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— Tu ne me manges donc pas ? demanda le coq d’une voix tremblante.

— Te manger ? mais tu n’y penses pas ! Je n’en ai pas la moindre envie.

— Pourtant…

— Certes, il m’est arrivé trop souvent de croquer quelqu’un d’entre vous, mais c’était par amitié, pour le préserver d’une mort indigne dans la casserole, et je t’assure que ce n’était jamais de bon cœur.

— Comme on peut se tromper, tout de même, c’est incroyable !

— Même si tu m’en priais, je ne pourrais pas te manger, tu me resterais sur l’estomac. C’est que, plus j’y songe, plus je me persuade que tu es désigné pour accomplir une grande mission auprès des tiens. Toutes les qualités qu’il y faut, je les vois paraître dans le regard de tes beaux yeux d’or ; la noblesse du cœur, la volonté ferme, réfléchie, et cette finesse de jugement qui charme déjà dans tes moindres propos.

— Hai, hai, fit le coq en dodelinant de la tête.

— Naturellement, tu ne me dis pas tout ce que tu penses, mais je serais bien étonné si tu n’avais pas déjà fait ton plan.

— Bien sûr que j’ai un plan, bien sûr ! Pourtant, il me reste une inquiétude : la vie des bois comporte bien des périls, car je n’ose pas penser que la fouine et la belette soient dans les mêmes sentiments d’amitié que tu montres à notre égard. Oh ! je suis courageux, et il y a de mes frères qui sont tout près de me valoir, mais enfin, nous n’avons pas de dents pour nous défendre, ni d’ailes pour nous sauver.

Alors, le renard hocha la tête et poussa un grand soupir, comme s’il eût été attristé de voir son meilleur ami dans une si profonde ignorance.

— C’est incroyable ce que la vie domestique peut faire d’un coq intelligent… Vos maîtres sont encore plus coupables qu’on ne pense. Mon pauvre ami, tu te plains de n’avoir ni dents ni ailes, mais comment veux-tu qu’il en soit autrement ? Les maîtres vous tuent avant qu’elles aient poussé ! Ah ! ils savent bien ce qu’ils font, les gredins… mais sois tranquille, les dents vous viendront bientôt, et si drues que vous n’aurez à craindre, ni de la belette ni de la fouine. En attendant, je vous prendrai sous ma protection. Il y aura quelques précautions à observer dans les premiers temps, mais vous n’aurez plus rien à craindre quand les poules auront des dents.

Après avoir attendu longtemps l’appel du renard, et trouvant les confidences bien longues, Delphine et Marinette se décidèrent à sortir du bois. Elles étaient assez inquiètes de la tournure qu’avait pu prendre la conversation, et Delphine, craignant pour le coq, regrettait d’avoir signalé sa présence au renard. En arrivant auprès de l’acacia, elles furent aussitôt rassurées, car les deux compagnons devisaient avec amitié.

— Petites, leur dit le coq, nous sommes occupés, renard et moi, d’une affaire importante qui ne souffre point de retard. Retournez donc à vos jeux, et l’heure venue, je vous ramènerai chez vos parents.

Marinette n’aimait pas beaucoup qu’un petit coq de rien du tout lui parlât sur ce ton-là, et Delphine elle-même parut mécontente. Le renard, qui avait de bonnes raisons de se ménager leur amitié, voulut effacer cette mauvaise impression.

— Je crois, au contraire, coq, que leur présence ne sera pas de trop. Il est vrai que l’affaire est d’importance, mais vous pouvez nous donner un avis utile. Notre ami me faisait part d’un projet magnifique qu’il achève de mûrir, et que vous l’aiderez à réaliser, j’en suis sûr.

Il les mit au fait, avec une éloquence émue qui exaltait encore l’enthousiasme du coq. Delphine, des larmes plein les yeux, s’apitoyait sur la cruelle destinée des poules asservies aux caprices de maîtres sanguinaires. Elle accueillit bien le projet de retraite au fond des bois. Marinette, quoiqu’elle approuvât dans le fond de son cœur, tenait rigueur au coq d’avoir voulu les écarter du débat, et fit observer :

— C’est très joli, mais moi, j’aime bien le poulet. Si vous quittez tous le poulailler, nous n’en aurons plus à manger.

A ces mots, le coq se sentit dans une grande indignation. Il marcha contre Marinette et lui dit avec colère :

— Bien sûr que vous ne mangerez plus de poulets ! Croyez-vous qu’ils viennent au monde pour être accommodés par des maîtres sans conscience ? Il faudra les supprimer de votre menu ! Et ne croyez pas non plus que nous oublierons jamais le mal que vous nous avez fait. Quand les poules auront des dents, vous regretterez peut-être de les avoir maltraitées autrefois.

Il avait un air menaçant, et Marinette avait un peu peur, mais elle n’en laissa rien voir, et répondit sans trembler :

— Je ne sais pas si un jour tu auras des dents, c’est possible. En tout cas, je dis qu’un bon poulet rôti et doré au four, c’est bien bon, et même, je me rappelle avoir goûté d’un coq au vin qui n’était pas mauvais non plus.

Delphine donnait du coude à sa sœur pour l’inviter à la prudence, car elle voyait le coq tout secoué de fureur. Le renard dut retenir son ami pour l’empêcher de se jeter sur Marinette.

— Calmons-nous, mon cher coq, calmons-nous. Je suis sûr que ces enfants-là ne nous feront pas regretter de leur avoir accordé notre confiance et qu’elles n’iront pas nous trahir auprès de leurs parents.

— Nous trahir ? s’écria le coq. Il ne manquerait plus que ça ! Si je le savais, je les mangerais toutes les deux !

Alors, les petites haussèrent les épaules. Le coq pouvait leur faire mal aux jambes avec son bec, mais pour les manger, il était trop petit, elles le savaient bien.

Le renard vit le moment venu de faire un grand discours, et il commença de cet air bon enfant qui lui gagnait tout de suite la confiance de ses dupes :

— Mon Dieu, il n’y en a pas un d’entre nous qui soit plus raisonnable que les autres. Pourtant, nous sommes tous bien d’accord, au fond. Notre bon ami le coq se révolte contre la cruauté des maîtres, mais je suis sûr que Marinette elle-même est la première à l’approuver. Ceux qu’il appelle les maîtres ne sont-ils pas, en effet, les parents ? Et ne savons-nous pas que les parents sont ennuyeux, sévères, et trop souvent cruels avec leurs enfants ?

Les petites voulurent protester qu’elles aimaient bien leurs parents, mais il ne leur en laissa pas le temps.

— Oui ! cruels et injustes, ce n’est pas trop dire. Tenez, l’autre jour, ils vous ont fouettées toutes les deux (il parlait ainsi au hasard) et vous ne le méritiez pas du tout…

— Pour ça, dit Marinette, on ne le méritait pas, c’est bien vrai.

— Vous voyez ! je vous dis qu’ils s’amusent à être injustes et à ennuyer les enfants. Ils savent aussi qu’il y a des fraises dans les bois, et pourtant ils vous envoient à l’école…

— C’est bien vrai aussi.

— Et tout à l’heure, s’ils apprennent que vous avez fait l’école buissonnière, ils vous fouetteront encore, et ils vous mettront au pain sec.

Les petites reniflèrent en songeant au châtiment qui les attendait peut-être.

— Et ils l’apprendront certainement, poursuivit le renard. D’autres parents les auront déjà avertis, car ils se soutiennent tous, voyez-vous, ils s’entendent contre leurs enfants et contre leurs poulets. C’est pourquoi ils ont besoin d’une bonne leçon. Quand ils n’auront plus ni coq ni poule dans la basse cour, ils commenceront à réfléchir, et ils traiteront leurs enfants avec un peu plus de justice, de peur qu’eux aussi ne finissent par se lasser.

Les petites étaient très émues, mais elles hésitaient à prendre l’engagement de servir l’entreprise du coq. Le renard ne les pressa point d’une réponse. Ayant pris congé, et tandis qu’elles s’éloignaient vers le village, en compagnie du coq, il alla trouver une vieille pie qui n’avait rien à lui refuser.