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— Une minute ! je voulais te dire…

Mais déjà le cochon courait sur ses courtes pattes vers la balançoire. L’âne le suivit au galop et en arrivant auprès du chat et de la petite poule blanche, il leur souffla :

— Le pauvre ne sait rien encore.

Le cochon s’était assis sur un bout de la planche, mais il avait beau grogner et s’agiter en tous sens, la balançoire ne bougeait pas. Ses trois amis qui faisaient cercle autour de lui, le regardaient avec compassion. La petite poule blanche en oubliait la buse qui volait maintenant en rasant le toit de la maison.

— Suis-je bête ! s’écria tout à coup le cochon. Je n’y avais pas pensé, mais pour se balancer il faut être deux !

Au même instant, on entendit des éclats de voix qui venaient de la cuisine. Les parents grondaient les deux petites :

— Vous mangerez du lard, disaient-ils, ou vous irez vous coucher ! A-t-on jamais vu pareil caprice ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

On n’entendit pas la réponse de Delphine et Marinette, parce qu’elles avaient des voix de petites filles, mais les parents reprirent :

— Pensez-vous qu’on l’engraisse pour qu’il joue avec deux gamines ? Non, non. Demain matin, le cochon sera…

Alors, auprès du cochon, pour qu’il n’entendît pas la suite, l’âne se mit à braire, la petite poule blanche à chanter et le chat à miauler. La buse, qui volait très bas et passait déjà sa langue sur son bec, fut si effrayée par le bruit qu’elle s’éleva d’un coup d’aile plus haut que le toit de la ferme.

Pourtant, elle ne perdit pas l’espoir de saisir sa proie et continua à tourner en rond au-dessus de la cour.

— Êtes-vous sots de faire un pareil vacarme, dit le cochon. Vous vous êtes mis à crier au moment où il était question de moi dans la cuisine, et la suite m’a échappé par votre faute.

L’âne poussa un grand soupir qui fit comme un courant d’air dans la moustache du chat, et la petite poule blanche rentra la tête dans son jabot pour cacher ses larmes. Alors, le chat secoua ses poils, fit un pas en avant, et répéta toute la conversation que l’âne avait surprise à la fenêtre de la cuisine. Il affirmait, par charité, que rien n’était perdu encore, mais ses paroles d’espoir ne trompaient personne.

Le cochon fut vraiment très bien. Il y a des bêtes qui auraient poussé de grands hurlements ou qui auraient eu des paroles de colère. Assis sur le bout de la planche, le cochon écouta tranquillement le discours du chat. Ses premiers mots furent pour remercier ses amis de l’aide qu’ils lui apportaient. Après quoi, il demanda à chacun de lui donner un avis. L’âne conseillait de tenter une démarche auprès des parents pour obtenir un délai, mais le cochon lui-même jugea qu’elle n’avait pas d’autre effet que d’éveiller leur méfiance. Pour lui, il pensait que le plus sage était d’attendre la tombée de la nuit et de s’enfuir dans la forêt voisine. Le chat lui fit observer qu’il irait ainsi à sa perte plus sûrement qu’en demeurant à la ferme, car à peine aurait-il fait cent pas dans les bois que le loup le mettrait en pièces et le mangerait.

— Allons, soupira le cochon, je vois bien qu’il n’y a pas moyen d’échapper au saloir. Vous direz ce que vous voudrez, c’est tout de même ennuyeux. Mais ce qui me fait peut-être le plus de peine, c’est de penser que Delphine et Marinette seront obligées de me manger…

L’âne, la petite poule blanche, et même le chat qui n’avait jamais été très familier avec lui, ne pouvaient pas s’empêcher de renifler en l’entendant parler ainsi.

Le cochon s’aperçut combien ils étaient émus, et, pour ne pas les attrister davantage, il dit en riant :

— Au fond, je suis sûr que les choses vont s’arranger, vous verrez. En attendant, je voudrais bien me balancer. Y a-t-il quelqu’un d’entre vous qui veuille s’asseoir sur l’autre bout de la planche ?

— Moi, dit l’âne, je ne demanderais pas mieux, mais je suis trop grand pour trouver place sur la balançoire.

— Moi, dit le chat, je ne suis pas assez lourd. Pense que tu pèses cent cinquante livres !

— Hélas ! soupira le cochon. Si j’étais moins gras, j’en serais bien plus à l’aise. Je le vois bien à présent.

Sans rien dire, la petite poule blanche monta sur la balançoire.

— A quoi bon ? dit le chat, tu es encore plus légère que moi.

— Nous verrons bien.

Alors, la petite poule blanche se fit aussi lourde qu’elle put. Et comme le cochon était une très bonne bête, elle réussit à le soulever de terre assez facilement.

La planche se redressa et ils se trouvèrent tous les deux la même hauteur. L’âne se mordait les oreilles pour s’assurer qu’il ne rêvait pas, et le chat n’était pas moins étonné. La chose était si surprenante que personne ne prit garde à la buse qui faisait une ombre sur la balançoire. La petite poule blanche se fit encore un peu plus lourde, et le cochon se mit à monter. Après quoi, il descendit lentement, remonta, redescendit, et ainsi pendant plus de cinq minutes. Jamais il ne s’était autant amusé, et il riait aux éclats. C’était très fatigant pour la petite poule blanche. Comme le cochon se trouvait très haut perché et qu’elle était en bas, elle sentit les forces lui manquer et ne pesa presque plus rien. Justement, la buse plongeait sur la balançoire pour saisir sa proie, et il lui arriva une aventure qui devait lui faire regretter sa gourmandise. Le poids du cochon, que rien n’équilibrait plus, fit basculer tout d’un coup la balançoire de son côté, et l’autre bout de la planche, en remontant, porta sur la tête de la buse avec tant de force qu’elle tomba tout étourdie sur le sol. Alors, la petite poule blanche se rendit compte du danger qu’elle avait couru et se prit à crier :

— Au secours ! il y a une buse qui veut me manger ! La voilà par terre qui bat de l’aile ! Ne la laissez pas reprendre son vol !

En effet, la buse semblait se remettre déjà du coup qui l’avait étourdie et regardait la petite poule blanche d’un air irrité qui ne disait rien de bon. Heureusement, l’âne et le cochon accouraient. Ils prirent l’oiseau par les plumes et tirèrent si bien qu’il leur resta chacun une aile dans la gueule. La buse faisait triste figure et n’était plus, à vrai dire, qu’une moitié de buse.

— Rendez-moi mes ailes ! disait-elle d’une voix furieuse. Vous n’avez pas le droit de me prendre mes ailes !

Tout en criant, elle menaçait l’âne et le cochon de son grand bec crochu. Agacé par ce tapage, le chat l’eut bientôt fait taire.

— Si tu étais une buse un peu raisonnable, lui dit-il, tu ne mènerais pas si grand bruit. Les maîtres de la ferme achèvent leur repas et je suis étonné qu’ils ne t’aient pas déjà entendue. S’ils te surprennent dans la cour, ils ne manqueront pas de t’assommer à coups de bâton. C’est pourquoi, pendant qu’il te reste encore deux pattes, tu feras bien de te couler derrière la haie et de gagner aussitôt la forêt où tu attendras que tes ailes repoussent. Si tu tardes seulement une minute, je te vois en mauvaise posture.

La buse ne se fit pas répéter l’avertissement, et, avalant ses paroles de colère, elle se hâta vers le coin de la haie. Elle n’avait guère l’habitude de courir, et c’était un spectacle pitoyable de voir ce grand oiseau efflanqué, à moitié plumé, qui s’en allait en clopinant.

L’âne en était si ému qu’il proposa au cochon :

— On pourrait peut-être lui rendre ses ailes tout de même. Après une pareille aventure, elle aura perdu toute envie de rôder encore près de la ferme.

— Moi, je veux bien, acquiesça le cochon. Tout à l’heure, nous lui avons fait très mal et il me semble qu’elle est assez punie. Qu’en pense le chat ?

— Oh ! moi, je n’y vois pas d’inconvénient, dit le chat. C’est à la petite poule blanche d’en décider…