Выбрать главу

— Mon petit doigt me chuchote que tu essaies encore de t’offrir ma cerise, Masset, je dis. Je vais donc employer les grands moyens…

Je remonte mes manches d’une façon significative.

Et juste comme je m’apprête à lui triturer le portrait, une voix, dans mon dos, murmure :

— Lève vite les bras ou tu es mort !

Chapitre XXII

Prenez vos flanelles !

J’ai été vraiment cave d’enfouiller mon feu, tout à l’heure, après avoir ligoté Masset. Je ne pensais pas qu’un danger de cet ordre me menaçait. Comme quoi, on a beau être un fortiche et en connaître un bout sur la question, il vient toujours un moment dans la vie où on se fait repasser.

La voix, c’est celle du téléphone. Cette voix épaisse, qu’on aimerait découper avec un couteau à dessert…

Je lève les mancherons et je risque un œil derrière moi.

J’aperçois une espèce d’enflure volumineuse, quelque chose dans le genre du bonhomme Michelin.

C’est gros, gras, suifeux, suant, luisant… Ça a des yeux de porc, des cheveux raides comme de la paille d’emballage et, sous un bout de nez en pied de marmite, une moustache de conscrit de 1813 !

Ce qui se dégage avant tout de cet individu, c’est l’absence totale d’humour.

Il est massif et con comme un tank.

Je le regarde.

— Tu es le secrétaire particulier de Monsieur, sans doute ? Tu viens prendre le courrier ou quoi ?

— Fais pas le mariole, l’Ange, dit-il.

Je réalise que c’est — vraisemblablement — ce mastodonte qui me filait le train ces jours, et je ne suis pas fier de moi de ne pas l’avoir repéré…

Mais le jardin des lamentations est fermé.

Tout en me pointant son .38 sur la brioche, l’arrivant se dirige vers le fauteuil de Masset ; il rafle un coupe-papier sur le bureau et tranche les liens de l’industriel.

Masset se dresse.

— Merci, Molard, dit-il. C’est une bonne idée d’arriver ainsi…

Le gros pousse un gloussement d’aise.

— Le coup de téléphone m’a paru louche, dit-il. Ça m’a tracassé, alors je suis venu voir…

— Bravo…

— Qu’est-ce qu’il voulait ? demande Molard en me désignant d’un hochement de tête.

— Savoir des choses… Des choses qui ne regardent personne…

— Qu’est-ce qu’on en fait ?

Masset hésite. Il se frotte le nez.

— Nous allons le mettre en lieu sûr, dit-il. Mais fais bien attention à lui, c’est un malin…

— Il n’est pas plus malin que mon feu, affirme Molard, lequel, malgré les apparences, ne semble pas tellement crétin.

Je juge bon de me manifester.

— Que comptez-vous faire de ma petite personne, cher Monsieur Masset ?

Un sourire bizarre se dessine sur son visage grave.

Il a une idée, une idée qui le ravit et qui illumine sa tronche.

Je crois la comprendre.

— Vous allez me balancer aux poulets, hein ? je dis d’un air malin. Et alors les poulagas me feront payer votre addition en même temps que la mienne…

C’est intentionnellement que je lui mets cette idée dans le crâne. Car, vous serez d’accord avec mézigue, mais il vaut mieux être enchristé que de prendre une valda dans le citron.

Et c’est ce que je redoute, à la minute présente. Ces deux hommes ont une façon de me regarder avec convoitise qui ne trompe pas un type rancardé. Ils ont trop envie de ma peau et m’est avis que je pourrais bien être transformé en écumoire avant la fin de la nuit.

— Mais oui, je vous remettrai à la police, affirme Masset, seulement, pas tout de suite…

Il ouvre le tiroir du bureau, y pioche un soufflant petit format mais qui peut faire son boulot tout de même.

— Voilà, déclare-t-il, deux gentils pistolets pour vous calmer les nerfs, mon garçon. Et ne bronchez pas, où ils partent tous les deux en même temps. Je vous signale que Molard est un tireur d’élite. Je vous fais en outre remarquer que je suis en état de légitime défense…

Je finis par m’emporter.

— Oh ! pas tant de salades ! Où est-ce qu’on va ?

— Descendez l’escalier… Je passe devant. Molard vous suit. Si vous faites un mouvement suspect, nous tirons. Vous avez même intérêt à éviter un faux pas…

Il va ouvrir la lourde. Il sort à reculons. Molard me dit :

— Allez gi ! décarre !

Il a une technique parfaite, le gros enflé… Il ne s’approche pas trop près comme font les ignorants. Il sait qu’un coup à la désespérée est plus dangereux lorsqu’on est trop contre le type qu’on emmène balader au bout d’un soufflant.

Je débouche en haut de l’escalier. Masset descend à reculons. Son feu ne tremble pas… Un instant l’idée me taquine de plonger sur lui, de le culbuter… Mais je ne suis pas acrobate. Si j’évite les pralines qu’il ne manquera pas de me distribuer et que je le fasse chanceler, je partirai dans les décors avec sa pomme et le Molard des familles pourra me plomber à son aise, de son point culminant. Il pourra même choisir mon coin de peau le plus tentateur…

Non, je suis marron, salement marron, et je n’ai pas d’issue possible pour l’instant. Je dois ravaler ma rancœur et attendre la suite des événements, de manière à risquer le paxon dans des circonstances plus favorables.

Nous débouchons dans la cour.

Masset ouvre toujours la marche à reculons. Il se dirige vers une certaine partie des bâtiments.

Il pousse une porte à glissière, donne de la lumière. Nous pénétrons alors dans une grande salle où il fait salement frisquet. Au fond de cette salle il y a d’immenses cubes de béton munis de lourdes portes de bois.

Ces portes sont fermées au moyen d’un système de leviers. Et je comprends qu’il s’agit de frigos.

Masset tire une petite clé plate de son gousset. Il l’introduit dans une fente ménagée dans le verrou. Il fait coulisser ledit verrou et ouvre la lourde… Je comprends maintenant leur astuce. Ces vaches vont me boucler dans le frigoulet en attendant d’avoir réglé leur combine. Ensuite ils me cloqueront aux poultoques : tout frais ! Et comment !

Chapitre XXIII

Esquimaux glacés, pastilles de menthe !

Je ne me goure pas.

— Entrez ! me dit Masset.

Je fais la grimace.

— Après vous, patron.

Mais il ne goûte pas la plaisanterie, peut-être parce que je l’ai lancée sur un ton trop lamentable.

— Entre ! grince le gros Molard…

Mon petit doigt me dit qu’il serait temps d’essayer quelque chose si je ne veux pas être transformé en cornesqui.

Mais mon petit doigt n’a qu’à fermer sa gueule parce que le soufflant de Molard ouvrira bientôt la sienne si je bronche. J’ai jamais eu dans mon espace vital un mec aussi scrupuleux, aussi attentif. C’est pas un homme, c’est une mécanique. Il ne suit pas seulement mes gestes, on dirait qu’il suit mes pensées. Son index se crispe sur la détente de sa seringue. Je suis hypnotisé par ce doigt qui peut déclencher ma fin prématurée…

Mort à la fleur de l’âge, ma bonne dame !

Je suis certain que la gâchette a frémi imperceptiblement. Pour peu qu’elle soit sensible, je vais avoir un arrivage sous peu. Et un .38, à cette distance, il fait des trous comme un bulldozer…

— Entre ! répète-t-il.