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La buse, qui avait entendu le conciliabule, s’était arrêtée à mi-chemin de la haie, attendant qu’on lui rendît ses deux ailes. Il lui semblait que ce fût maintenant une chose décidée, mais elle eut une grande désillusion, car la petite poule blanche lui cria :

— Tu n’as rien à attendre de nous ! Presse-toi de gagner la forêt ou j’appelle les maîtres !

La buse reprit sa course en grommelant et disparut au coin de la haie. L’âne et le cochon en voulaient à la petite poule blanche d’une aussi grande sévérité, mais elle leur dit en clignant un œil :

— Je garde ses ailes parce que j’ai une idée… je suis sûre que le chat m’a déjà comprise… Mais voilà les deux petites, nous allons en parler avec elles.

Delphine et Marinette sortaient de la maison avec leurs cartables sous le bras pour s’en aller à l’école.

Pendant qu’elles s’arrêtaient à caresser le cochon, la petite poule leur fit part de son projet.

— C’est une bonne idée, dirent-elles, mais ce doit être bien difficile. Nous en parlerons au bœuf blanc en rentrant de l’école.

Ce bœuf blanc était un bœuf très savant, qui savait lire dans les livres les plus difficiles. Pourvu qu’il fût de bonne humeur, il conseillait volontiers les bêtes dans l’embarras, mais, depuis deux jours, il était justement très mal disposé parce qu’il n’arrivait pas à trouver la solution d’un problème d’arithmétique.

Seules, Delphine et Marinette pouvaient lui adresser la parole sans se faire rabrouer.

Les deux petites filles prirent le chemin de l’école après avoir promis au cochon de presser leur retour, afin de parler au bœuf blanc. Elles ne pensaient guère à leurs leçons, et Delphine paraissait soucieuse.

— Est-ce que tu as peur que le projet ne réussisse pas ? demanda Marinette.

— Oh ! non, dit Delphine, au contraire ! J’ai presque peur qu’il réussisse trop bien. Vois-tu, je me demande si nous sommes bien raisonnables de vouloir sauver le cochon…

— Tu ne peux tout de même pas souhaiter qu’il soit coupé en morceaux et mis au saloir !

— Oui, je sais bien, c’est ennuyeux pour lui et pour nous, mais, après tout, les cochons sont faits pour être mangés. Suppose que le nôtre échappe à son sort. Ce sera un gros ennui pour nos parents. Où prendront-ils le lard dont nous faisons presque tous nos repas ? C’est bien joli d’être bon pour les bêtes, mais il ne faut pas exagérer.

Marinette était presque fâchée d’entendre sa sœur parler ainsi, mais elle ne trouva rien à répondre d’abord. Comme elles craignaient d’être en retard, elles prirent un petit chemin de traverse où elles s’aventuraient rarement et passèrent devant une jolie maison peinte en vert. Sur le seuil était assis un gros cochon rose tacheté de noir, qui leur dit aimablement :

— Bonjour, petites… Vous allez à l’école ?

— Oui, répondit Marinette, et je crois que nous ne sommes pas en avance… Dites-moi, cochon, vous devez être très lourd ?

— Ma foi, dit le cochon en riant, voilà bien longtemps que je ne me suis pas pesé. La dernière fois, si j’ai bonne mémoire, je faisais trois cents livres.

— Trois cents livres ! Vos maîtres doivent être bien bons, ou ils ne sont pas pressés.

— Mes maîtres ? mais je n’en ai pas, et je vous dirai même que je m’en trouve assez bien… Oh ! je ne suis pas riche, mais à quoi bon ? Il me suffit de posséder cette petite maison, un bout de champ et un bon garçon obéissant. C’est assez pour ma tranquillité.

Au même instant, un gros garçon aux joues pleines sortit de la maison avec une pioche sur l’épaule, et salua les deux petites.

— Baptiste, lui dit le cochon, as-tu regardé s’il me reste encore beaucoup de glands ?

— Oui, mon maître, je viens de regarder. Il n’en reste plus que pour trois ou quatre jours… peut-être une semaine, si vous voulez bien vous rationner.

— Me rationner ? grogna le cochon. Comme c’est agréable ! Et alors, dans une semaine, je n’aurai plus un gland à me mettre sous la dent ? Mais tu sais ce que je t’ai promis ? C’est toi qui l’auras voulu, puisque tu as eu la paresse de ne pas l’approvisionner en temps utile.

Baptiste baissa la tête et partit en s’essuyant les yeux.

Les petites étaient si étonnées de ce qu’elles avaient vu et entendu, qu’elles en oubliaient l’école.

— Vous comprenez, leur dit le gros cochon, tous les ans il me joue le même tour. A la fin, moi, j’en ai assez.

— Pauvre homme ! s’écria Delphine. Il ne l’a sûrement pas fait exprès… ce n’est qu’une étourderie… Prenez patience.

— Oh ! oui, prenez patience, supplia Marinette. Ne le mangez pas encore cette année.

— Le manger ? s’écria le gros cochon et, à son tour, il ouvrit de grands yeux étonnés. Le manger ? Mais je n’y ai jamais pensé ! Je lui ai simplement promis que si les glands venaient à manquer, je le priverais de dessert pendant quinze jours. Mais je suis si bête que je n’aurai même pas le courage de le punir. Et pourtant, vous conviendrez qu’il le mérite bien !

Les petites en convinrent volontiers. Et repensant aux paroles de Marinette, le gros cochon se mit à rire et dit encore :

— Le manger… comme vous y allez, vous ! Pauvre Baptiste !.. Oh ! ce n’est pas qu’il ne soit pas appétissant, au contraire, et je pense à certaine manière de l’accommoder qui me plairait assez… sans compter qu’il me ferait pas mal de profit ! Mais s’il ne fallait écouter que son appétit, on aurait bientôt dévoré ses meilleurs amis. Pour moi, j’aimerais mieux mourir de faim que de m’y décider !

Delphine, toute rougissante à la pensée de certains propos qu’elle avait tenus à sa sœur, fit observer qu’il était grand temps de rentrer en classe.

— Il me tarde d’être rentrée pour pouvoir aller parler au bœuf blanc, dit-elle.

D’abord, les petites entrèrent seules dans l’étable.

Le cochon, l’âne, le chat et la petite poule blanche les attendaient dans la cour.

— Bœuf blanc, dit Delphine, nous avons quelque chose à te demander.

— Vous avez de la chance, dit le bœuf blanc. Je viens justement de trouver la solution de mon problème.

Delphine lui exposa ce qui les amenait auprès de lui, et quand il eut tout entendu :

— Mais rien n’est plus facile ! leur dit-il. Vous n’avez rien à craindre, j’en fais mon affaire. Je vais y réfléchir un peu pour plus de sûreté, mais venez ce soir à sept heures avec votre ami, et la chose sera faite en moins d’une minute.

Les petites remercièrent longuement le bœuf blanc et, quittant l’étable, retrouvèrent leurs amis qui les attendaient avec impatience.

— C’est entendu, dit Delphine, au cochon. Nous t’emmènerons auprès du bœuf blanc ce soir à sept heures et il arrangera tout.

— Ah ! je suis bien content, déclara le cochon. Je peux bien vous le dire maintenant, mais je n’osais pas espérer que la chose était possible.

En rentrant des champs, vers six heures, les parents s’arrêtèrent auprès du cochon et le palpèrent longuement pour s’assurer de son embonpoint. Ils semblèrent fort satisfaits de leur examen et lui dirent d’un ton amical :

— Allons, tu n’as pas perdu ton temps, tu es un brave cochon.

— Vos compliments me rendent bien heureux. Je sais que ma santé vous tient à cœur et que vous n’avez pas fini de m’en donner des preuves.

A sept heures, comme il avait été convenu, les petites vinrent chercher le cochon pour le conduire auprès du bœuf blanc. Delphine portait une aile de buse, et Marinette portait l’autre. Les choses se passèrent bien simplement. Pendant que les petites appliquaient sur le dos du cochon les dépouilles de la buse, le bœuf blanc dit trois mots en latin, en même temps qu’il faisait tourner sa queue de gauche à droite.