ma maîtresse, fait-il.

— Gentil petit lot, elle faisait l’amour comme une reine… Pourquoi l’as-tu fait seringuer ce matin ?

— J’étais jaloux…

— Parce qu’elle t’avait doublé avec Rilley ?

— Oui…

— Et tu voulais me faire endosser son exécution, hein ?

Je lui distribue un petit échantillonnage de châtaignes des mieux venues.

— Si elle t’avait lâché, Sophie, pourquoi est-elle retournée chez toi, dans ta crèche de cambrousse, ce matin ?

Il hausse les épaules…

— Sans doute parce qu’elle a eu peur. Elle s’est rendu compte qu’elle était allée trop loin. Elle a voulu me demander pardon…

— Tu la faisais filer ?

— Oui…

Je mords à l’hameçon. L’histoire du quinquagénaire hyper-jaloux voulant châtier sa belle infidèle, moitié pour se venger, moitié pour étouffer un scandale, me paraît valable. Seulement, ce qui me contriste c’est cette question de miroir qu’on m’a fauché à un moment où je ne pouvais être suspecté de charger cette pouliche…