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Il se mit à grogner en montrant les dents et en roulant de gros yeux. Les petites en étaient effrayées.

— Ne le faites plus, dit Marinette.

— C’était pour vous montrer, dit le chien. En somme, vous voyez que je rendais à mon maître bien des petits services, et je ne parle pas du plaisir qu’il prenait à m’écouter. Je ne suis qu’un chien, c’est entendu, mais parler fait toujours passer le temps…

— Vous parlez aussi bien qu’une personne, chien.

— Vous êtes bien aimable, dit le chien. Mon Dieu, que votre panier sent bon !.. Voyons, qu’est-ce que je vous disais ?… Ah oui ! mon maître ! Je m’ingéniais à lui rendre la vie facile, et pourtant, il n’était jamais content. Pour un oui ou pour un non, il me donnait des coups de pied. Aussi, vous pouvez croire qu’avant-hier j’ai été bien surpris quand il s’est mis à me caresser à me parler avec amitié. J’en étais bouleversé, vous savez. Il n’y a rien qui me fasse autant de plaisir que des caresses, je me sens tout heureux. Caressez-moi, pour voir…

Le chien allongea le cou, offrant sa grosse tête aux deux petites qui lui caressèrent son poil ébouriffé. Et, en effet, sa queue se mit à frétiller, tandis qu’il faisait avec une petite voix : « Oua, oua, oua ! »

— Vous êtes bien bonnes de m’écouter, reprit-il, mais il faut que j’en finisse avec mon histoire. Après m’avoir fait mille caresses, mon maître me dit tout d’un coup : « Chien, veux-tu prendre mon mal et devenir aveugle à ma place ? » Je ne m’attendais pas à celle-là ! lui prendre son mal, il y avait de quoi faire hésiter le meilleur des amis. Vous penserez de moi ce que vous voudrez, mais je lui ai dit non.

— Tiens ! s’écrièrent les petites, mais bien sûr ! c’est ce qu’il fallait répondre.

— N’est-ce pas ? Ah ! je suis bien content que vous pensiez comme moi. J’avais tout de même un peu de remords de n’avoir pas accepté du premier coup.

— Du premier coup ? Est-ce que par hasard chien…

— Attendez ! Hier, il s’est montré plus gentil encore que la veille. Il me caressait avec tant d’amitié que j’avais honte de mon refus. Enfin, quoi, autant vaut le dire tout de suite, j’ai fini par accepter. Ah ! Il m’avait bien juré que je serais un chien heureux, qu’il me guiderait sur les chemins comme j’avais fait pour lui, et qu’il saurait me défendre comme je l’avais défendu… Mais je ne lui avais pas plus tôt pris son mal qu’il m’abandonnait sans un mot d’adieu. Et, depuis hier soir, je suis tout seul dans la campagne, me cognant aux arbres, butant aux pierres de la route. Tout à l’heure, j’ai reniflé comme une odeur de veau, puis j’ai entendu deux petites filles qui chantaient, et j’ai pensé que peut-être, vous ne voudriez pas me chasser…

— Oh ! non, dirent les petites, vous avez bien fait de venir.

Le chien soupira et dit en humant le panier :

— J’ai bien faim aussi… N’est-ce pas un morceau de veau que vous portez là ?

— Oui, c’est une fraise de veau, dit Delphine. Mais vous comprenez, chien, c’est une commission que nous rapportons à nos parents… Elle ne nous appartient pas…

— Alors, j’aime mieux n’y plus penser. C’est égal, elle doit être bien bonne. Mais dites-moi, petites, ne voulez-vous pas me conduire auprès de vos parents ? S’ils ne peuvent me garder auprès d’eux, du moins ne refuseront-ils pas de me donner un os ou même une assiettée de soupe, et de me coucher cette nuit.

Les petites ne demandaient pas mieux que de l’emmener avec elles ; même, elles souhaitaient de le garder toujours à la maison. Elles étaient seulement un peu inquiètent de l’accueil que lui feraient leurs parents. Il fallait aussi compter avec le chat qui avait beaucoup d’autorité dans la maison et qui verrait peut-être d’assez mauvais œil l’arrivée d’un chien.

— Venez, dit Delphine, nous ferons notre possible pour vous garder.

Comme ils se levaient tous les trois, les petites virent, sur la route, un brigand des environs, qui faisait son métier de guetter les enfants en commission pour leur prendre leurs paniers.

— C’est lui, dit Marinette, c’est l’homme qui prend les commissions.

— N’ayez pas peur, dit le chien, je m’en vais lui faire une tête qui lui ôtera l’envie de venir regarder dans votre panier.

L’homme avançait à grands pas et se frottait déjà les mains en songeant aux provisions qui gonflaient le panier des petites, mais quand il vit la tête du chien, et qu’il l’entendit gronder, il cessa de se frotter les mains. Il passa de l’autre côté du chemin et salua en soulevant son chapeau. Les petites avaient bien du mal à ne pas lui rire au nez.

— Vous voyez, dit le chien lorsque l’homme eut disparu, j’ai beau être aveugle, je sais encore me rendre utile.

Le chien était bien content. Il marchait auprès des deux petites qui le tenaient chacune à leur tour par sa ficelle.

— Comme je m’entendrais bien avec vous ! disait-il. Mais comment vous appelez-vous, petites ?

— Ma sœur, qui vous tient par la ficelle, s’appelle Marinette et c’est elle la plus blonde.

Le chien s’arrêta pour flairer Marinette.

— Bon, dit-il, Marinette. Oh ! je saurai la reconnaître, allez.

— Et ma sœur s’appelle Delphine, dit à son tour la plus blonde.

— Bon, Delphine, je ne l’oublierai pas non plus. A force de voyager avec mon ancien maître, j’ai connu bien des petites filles, mais je dois dire sincèrement qu’aucune d’elle ne portait d’aussi jolis noms que Delphine et Marinette.

Les petites ne purent pas s’empêcher de rougir, mais le chien ne pouvait pas le voir, et il leur faisait encore des compliments. Il disait qu’elles avaient aussi de très jolies voix et qu’elles devaient être bien raisonnables, pour que des parents leur aient confié une commission aussi importante que l’achat d’une fraise de veau.

— Je ne sais pas si c’est vous qui l’avez choisie, mais je vous assure qu’elle embaume…

Tout lui était prétexte à revenir à la fraise de veau, et il ne se lassait pas d’en parler. A chaque instant, il venait appuyer son nez contre le panier, et comme il était aveugle, il lui arriva plusieurs fois de se jeter dans les jambes de Marinette, au risque de la faire tomber.

— Écoutez, chien, lui dit Delphine, il vaut mieux pour vous de ne plus penser à cette fraise de veau. Je vous assure que si elle m’appartenait je vous la donnerais de bon cœur, mais vous voyez que je ne peux pas. Que diraient nos parents si nous ne rapportions pas la fraise de veau ?

— Bien sûr, ils vous gronderaient…

— Il nous faudrait dire aussi que vous l’avez mangée, et au lieu de vous donner à coucher, ils vous chasseraient.

— Et peut-être qu’ils vous battraient, ajouta Marinette.

— Vous avez raison, approuva le chien, mais ne croyez pas que ce soit la gourmandise qui me fasse parler de cette fraise de veau. Ce que j’en dis n’est pas du tout pour que vous me la donniez. D’ailleurs, la fraise de veau ne m’intéresse pas. Certes, c’est une excellente chose, mais je lui fais le reproche de n’avoir pas d’os. Quand on sert une fraise de veau sur la table, les maîtres mangent tout et il ne reste rien pour le chien.

Tout en parlant, les petites et le chien aveugle arrivaient à la maison des parents. Le premier qui les vit fut le chat. Il fit le gros dos, comme quand il était en colère ; son poil se hérissa et sa queue balaya la poussière. Puis il courut à la cuisine et dit aux parents :

— Voilà les petites qui rentrent en tirant un chien au bout d’une ficelle. Je n’aime pas beaucoup ça, moi.

— Un chien ? dirent les parents. Par exemple !