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— Ah ! ah ! dit-il après les avoir saluées, je vois que nous avons fait l’école buissonnière ?

Delphine rougit, mais il ajouta aussitôt avec un bon sourire d’amitié :

— Surtout, prenez bien garde de ne pas tacher vos tabliers. Les parents sont curieux, et ils ne croient pas toujours leurs filles quand elles disent qu’il pousse des fraises sur le chemin de l’école.

Les petites se mirent à rire. Avec lui, on se sentait tout de suite à son aise.

— Et comment vous appelez-vous mignonnes ?

— Je m’appelle Delphine, et ma sœur Marinette. Elle n’est pas aussi grande que moi.

— Marinette est la plus blonde, je crois, mais Delphine a les plus grands yeux. Les jolies petites que voilà, je les aime déjà toutes les deux.

— Vous êtes bien honnête, Monsieur le renard.

Cependant, il tournait la tête vers l’entrée du bois et reniflait en plissant ses yeux rieurs.

— Hum ! ça sent bon par ici… Je ne sais pas, mais il me semble…

— Ce sont les fraises, dit Marinette, voulez-vous en goûter quelques-unes ? J’en ai là de bien mûres, vous savez.

Le renard remercia, et avec tant de bonne grâce, qu’en le voyant s’éloigner vers la lisière du bois, Delphine s’écria :

— Surtout, n’allez pas de ce côté-là ! Le coq surveille l’entrée du bois et il a dit qu’il voulait vous corriger.

— Oh ! oh ! me corriger ? dit le renard. Il faut qu’il y ait un malentendu, car le coq m’a toujours compté parmi ses meilleurs amis. Mais je vais arranger cela, n’en ayez pas d’inquiétude. Quelques minutes d’entretien confidentiel auront déjà calmé sa colère. Je vous appellerai tout à l’heure pour assister à notre réconciliation. En attendant, ne vous privez pas de cueillir des fraises. Il en restera toujours assez pour les oiseaux.

Il disparut au galop vers la sortie du bois. Les petites, admirant son panache et sa belle fourrure, lui firent un signe d’amitié, puis se remirent à la cueillette, car elles n’étaient pas moins gourmandes de fraises que n’était le renard de poulets, de gelines et de coqs.

Le renard était assis au pied de l’acacia. Il regardait le coq perché sur une haute branche, et il voulait le manger. Le plus fort, c’est qu’il ne s’en cachait pas du tout, au contraire.

— Tu ne sais pas, dit-il au coq, ce que j’ai appris hier soir en passant sous les fenêtres de la ferme ? J’ai appris que les maîtres allaient te faire cuire dans une sauce au vin pour te servir dimanche prochain au repas de midi. Tu n’imagines pas combien l’annonce de cette nouvelle a pu me peiner.

— Mon Dieu, dans une sauce au vin ! Ils veulent me faire cuire dans une sauce au vin !

— Ne m’en parle pas, j’en ai la chair de poule. Mais, sais-tu ce que tu feras, si tu veux leur jouer un bon tour ? Tu descendras de ton arbre, et moi je te mangerai. Alors, eux, ils seront bien attrapés !

Et il riait de toutes ses dents qu’il avait longues et pointues, et il passait sa langue sur son museau avec un air friand.

Mais le coq ne voulait pas descendre. Il disait qu’il aimait mieux être mangé par ses maîtres que par le renard.

— Tu en penseras ce que tu voudras, mais je préfère mourir de ma mort naturelle.

— Ta mort naturelle ?

— Oui. Je veux dire : être mangé par mes maîtres.

— Qu’il est bête ! Mais la mort naturelle, ce n’est pas ça du tout !

— Tu ne sais pas ce que tu dis, renard. Il faut bien que les maîtres nous tuent un jour ou l’autre. C’est la loi commune, il n’y a personne qui puisse y échapper.

Le dindon lui-même, qui fait tant son rengorgé, y passe comme les autres. On le mange aux marrons.

— Mais, coq, suppose que les maîtres ne vous mangent pas ?

— Il n’y a pas à supposer, puisque c’est impossible. C’est une règle sans exception, il faut toujours en arriver à la casserole.

— Oui, mais enfin, suppose… essaie de supposer une minute…

Le coq fit un effort d’imagination considérable et ce qu’il imagina le fit vaciller sur sa branche.

— Alors, murmura-t-il, on ne mourrait plus jamais… On n’aurait qu’à faire attention aux automobiles, et l’on vivrait toujours, sans inquiétude.

— Eh ! oui, coq, tu vivrais toujours, c’est justement ce que je voulais te faire comprendre. Et dis-moi, qui t’empêche de vivre toujours, sans avoir le souci, au réveil, de te demander si tu ne seras pas saigné dans le courant de la journée ?

— Voyons, mais puisque je te dis…

Le renard l’interrompit et s’écria d’une voix impatiente :

— Oui, oui, tu vas encore me parler des maîtres, c’est entendu… et si tu n’avais pas de maîtres ?

— Pas de maîtres ? dit le coq. Et, d’étonnement, il resta bec ouvert.

— On peut très bien vivre sans maîtres, et le mieux du monde, je t’assure. Moi qui vis depuis bientôt trois siècles (il disait trois siècles, mais ce n’était pas vrai : il était né en 1922), moi qui vis depuis trois siècles, je n’ai jamais regretté une seule fois d’être libre. Et comment le regretterais-je ? Si j’avais accepté comme toi d’avoir des maîtres, il y a beau temps que je serais mangé. On m’aurait saigné dans ma plus tendre enfance, et je n’aurais pas à présent l’avantage de compter trois cents ans d’âge, ce qui est bien agréable, soit dit en passant : on a tant de souvenirs ! Ainsi, moi qui te parle, je n’ai l’air de rien, mais je pourrais te raconter des histoires à n’en plus finir.

Le coq l’écoutait en frottant sa tête contre le tronc de l’acacia, et il était perplexe. Dans toute sa vie, il n’avait jamais réfléchi avec autant d’application.

— Il est certain que ce doit être agréable, dit-il, mais je me demande si vraiment je suis fait pour mener cette vie-là. Les maîtres ont bien des défauts et maintenant que j’y réfléchis, je leur en veux de faire cuire les coqs ! Oh ! oui, je leur en veux. Mais enfin, durant le peu de vie qu’ils nous accordent, je dois reconnaître qu’ils ne nous laissent manquer de rien : bonne pâtée, bon grain, et le gîte. Me vois-tu errant par les bois à la recherche de ma nourriture ? Je n’aurais pas ce beau jabot plein que tu me vois aujourd’hui… sans compter que je m’ennuierais, dans cette grande forêt, tout seul de mon espèce.

— Mon Dieu, que le souci de la nourriture ne t’occupe pas. Il suffit de se baisser pour gober les plus délicieux vers de terre, et sans parler des fruits qui sont en abondance par les bois, je connais des coins d’avoines folles où tu seras à ton affaire. Non, la nourriture n’est rien, et je craindrais plutôt pour toi le désagrément de la solitude. Mais je vois à cela un remède bien simple : décider tous les coqs, toutes les poules du village à suivre ton exemple. Tu y réussiras facilement. La cause est si belle qu’elle intéressera d’abord, et ton éloquence fera le reste. Une fois le résultat acquis, quelle satisfaction pour toi d’avoir guidé ta race vers une existence meilleure ! Quelle gloire tu en auras ! Et quelle délivrance aussi pour vous tous de mener une vie sans fin, exempte de soucis, dans la verdure et le soleil !

Le renard se mit à vanter les plaisirs de la liberté et le charme des grands bois. Il raconta aussi quelques-unes de ces bonnes histoires, bien connues de tous les habitants de la forêt, mais qui n’étaient pas encore parvenues jusqu’aux poulaillers de la plaine. Le coq en riait aux éclats, et d’un mouvement qu’il fit pour contenir son jabot avec l’une de ses pattes, il perdit l’équilibre et tomba au pied de l’acacia. Le renard avait bien envie de le manger, sa langue en était toute baignée de salive, mais il préféra rester sur son appétit et aida le coq à se relever sans lui faire autre mal.